Au
sommet de son art, Olivier Py fait un retour réussi à la Monnaie de
Bruxelles, en démontrant une fois encore toutes ses affinités avec le
Grand opéra à la française : plus cruel que jamais, son Henry VIII
multiplie les audaces volontairement anachroniques avec une imagination
sans limite, au service d’un drame flamboyant.
Prévu pour honorer le 200e anniversaire de la mort de
Saint-Saëns voilà deux ans, repoussé par la pandémie, le sixième
spectacle d’Olivier Py à la Monnaie est enfin présenté sur scène :
disons-le tout net, on tient là un choc. Le choix de la version
intégrale d’Henry VIII se révèle décisif, tant il renforce le
rôle dramatique du légat du Pape, mettant en avant l’importance
historique du schisme anglais contre Rome. Les allers-retours entre les
temps cruels d’Henry VIII et ceux plus policés de la fin du XIXe siècle
multiplient les perspectives pour enrichir l’histoire : de quoi mettre
en miroir la difficulté de divorcer, à plusieurs siècles d’écart, et
plus largement de s’affranchir de la morale chrétienne.
Le spectacle ressert peu à peu son étau, en même temps que la prise de
conscience de la toute puissance d’Henry VIII sur son entourage :
l’éclatant ballet à la fin du II, transféré sur l’esplanade de la
Monnaie pendant l’entracte, donne à voir les joutes amoureuses et la
victoire violente du Roi contre le Pape. On retrouve ces mêmes scènes
d’humiliation pendant l’annulation du mariage au III, où les visions
hallucinées de l’épouse répudiée constituent des images fortes.
Les interventions des danseurs prennent davantage d’ampleur dès que le
drame se tend, dépassant les tableaux vivants pour roder de plus en plus
autour des protagonistes, à l’instar du double négatif du Roi, sorte de
bourreau des basses œuvres. Comme à son habitude, Pierre-André Weitz
plonge les interprètes dans les noirs saisissants de sa scénographie
splendide, déplaçant les modules de décors à vue en un ballet hypnotique
et intriguant, autour de références à Palladio et au Tintoret.
Le plateau réuni se montre d’une belle tenue, sans parvenir au même
niveau d’intensité. Ainsi du pénétrant Henry VIII de Lionel Lhote, qui
parvient à faire oublier un vibrato trop prononcé par une composition
d’une grande vérité dramatique, entre leçon de style et attention aux
nuances. On aime la prestation hallucinée de Marie-Adeline Henry en
Catherine d’Aragon, qui fait oublier quelques duretés dans les passages
de registre (notamment dans le suraigu) par ses qualités
interprétatives, parfaitement projetées.
Plus en retrait du fait d’un timbre terne et peu audible dans les
ensembles, Nora Gubisch assure l’essentiel par ses phrasés naturels et
sa justesse de ton, tandis qu’Ed Lyon compose un pâle Don Gomez, faute
d’une émission plus stable. On lui préfère Vincent Le Texier et ses
phrasés d’une noblesse d’âme éloquente, malgré un timbre qui manque de
couleurs.
Le drame est porté par le souffle ardent d’Alain Altinoglu, qu’on a
rarement entendu aussi libéré dans ses phrasés, portant l’inspiration
classique de Saint-Saëns (mâtinée de l’influence du Wagner des Maitres
Chanteurs dans les parties strictement orchestrales) de son esprit et de
sa grâce subtiles. Entre allègement des textures et engagement des
instrumentistes, la pâte de l’orchestre n’est pas pour rien dans le
triomphe recueilli au moment des saluts.
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