Absente de la principale scène lyrique genevoise depuis 1903, Fedora d’Umberto Giordano fait toujours figure d'éternelle redécouverte, du fait d'un livret alambiqué : son retour dans une transposition contemporaine d’Arnaud Bernard nous plonge dans les méandres d'un amour impossible, sur fond de manipulations de l'espionnage russe post-chute du communisme.
Après avoir connu ce qui restera le plus beau succès de sa carrière, avec le drame historique Andrea Chénier
 (1896), Umberto Giordano tourne son inspiration vers une trame 
policière matinée d'espionnage, adaptée d'une pièce de Victorien Sardou,
 l'auteur de Tosca. Le livret déçoit rapidement par son incapacité à 
faire vivre la multiplicité des personnages d'une existence propre, au 
point qu'on en vient plusieurs fois à se demander qui est qui, face à 
cet imbroglio narratif. 
Le metteur en scène strasbourgeois Arnaud Bernard choisit de transposer 
l'action dans la Russie des années 1990, suite à l'effondrement de 
l'URSS, en montrant les manipulations de l'espionnage, à l'instar du 
meurtre initial du promis de Fedora : c'est là une entrée en matière 
bienvenue pour aider à comprendre le principal ressort de l'intrigue. 
On aurait toutefois aimé que cette idée soit développée plus avant, afin
 d'enrichir le récit et donner davantage de crédibilité aux revirements 
émotionnels du rôle-titre, aussi contradictoires que soudains. Un rien 
trop sage, le mélodrame évolue dans les décors splendides de Johannes 
Leiacker, qui évoquent une élite bling-bling davantage occupée à ses 
plaisirs immédiats, sous les ombres mordorées de ses terrains de jeu, 
entre palais et palaces.
Si le premier acte déçoit par son statisme et sa matière musicale assez 
pauvre, les deux suivants montrent davantage d'inspiration, entre 
rythmes colorés et dansants (II) et influences populaires montagnardes 
(III), l'action se déroulant à Gstaad. On aime ainsi l'intervention aussi
 impromptue que délicate du pianiste David Greilsammer, accompagné par 
la fosse. 
À la tête de l'excellent Orchestre de la Suisse Romande, Antonino 
Fogliani allège les textures et soigne l'expression des couleurs, en une
 mise en valeur analytique des détails de l'orchestration. En cherchant à
 donner ses lettres de noblesse au vérisme, cette lecture toujours probe
 minore toutefois par trop les contrastes, que ce soit dans 
l'exacerbation de la rythmique ou des traits folkloriques.
On peut malheureusement faire le même reproche à Aleksandra Kurzak, qui 
peine à embrasser toute la palette d'émotion requise pour le rôle de 
Fedora, du fait d'un jeu théâtral trop linéaire et peu crédible sur la 
durée. La soprano polonaise convainc davantage grâce à sa technique 
vocale toujours aussi admirable d'articulation et d'homogénéité sur 
toute la tessiture, surtout au niveau de la subtilité des piani. 
Roberto Alagna compose quant à lui un Loris autrement sonore et sanguin,
 faisant valoir ses habituelles qualités de diction et d'investissement 
dramatique. Le timbre n'a certes plus les qualités de séduction de 
naguère, mais reste décisif dans ce rôle finalement peu exposé au niveau
 des virtuosités. En dehors de ces deux personnages omniprésents, les 
seconds rôles emportent l'adhésion par leur distribution luxueuse, 
dominée par une Yuliia Zasimova (Olga) délicieuse d’agilité et 
d'aisance. 
 


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