Construite en 1975, la salle principale du Palais de la musique et des 
congrès de Strasbourg surprend immédiatement par son architecture 
intérieure « brutaliste », aux larges volumes qui valorisent le béton 
brut dans les circulations et le hall, à l’instar de l’Auditorium de 
Lyon, construit à la même période. On est aussi séduit par l’excellente 
acoustique de cette salle de 1 876 places, de forme hexagonale, qui a 
gardé sa décoration d’époque, proche des audaces géométriques de 
Vasarely.
Le concert débute avec le rare Oratorio de Noël (1858), composé 
dans la foulée de la nomination de Saint‑Saëns au poste prestigieux 
d’organiste de l’église de la Madeleine. Alors en début de carrière, le 
Français est davantage reconnu pour ses talents d’interprète au piano et
 à l’orgue, même s’il s’est déjà essayé à écrire deux symphonies et deux
 concertos. Deux autres oratorios, Le Déluge (1875) et La Terre promise
 (1913), tout aussi peu joués de nos jours, s’ajoutent au catalogue de 
la musique religieuse d’un compositeur notoirement peu croyant et 
logiquement peu productif en ce domaine.
La découverte de ce premier oratorio donne à entendre un Saint‑Saëns 
voulant manifestement fuir l’étiquette de virtuose qui lui colle à la 
peau : les brefs mouvements s’enchaînent en de courtes vignettes 
délicatement ciselées, autour d’une orchestration sans ostentation, à 
l’image de la sobriété des instruments réunis (cordes, harpe et orgue). 
L’influence allemande est d’emblée assumée par la dénomination du 
Prélude, « dans le style de Bach », très proche d’une pastorale de 
l’œuvre homonyme du cantor de Leipzig. Les parties chorales, souvent 
homophoniques, se tournent davantage vers une simplicité d’expression 
destinée à mettre en valeur le texte en latin.
![]()  | 
| Aziz Shokhakimov | 
Un rien inégal, cet ouvrage assez court (moins de 40 minutes) reste toutefois plaisant par l’alternance des airs, duos et ensembles, avant un final plus spectaculaire qui convoque l’ensemble des forces en présence, pour entonner de stimulants alléluias. Les solistes réunis montrent un niveau aussi homogène que superlatif, bien aidés par la direction entre épure et précision d’Aziz Shokhakimov, en maître sourcilleux des équilibres. On note aussi la prestation toute de subtilité de l’organiste Roselyne Koeniguer, toujours attentive aux moindres inflexions de la battue du chef ouzbek. Le chœur, admirable, bénéficie quant à lui de l’acoustique détaillée de la salle, qui fait entendre chaque individualité, sans nuire à l’impression globale d’ensemble.
Un incident inhabituel se déroule pendant les applaudissements, sans que
 le chef et les instrumentistes ne s’en aperçoivent : un choriste 
s’écroule en arrière‑scène, immédiatement secouru et mis à l’écart par 
ses collègues. Dans le même temps, Marie Linden, directrice générale du 
Philharmonique de Strasbourg, rejoint les coulisses pour s’assurer du 
peu de gravité de ce malaise. De quoi rassurer, par la suite, les 
spectateurs venus s’enquérir de la santé du malheureux choriste. Après 
l’entracte, les solistes de la première partie du concert rejoignent le 
public, cette fois en tenue plus décontractée, pour assister au 
principal plat de résistance de la soirée, la célébrissime suite 
symphonique Schéhérazade (1888) de Rimski‑Korsakov.
Les premières mesures font la part belle à l’expressivité et aux 
couleurs, avec des pupitres bien détaillés, notamment aux vents. Les 
tempi, initialement mesurés, gagnent en intensité dans les parties plus 
cuivrées, opposant ainsi admirablement les thèmes du sultan et de la 
courtisane, sans effets appuyés. La mesure et la ductilité des phrasés 
dominent cette lecture qui évite soigneusement toute effusion lyrique, 
en une transparence aérienne qui fait valoir les qualités 
d’orchestrateur de Rimski‑Korsakov. Jamais plus inspiré que par les 
contes, comme l’a montré la merveilleuse production du Conte du Tsar Saltan montée en 2023
 avec le Philharmonique de Strasbourg et Shokhakimov, le compositeur 
russe fait étalage d’une invention mélodique parmi les plus inspirées de
 toute sa production : la répétition aussi entêtante qu’envoûtante des 
thèmes entremêlés trouve son paroxysme dans le finale épique, aux 
ruptures verticales superbes d’intensité. Les dernières mesures, plus 
apaisées en contraste, exposent le premier violon de Charlotte Juillard,
 en des notes suraiguës au pianissimo particulièrement périlleux, mais 
parfaitement tenu, concluant en majesté ce chef‑d’œuvre éternel de la 
musique russe. 


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