mercredi 24 mai 2023

« Henry VIII » de Camille Saint-Saëns - Théâtre royal de La Monnaie à Bruxelles - 21/05/2023

Au sommet de son art, Olivier Py fait un retour réussi à la Monnaie de Bruxelles, en démontrant une fois encore toutes ses affinités avec le Grand opéra à la française : plus cruel que jamais, son Henry VIII multiplie les audaces volontairement anachroniques avec une imagination sans limite, au service d’un drame flamboyant.

Prévu pour honorer le 200e anniversaire de la mort de Saint-Saëns voilà deux ans, repoussé par la pandémie, le sixième spectacle d’Olivier Py à la Monnaie est enfin présenté sur scène : disons-le tout net, on tient là un choc. Le choix de la version intégrale d’Henry VIII se révèle décisif, tant il renforce le rôle dramatique du légat du Pape, mettant en avant l’importance historique du schisme anglais contre Rome. Les allers-retours entre les temps cruels d’Henry VIII et ceux plus policés de la fin du XIXe siècle multiplient les perspectives pour enrichir l’histoire : de quoi mettre en miroir la difficulté de divorcer, à plusieurs siècles d’écart, et plus largement de s’affranchir de la morale chrétienne.

Le spectacle ressert peu à peu son étau, en même temps que la prise de conscience de la toute puissance d’Henry VIII sur son entourage : l’éclatant ballet à la fin du II, transféré sur l’esplanade de la Monnaie pendant l’entracte, donne à voir les joutes amoureuses et la victoire violente du Roi contre le Pape. On retrouve ces mêmes scènes d’humiliation pendant l’annulation du mariage au III, où les visions hallucinées de l’épouse répudiée constituent des images fortes. 

Les interventions des danseurs prennent davantage d’ampleur dès que le drame se tend, dépassant les tableaux vivants pour roder de plus en plus autour des protagonistes, à l’instar du double négatif du Roi, sorte de bourreau des basses œuvres. Comme à son habitude, Pierre-André Weitz plonge les interprètes dans les noirs saisissants de sa scénographie splendide, déplaçant les modules de décors à vue en un ballet hypnotique et intriguant, autour de références à Palladio et au Tintoret.

Le plateau réuni se montre d’une belle tenue, sans parvenir au même niveau d’intensité. Ainsi du pénétrant Henry VIII de Lionel Lhote, qui parvient à faire oublier un vibrato trop prononcé par une composition d’une grande vérité dramatique, entre leçon de style et attention aux nuances. On aime la prestation hallucinée de Marie-Adeline Henry en Catherine d’Aragon, qui fait oublier quelques duretés dans les passages de registre (notamment dans le suraigu) par ses qualités interprétatives, parfaitement projetées. 

Plus en retrait du fait d’un timbre terne et peu audible dans les ensembles, Nora Gubisch assure l’essentiel par ses phrasés naturels et sa justesse de ton, tandis qu’Ed Lyon compose un pâle Don Gomez, faute d’une émission plus stable. On lui préfère Vincent Le Texier et ses phrasés d’une noblesse d’âme éloquente, malgré un timbre qui manque de couleurs.

Le drame est porté par le souffle ardent d’Alain Altinoglu, qu’on a rarement entendu aussi libéré dans ses phrasés, portant l’inspiration classique de Saint-Saëns (mâtinée de l’influence du Wagner des Maitres Chanteurs dans les parties strictement orchestrales) de son esprit et de sa grâce subtiles. Entre allègement des textures et engagement des instrumentistes, la pâte de l’orchestre n’est pas pour rien dans le triomphe recueilli au moment des saluts.


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