Fermé pendant plusieurs mois pour cause de pandémie, comme partout
ailleurs en France, l’Opéra de Tours en a profité pour changer de
directeur général, avec la nomination en septembre 2020 de Laurent
Campellone. Une heureuse nouvelle, tant l’ancien directeur musical de
l’Opéra et de l’Orchestre symphonique de Saint-Etienne, entre 2004 et
2014, a acquis une renommée bien au-delà de l’Hexagone, notamment pour
sa capacité à explorer le répertoire dans sa diversité, comme l’ont
notamment montré les résurrections du Mage de Massenet en 2013 et des Barbares de Saint-Saëns en 2014,
à chaque fois en partenariat avec le Palazzetto Bru Zane - Centre de
musique romantique française. C’est précisément les équipes de son
directeur artistique Alexandre Dratwicki que l’on retrouve aux manettes
de cette soirée tourangelle originale, consacrée à deux ouvrages aussi
courts que méconnus de Saint-Saëns et Bizet, qui seront repris à
Tourcoing du 19 au 22 mai 2022.
On ne peut que se réjouir de la confrontation sur scène de ces petits
bijoux composés tous deux en 1872, avec le même librettiste Louis
Gallet, qui deviendra ensuite un collaborateur régulier de Saint-Saëns (Etienne Marcel, Proserpine, Ascanio, Frédégonde et Déjanire), mais aussi de Massenet (Le Roi de Lahore, Le Cid et Thaïs) et Gounod (Cinq-Mars).
Ces ouvrages tentent de faire oublier la récente défaite face à
l’Allemagne, en transportant l’auditeur en de lointain raffinements
orientaux, du Japon à l’Egypte – du moins tels qu’un Occidental se les
représente alors. Pour autant, les livrets laissent entrevoir quelques
nuages, notamment une vision pessimiste des relations homme/femme, qui
dut plaire autant au misogyne Saint-Saëns qu’au malheureux Bizet,
empêtré dans un couple bancal. On s’amuse ainsi aux allusions à peine
voilées du texte: «Je n’aime aucune femme au monde, j’aime l’amour!»
affirme Haroun, alors que Kornélis trouve dans un travail acharné
«l’oubli de ses peines» (au premier rang desquelles l’absence de désir
pour sa promise). Les dénouements heureux tombent un peu comme un cheveu
sur la soupe et sonnent davantage comme le triomphe de la raison sur la
passion. Quelques années plus tard, Saint-Saëns ne cède-t-il pas à une
même velléité d’auto-persuasion en succombant aux sirènes d’un mariage,
pourtant voué à l’échec?
Déjà montée à Rennes en 2012, cette très efficace Princesse jaune mérite sa résurrection, que ce soit sur scène ou à l’écoute du disque réalisé récemment par les équipes du Palazzetto avec rien moins que Mathias Vidal et Judith van Wanroij. Djamileh aura également cet honneur l’an prochain à l’issue des représentations prévues à Tourcoing, avec les mêmes interprètes qu’à Tours.
On ne peut que s’en réjouir, tant l’ouvrage fait entendre une musique
autrement plus imaginative et colorée que celle de Saint-Saëns,
fourmillant d’innovations harmoniques. Après la création, sans doute
surpris par l’opulence orchestrale, certains critiques n’hésitent pas à
fustiger le wagnérisme de la partition, pourtant audible à de rares
endroits, notamment dans le duo final. Quelques mois plus tard, avec la
musique de scène de L’Arlésienne, Bizet revient à un langage plus traditionnel, où l’ivresse mélodique et la clarté des lignes dominent.
Les interprètes apportent beaucoup de plaisir tout du long, notamment
les graves opulents d’Aude Extrémo (Djamileh), qui surclasse ses
partenaires dans la projection – sans doute un peu trop par endroit. On
note aussi quelques placements de voix difficiles dans le suraigu,
occasionnant quelques faussetés dans le trio. Philippe-Nicolas Martin
(Splendiano) fait valoir son aisance dramatique habituelle, même si on
peut lui reprocher un souffle un peu court dans les parties chantées.
Sur le plateau, la mise en scène inoffensive de Géraldine Martineau,
pensionnaire de la Comédie-Française (avec laquelle un partenariat
inédit a été engagé pour toute la saison), s’appuie sur une scénographie
minimaliste et des costumes classieux. Le peu d’action n’aide pas à
animer l’ensemble, bien sûr, mais on aurait aimé une direction d’acteur
plus audacieuse, à même de donner davantage de consistance aux
personnages. Quoi qu’il en soit, ce parti pris discret n’empêche pas de
se féliciter d’une soirée globalement très réussie, vivement applaudie
par un public heureux de se frotter à nouveau à l’électricité du
spectacle vivant.
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