dimanche 16 décembre 2018

« La Belle Hélène » de Jacques Offenbach - Opéra national de Lorraine à Nancy - 14/12/2018


Quelques jours après la récréation de Barkouf (1860) à Strasbourg, c’est au tour de l’Opéra de Nancy de s’intéresser en cette fin d’année à Offenbach, en présentant l’un de ses plus grands succès, La Belle Hélène (1864). Toutes les représentations affichent déjà complet, preuve s’il en est de la renommée du compositeur franco-allemand, dont on fêtera le bicentenaire de la naissance l’an prochain avec plusieurs raretés : Madame Favart à l’Opéra-Comique ou Maître Péronilla au Théâtre des Champs-Élysées, par exemple. A Nancy, toute la gageure pour le metteur en scène tient dans sa capacité à renouveler notre approche d’un “tube” du répertoire, ce que Bruno Ravella réussit brillamment en cherchant avec une vive intelligence à rendre crédible un livret parfois artificiel dans ses rebondissements. 

Son idée maîtresse consiste d’emblée à donner davantage d’épaisseur au personnage de Pâris, dont les apparitions et les travestissements rocambolesques relèvent, dans le livret original, du seul primat divin. Pourquoi ne pas lui donner davantage de présence en le transformant en un agent secret chargé d’infiltrer la République bananière d’Hélène et son époux ? Pourquoi ne pas faire de lui un mythomane, dès lors que son attachement autoproclamé à Venus n’est jamais confirmé par la Déesse, grande absente de l’ouvrage ? Ce pari osé et réussi conduit Pâris, dès l’ouverture, à endosser les habits d’un James Bond d’opérette, plutôt savoureux, d’abord ébahi par les gadgets présentés par “Q”, avant de se faire parachuter en arrière-scène. C’est là le lieu de tous les délires visuels hilarants de Bruno Ravella, qui enrichit l’action au moyen de multiples détails d’une grande pertinence dans l’humour – mais pas seulement, lorsqu’il nous rappelle que la guerre se prépare pendant que tout ce petit monde s’amuse.


La transposition survitaminée fonctionne à plein pendant les trois actes, imposant un comique de répétition servi par une direction d’acteur qui fourmille de détails (chute du bellâtre Pâris dans l’escalier, prosodie de la servante façon ado bourgeoise de Florence Foresti, etc). De quoi surprendre ceux qui n’imaginait pas Bruno Ravella capable de renouveler, en un répertoire différent, le succès obtenu l’an passé avec Werther – un spectacle auréolé d’un prix du Syndicat de la critique. On mentionnera enfin la modernisation féroce des dialogues réalisée par Alain Perroux (en phase avec l’esprit du livret original tourné contre Napoléon III), qui dirige logiquement la farce contre le pouvoir en place aux cris d’”En marche la Grèce !” ou de “Macron, président des riches ! ».

Autour de cette proposition scénique réjouissante, le plateau vocal brille lui aussi de mille feux, à l’exception du rôle-titre problématique. Rien d’indigne chez Mireille Lebel qui impose un timbre et des phrasés d’une belle musicalité pendant toute la soirée. Qu’il est dommage cependant que la puissance vocale lui fasse à ce point défaut, nécessitant à plusieurs reprises de tendre l’oreille pour bien saisir ses interventions. Pour une chanteuse d’origine anglophone, sa prononciation se montre tout à fait satisfaisante, mais on perd là aussi un peu du sel que sait lui apporter Philippe Talbot en comparaison. C’est là, sans doute, le ténor idéal dans ce répertoire, tant sa prononciation parfaite et son timbre clair font mouche, le tout avec une finesse théâtrale très à propos.


Autour d’eux, tous les seconds rôles affichent un niveau superlatif. On se réjouira de retrouver des piliers du répertoire léger, tout particulièrement Franck Leguérinel et Eric Huchet – tous deux irrésistibles. On mentionnera également le talent comique de Boris Grappe, à juste titre chaleureusement applaudi en fin de représentation, dont le style vocal comme les expressions lui donnent des faux airs de …Flannan Obé, un autre grand spécialiste bouffe. Enfin, Laurent Campellone dirige ses troupes avec une tendresse et une attention de tous les instants, donnant une transparence et un raffinement inattendus dans cet ouvrage. Un grand spectacle à savourer sans modération pour peu que l’on ait su réserver à temps !

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