Elève puis rival de son compatriote Jean Sibelius, Leevi Madetoja
(1887-1947) reste injustement méconnu en dehors de son pays natal, alors
qu’il est certainement un des petits maîtres les plus intéressants de
sa génération. Ses deux dernières symphonies, très différentes d’esprit
entre la dramatique Deuxième (1918) et la pastorale Troisième
(1926), montrent toute l’évolution de son langage, aux lignes claires
et épurées. Manifestement influencé par son séjour en France en 1910, où
il découvre notamment Debussy, Madetoja compose deux ouvrages lyriques,
Les Ostrobotniens (1924) et Juha (1934), où l’on retrouve la même économie de moyens, entre finesse harmonique et inventivité mélodique quasi inépuisable.
L’Opéra national de Finlande célèbre cette année le centième anniversaire de la création des Ostrobotniens,
en lui consacrant une nouvelle production imaginée par Paavo
Westerberg. Une exposition dans le hall évoque en quelques photos les
huit précédentes mises en scène qui ont participé à entretenir la
réputation de cet opéra emblématique en Finlande. Outre ses qualités
strictement musicales, marquées notamment par un recours aux emprunts
folkloriques de Botnie (vaste région centrale dont Madetoja était
originaire), Les Ostrobotniens constitue la première réussite
opératique en langue finnoise, là où Sibelius a échoué en ce domaine
(malgré un unique essai achevé en 1896, en un acte, La Fiancée de la tour).
L’autre atout des Ostrobotniens revient à son livret d’essence
vériste, qui entre en résonance avec les velléités d’indépendance de
tout un peuple : les auditeurs se reconnaissent à la création dans le
destin de ces paysans botniens exploités, en révolte face au pouvoir
aussi expéditif que brutal d’un shérif sans foi ni loi. Si l’histoire
originale visait davantage l’ancien oppresseur suédois, les auditeurs ne
manquèrent pas de faire le lien avec le voisin russe, détesté pour
avoir réduit peu à peu les privilèges de son Grand‑Duché, avant de lui
accorder l’indépendance en 1917, du bout des lèvres. Présente en 1924,
la menace expansionniste russe rôde toujours de nos jours, au moins pour
les pays limitrophes.
C’est peu dire que cet opéra reste d’une actualité brûlante, qui donne
encore plus de force à sa découverte sur la principale scène
finlandaise. Le public ne s’y est pas trompé en venant en nombre pour
célébrer l’événement, la veille de la fête nationale d’indépendance.
D’emblée, l’Ouverture reprend les principaux thèmes de l’opéra, en un
ton volontiers épique et dramatique. La mise en scène de l’acteur et
réalisateur Paavo Westerberg, dont c’est là la toute première incursion
dans le domaine lyrique, repose avant tout sur une transposition réussie
de l’action dans les années 1960, rehaussée d’une scénographie
spectaculaire. On aime ainsi l’idée initiale de l’abaissement vertical
du rideau de scène, en forme de champ labouré, qui occupe toute la
largeur du plateau. Tout au long de l’action, centrée sur les amours
contrariés de deux jeunes couples idéalistes, les paysans surexploités
triment en arrière‑fond, dans une bonne humeur gaillarde, entrecoupée
des menaces du shérif. De quoi apporter des moments de détente comique,
notamment lors des scènes de beuverie entre les deux vieillards au I. Au
dernier acte, le personnage désopilant du Scribe viendra offrir un même
effet de contraste, cette fois par rapport à la progression inéluctable
de l’issue dramatique. Si le décor de ce même acte force l’admiration
par son évocation réaliste des marais, on aurait aimé toutefois une
direction d’acteur plus soutenue pour renforcer l’épaisseur des
caractères des personnages. On note toutefois une attention bienvenue à
lier la gestuelle des chanteurs aux moindres inflexions musicales : un
sens du détail qui permet de rappeler que Madetoja, en symphoniste
affirmé, a fait de l’orchestre un personnage du drame, toujours
imprévisible et frémissant.
Le plateau vocal donne beaucoup de plaisir tout du long, ce qui n’est
pas une mince affaire compte tenu du nombre de chanteurs sur scène. Les
seconds rôles emportent l’adhésion, à l’instar des rôles comiques
précités, tandis que Maria Turunen (Maija Harri) s'impose par sa présence
interprétative, aux graves mordants et admirablement projetés. Si
Johannes Vatjus (Antti Hanka) assure solidement sa partie, on lui
préfère toutefois la ligne vocale souple et homogène sur toute la
tessiture de Ville Rusanen (Jussi Harri). Son duo au début du III avec
Johanna Nylund (Liisa) est l’un des sommets expressifs de l’opéra, même
si on aurait aimé davantage d’investissement dramatique de la part de sa
partenaire. Enfin, Tuomas Pursio se distingue par une noirceur sans
ostentation dans le rôle vénéneux du Shérif, à l’instar d’un Kaapo Ijas
qui soigne les équilibres dans la fosse, trouvant le ton juste entre
éloquence dramatique et sensibilité à fleur de peau.
Un très beau spectacle, qui donne envie d’aller plus avant dans la découverte d’autres pépites finlandaises !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire