Créé en 1973, le Festival de musique de Sully et du Loiret a élargi peu à
peu sa programmation au‑delà du seul répertoire classique, tout en
rayonnant sur l’ensemble du département, lorsque ce dernier a repris sa
gestion en 2007. Ce changement d’orientation permet chaque année de
découvrir d’autres villes de caractère que Sully, comme la charmante
cité médiévale de Beaugency (7 500 habitants), située à quelque vingt
minutes à l’ouest d’Orléans. Bien qu’ayant souffert des guerres de
religion, le centre historique conserve un patrimoine exceptionnel, qui
lui a fait mériter le label de l’association « Les plus beaux détours de
France ».
Le récital est donné en l’ancienne église abbatiale Notre‑Dame, à deux
pas de l’impressionnant donjon de 36 mètres de haut : les monuments ont
tous deux été construits à la même époque, au XIe siècle. L’intérieur très vaste de l’église réserve une surprise au niveau du
chœur, avec un baptistère admirablement mis en valeur par la qualité des
éclairages, très élaborés pour l’occasion. C’est dans ce cadre
qu’Alexander Malofeev (né en 2001) se saisit du piano Yamaha mis à sa
disposition, dans une excellente acoustique, étonnamment peu réverbérée
pour une église. D’emblée, l’ancien jeune prodige (voir notamment l’un
de ses premiers concerts en France, à Paris en 2016)
fait l’étalage de toute sa classe sans ostentation, dans le répertoire
baroque, Händel et Purcell. Les phrasés s’épanouissent sereinement,
comme coulant de source, autour d’effets de chevauchement assez
fascinants dans leur enchevêtrement. Les tempi sont assez enlevés,
évitant tout pathos et insistant davantage sur la souplesse féline que
la rythmique, aux angles lissés dans cette optique interprétative.
Malofeev se régale des ruptures de registre entre forte et piano,
d’une maîtrise inouïe de précision : on se laisse ainsi bercer par les
infinies nuances distillées tout du long, sans jamais verser dans le
maniérisme. C’est là un art tout en délicatesse et en intériorité, qui
se rapproche plusieurs fois de la manière de l’un de ses grands aînés,
Mikhaïl Pletnev.
Après l’entracte, Malofeev déploie une manière plus virile dans les oppositions architecturées du Concerto pour orgue en la mineur
de Bach, arrangé par Samuel Feinberg. Le mouvement lent dépouillé est
une nouvelle réussite en matière d’exploration des détails, tout en
toucher subtil. Cette manière où le piano est parfois à peine effleuré
s’épanouit ensuite à merveille dans Mozart, que Malofeev éclaire de ses
tempi endiablés, sans négliger le discours d’ensemble. L’Adagio
lunaire tutoie les cimes par ses phrasés distendus, donnant une
modernité inattendue à ce bref mouvement. Le changement d’atmosphère
n’est que plus radical ensuite avec l’adaptation de l’Ouverture de Tannhäuser,
où l’on reconnaît plusieurs fois la manière de Liszt pour transcrire
Wagner, son cadet de seulement deux ans. Si Malofeev évite toute pompe,
il réussit davantage les parties crépusculaires et nostalgiques que
l’emphase contrapuntique (un rien trop déliée). Retour à la délicatesse
pour les deux bis, dont une « Danse de la fée Dragée », tirée du Casse‑Noisette de Tchaïkovski, pour conclure délicieusement ce récital, à juste titre très applaudi.
Parce que la culture se conjugue sous plusieurs formes, il sera sujet ici de cinéma, de littérature, de musique, de spectacles vivants, selon l'inconstante fantaisie de son auteur
lundi 3 juin 2024
Récital d'Alexander Malofeev - Festival de musique de Sully et du Loiret à Beaugency - 01/06/2024
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