Quelques jours après la récréation de Barkouf (1860) à Strasbourg,
c’est au tour de l’Opéra de Nancy de s’intéresser en cette fin d’année à
Offenbach, en présentant l’un de ses plus grands succès, La Belle Hélène (1864).
Toutes les représentations affichent déjà complet, preuve s’il en est
de la renommée du compositeur franco-allemand, dont on fêtera le
bicentenaire de la naissance l’an prochain avec plusieurs raretés :
Madame Favart à l’Opéra-Comique ou Maître Péronilla au Théâtre des
Champs-Élysées, par exemple. A Nancy, toute la gageure pour le metteur
en scène tient dans sa capacité à renouveler notre approche d’un “tube”
du répertoire, ce que Bruno Ravella réussit brillamment en cherchant
avec une vive intelligence à rendre crédible un livret parfois
artificiel dans ses rebondissements.
Son
idée maîtresse consiste d’emblée à donner davantage d’épaisseur au
personnage de Pâris, dont les apparitions et les travestissements
rocambolesques relèvent, dans le livret original, du seul primat divin.
Pourquoi ne pas lui donner davantage de présence en le transformant en
un agent secret chargé d’infiltrer la République bananière d’Hélène et
son époux ? Pourquoi ne pas faire de lui un mythomane, dès lors que son
attachement autoproclamé à Venus n’est jamais confirmé par la Déesse,
grande absente de l’ouvrage ? Ce pari osé et réussi conduit Pâris, dès
l’ouverture, à endosser les habits d’un James Bond d’opérette, plutôt
savoureux, d’abord ébahi par les gadgets présentés par “Q”, avant de se
faire parachuter en arrière-scène. C’est là le lieu de tous les délires
visuels hilarants de Bruno Ravella, qui enrichit
l’action au moyen de multiples détails d’une grande pertinence dans
l’humour – mais pas seulement, lorsqu’il nous rappelle que la guerre se
prépare pendant que tout ce petit monde s’amuse.
La transposition survitaminée fonctionne à plein pendant les trois actes, imposant un comique de répétition servi par une direction d’acteur qui fourmille de détails (chute du bellâtre Pâris dans l’escalier, prosodie de la servante façon ado bourgeoise de Florence Foresti, etc). De quoi surprendre ceux qui n’imaginait pas Bruno Ravella capable de renouveler, en un répertoire différent, le succès obtenu l’an passé avec Werther – un spectacle auréolé d’un prix du Syndicat de la critique. On mentionnera enfin la modernisation féroce des dialogues réalisée par Alain Perroux (en phase avec l’esprit du livret original tourné contre Napoléon III), qui dirige logiquement la farce contre le pouvoir en place aux cris d’”En marche la Grèce !” ou de “Macron, président des riches ! ».
Autour de cette proposition scénique
réjouissante, le plateau vocal brille lui aussi de mille feux, à
l’exception du rôle-titre problématique. Rien d’indigne chez Mireille Lebel
qui impose un timbre et des phrasés d’une belle musicalité pendant
toute la soirée. Qu’il est dommage cependant que la puissance vocale lui
fasse à ce point défaut, nécessitant à plusieurs reprises de tendre
l’oreille pour bien saisir ses interventions. Pour une chanteuse
d’origine anglophone, sa prononciation se montre tout à fait
satisfaisante, mais on perd là aussi un peu du sel que sait lui apporter
Philippe Talbot en comparaison. C’est là, sans doute, le
ténor idéal dans ce répertoire, tant sa prononciation parfaite et son
timbre clair font mouche, le tout avec une finesse théâtrale très à
propos.
Autour d’eux, tous les seconds rôles
affichent un niveau superlatif. On se réjouira de retrouver des piliers
du répertoire léger, tout particulièrement Franck Leguérinel et Eric Huchet – tous deux irrésistibles. On mentionnera également le talent comique de Boris Grappe,
à juste titre chaleureusement applaudi en fin de représentation, dont
le style vocal comme les expressions lui donnent des faux airs de
…Flannan Obé, un autre grand spécialiste bouffe. Enfin, Laurent Campellone dirige ses troupes avec une tendresse et une attention de tous les
instants, donnant une transparence et un raffinement inattendus dans cet
ouvrage. Un grand spectacle à savourer sans modération pour peu que
l’on ait su réserver à temps !
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