dimanche 14 mai 2023

« Manru » d'Ignacy Paderewski - Opéra national de Lorraine à Nancy - 12/05/2023

Jamais monté en France, l'unique opéra de Paderewski investit Nancy en version allemande, comme à la création à Dresde de 1901. Tout droit venue de Halle où elle a reçu un accueil élogieux, la production de Katharina Kastening plonge dans les violences interraciales avec une actualité troublante, sur fond de tensions amoureuses entre locaux et tsiganes.

On ne peut imaginer destin plus fascinant que celui d'Ignacy Paderewski, qui embrassa très tôt une carrière de virtuose du piano avec un succès considérable, tout en s'essayant à la composition pour son instrument fétiche – si l'on excepte Manru ou sa Symphonie Polonia. Le premier conflit mondial lui permit de mettre sa notoriété au service du rétablissement d'un État polonais, jusque-là écartelé entre plusieurs nations depuis la fin du XVIIIe siècle. L'infatigable défenseur de la cause nationale, ce qui lui valut notamment le poste de Premier ministre, délaissa la composition après 1914.

Sa musique se rattache à la tradition romantique allemande, avec une dette importante à Wagner. Si le sujet vériste de l’ouvrage peut le rapprocher du Tiefland d'Eugen d'Albert, il fait davantage appel aux cordes, volontiers arides au I. Le livret reste poussif du fait du peu d'action, sans parler des incohérences dramatiques – Urok, amoureux de l'héroïne, lui prépare un filtre pour qu'elle puisse en aimer un autre ! Les scènes de ballet et les interventions populaires du chœur viennent conclure le I avec emphase, de même que la coloration folklorique plus évocatrice au III, dès l’enchanteur prélude : le lyrisme tsigane est ainsi évoqué par un lumineux cymbalum, sans parler d’un violon solo aux accents sirupeux.

La direction un rien trop prudente de Marta Gardolińska dans les passages apaisés, se régale des parties plus enlevées, en faisant ressortir des couleurs bienvenues. L’ensemble garde une bonne tenue tout du long, à force d’attention aux équilibres, sans jamais couvrir le plateau. Ce dernier constitue le grand atout de la soirée, en faisant appel à des chanteurs engagés : ainsi de la pénétrante Ulana de Gemma Summerfield, qui parvient à éviter tout monolithisme par un art des phrasés expressif à force d’attention au texte, se jouant des difficultés dans tous les registres, en puissance comme dans les piani.

On aime aussi le Manru de Thomas Blondelle, qui malgré un troisième registre parfois limite (et occasionnant un vibrato prononcé), compose un personnage torturé et ardent, d’une vitalité solaire. Hormis un timbre terne, Gyula Nagy (Urok) assure l’essentiel par sa solidité de ligne et son émission bien articulée, mais c’est peut-être plus encore Janis Kelly qui s’impose en Hedwig à force de tempérament et de noirceur. Très sollicité en dernière partie, le chœur de l’Opéra de Lorraine souffre un peu des aigus stridents des sopranos, de même que le chœur d’enfants, un peu chiche en effectif.

La transposition contemporaine de Katharina Kastening joue la carte de la sobriété, en opposant les deux camps au niveau des costumes, insistant au II sur la mise à l’index sociale du couple, avant de trouver davantage de puissance évocatrice au III dans les scènes de groupe. Un travail rigoureux, bien soutenu par la variété des éclairages, qui donne ses lettres de noblesse à l’ouvrage, sans effets de manche. 

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