Jamais monté en France, l'unique opéra de Paderewski investit Nancy en version allemande, comme à la création à Dresde de 1901. Tout droit venue de Halle où elle a reçu un accueil élogieux, la production de Katharina Kastening plonge dans les violences interraciales avec une actualité troublante, sur fond de tensions amoureuses entre locaux et tsiganes.
On ne peut imaginer destin plus fascinant que celui
d'Ignacy Paderewski, qui embrassa très tôt une carrière de virtuose du
piano avec un succès considérable, tout en s'essayant à la composition
pour son instrument fétiche – si l'on excepte Manru ou sa Symphonie Polonia.
Le premier conflit mondial lui permit de mettre sa notoriété au service
du rétablissement d'un État polonais, jusque-là écartelé entre
plusieurs nations depuis la fin du XVIIIe siècle. L'infatigable
défenseur de la cause nationale, ce qui lui valut notamment le poste de
Premier ministre, délaissa la composition après 1914.
Sa musique se rattache à la tradition romantique allemande, avec une
dette importante à Wagner. Si le sujet vériste de l’ouvrage peut le
rapprocher du Tiefland d'Eugen d'Albert, il fait davantage appel
aux cordes, volontiers arides au I. Le livret reste poussif du fait du
peu d'action, sans parler des incohérences dramatiques – Urok, amoureux
de l'héroïne, lui prépare un filtre pour qu'elle puisse en aimer un
autre ! Les scènes de ballet et les interventions populaires du chœur
viennent conclure le I avec emphase, de même que la coloration
folklorique plus évocatrice au III, dès l’enchanteur prélude : le
lyrisme tsigane est ainsi évoqué par un lumineux cymbalum, sans parler
d’un violon solo aux accents sirupeux.
On aime aussi le Manru de Thomas Blondelle, qui malgré un troisième registre parfois limite (et occasionnant un vibrato prononcé), compose un personnage torturé et ardent, d’une vitalité solaire. Hormis un timbre terne, Gyula Nagy (Urok) assure l’essentiel par sa solidité de ligne et son émission bien articulée, mais c’est peut-être plus encore Janis Kelly qui s’impose en Hedwig à force de tempérament et de noirceur. Très sollicité en dernière partie, le chœur de l’Opéra de Lorraine souffre un peu des aigus stridents des sopranos, de même que le chœur d’enfants, un peu chiche en effectif.
La transposition contemporaine de Katharina Kastening joue la carte de la sobriété, en opposant les deux camps au niveau des costumes, insistant au II sur la mise à l’index sociale du couple, avant de trouver davantage de puissance évocatrice au III dans les scènes de groupe. Un travail rigoureux, bien soutenu par la variété des éclairages, qui donne ses lettres de noblesse à l’ouvrage, sans effets de manche.
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