Après Alzira (1845) en fin d’année dernière, l’Opéra de Liège s’offre une autre rareté verdienne avec Les Lombards à la première croisade (1843)
: une double audace à souligner en ces temps de restrictions
budgétaires, qui ne favorisent pas l’originalité en matière
d’exploration du répertoire lyrique. Contrairement à Nabucco, premier
chef-d’oeuvre de Verdi créé l’année précédente, les Lombards souffrent
d’un livret impossible, qui cherche à embrasser une histoire trop vaste,
aux nombreux personnages
Outre de fréquentes ellipses, le récit souffre d’une action souvent inexistante et, paradoxalement, d’une accélération subite des événements. Cet écueil est perceptible immédiatement après le choeur initial, où un ensemble haut en couleurs ne parvient pas au degré d’émotion souhaité, faute d’une présentation des liens entre les différents personnages, nécessaire à la compréhension des enjeux dramatiques. Bien qu’inégale, l’inspiration du compositeur se nourrit des interventions variées du choeur (admirable Choeur de l’Opéra royal de Wallonie-Liège, toujours très investi), qui constitue un des atouts emblématiques de l’ouvrage, à même d’expliquer sa popularité parmi les raretés verdiennes.
Pour ses débuts à l’Opéra de Liège, Sarah Schinasi joue la carte de la sobriété et de la séduction visuelle, en misant sur l’exploration géométrique des volumes d’une scénographie d’un blanc immaculé : les panneaux se ferment et s’ouvrent, tandis que les modules glissent sur scène en une harmonie doucereuse, en un climat d’abstraction d’inspiration fantastique. On se laisse bercer par cette scénographie stylisée de toute beauté, en contraste avec les costumes intemporels et fastueux, même si l’ensemble ne cherche jamais à donner davantage de sens au livret. C’est la limite de ce travail probe mais peu imaginatif, à l’instar de la direction d’acteur d’une raideur assumée tout du long, faisant souvent chanter ses interprètes en bord de scène. On gagne ainsi en confort sonore ce que l’on perd en vitalité dramatique, tout en ressortant du spectacle avec la désagréable impression d’avoir assisté à une mise en scène interchangeable, peu adaptée au drame de Verdi.
Face à ce minimalisme, le plateau vocal donne plusieurs motifs de satisfaction, sans tutoyer les sommets. Salome Jicia
(Giselda) s’impose par ses qualités de tragédienne : autant sa
sensibilité que son attention au texte font de chacune de ses
interventions des moments de grande intensité, aussi bien dans
l’intimité des piani que la puissance du suraigu (et ce malgré un
recours trop fréquent au vibrato en ce dernier cas). Plus problématique
est le cas de son compatriote géorgien Goderdzi Janelidze
(Pagano), timbre superbe dans les graves et projection à la résonance
profonde et intense. Des qualités qui ne peuvent toutefois faire oublier
ses problèmes d’intonation, occasionnant plusieurs faussetés (au I
surtout), du fait d’une technique peu affirmée en matière de souplesse
et d’agilité dans les transitions entre les registres.
Rien de tel, une fois encore, pour le toujours impeccable Ramón Vargas (Oronte), qui irradie ses phrasés de son émission naturelle et aérienne. On aimerait toutefois une attention plus poussée au sens, ce qui est surtout perceptible lors de son premier air, peu en phase avec la battue plus mesurée du chef. A ses côtés, Matteo Roma (Arvino) fait valoir un timbre toujours aussi superbe, aux couleurs mordorées, mais dont la projection modeste s’avère insuffisante pour son rôle, particulièrement face à ses partenaires dans les ensembles. Hormis l’Acciano un peu tendre de Roger Joakim, tous les seconds rôles emportent l’adhésion.
Le grand atout de la soirée est la direction de Daniel Oren, qui démontre une fois encore toutes ses affinités avec ce répertoire (en habitué, notamment, du festival de Vérone) : conteur attentif des moindres inflexions musicales, Oren porte ses troupes d’un geste puissamment architecturé, volontiers viril et tranchant dans les parties verticales et solennelles, tout en osant davantage de sensibilité dans les passages plus mesurés, à la respiration plus déliée. Plus gênant, le chef israélien se laisse plusieurs fois emporter par son enthousiasme volcanique en laissant échapper de sonores râles et premières répliques pour aider ses solistes dans les attaques, donnant souvent l’impression aux spectateurs des premiers rangs d’assister à une vibrante répétition.
Alors qu’une autre baguette bouillonnante, celle de Speranza Scappucci, viendra enflammer le dernier spectacle de la saison consacré aux Dialogues des Carmélites de Poulenc, en juin prochain, les regards se tournent déjà vers la programmation 2023-2024,
qui vient tout juste d’être dévoilée. Une saison très équilibrée entre
répertoire italien et français (dont Les Contes d’Hoffmann revisités par
le génial plasticien Stefano Poda), qui sait aussi s’ouvrir aux
enchantements slaves de Rusalka de Dvorak, principalement inspirés du
conte La Petite sirène : n’attendez pas pour réserver votre abonnement dès maintenant !
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