Il est rare qu’un ouvrage lyrique devienne autant indissociable de l’orchestre qui a contribué à lui rendre ses lettres de noblesse : ainsi de l’opéra-ballet Don Quichotte chez la duchesse (1743) de Joseph Bodin de Boismortier (1689-1755), qui fut joué par l’ensemble d’Hervé Niquet, le Concert Spirituel, dans la foulée de sa fondation en 1987. Les reprises scéniques de 1996 n’étaient finalement que le prélude à la renaissance de l’ouvrage dans une nouvelle et ébouriffante mise en scène confiée à Shirley et Dino en 2015, avant que disque et dvd n’immortalisent l’événement pour fêter les 35 ans de la formation sur instruments d’époque.
Un enregistrement multi-récompensé, jusque dans la presse européenne, qui explique pourquoi Château de Versailles Spectacles a fait de cette production un étendard de ses spectacles : de quoi démontrer combien rire et bonne humeur peuvent aisément se conjuguer avec l’indispensable qualité artistique. Contemporain de Platée (1745) de Jean-Philippe Rameau, ce Don Quichotte permet à la musique haute en couleurs de Boismortier de s’épanouir autour de plusieurs saynètes savoureuses qui moquent la crédulité du héros, accompagné du pleutre Sancho Pança. Une Duchesse le poursuit de ses assiduités pour lui faire oublier sa fameuse Dulcinée, tout en lui faisant rencontrer le magicien Merlin, ainsi que d’exotiques japonais en fin d’ouvrage. Dans le même temps, le Duc joue les maîtres de cérémonie pour mieux se rire de Don Quichotte, en construisant la farce au fur et à mesure comme une pièce en cours de répétition, entre vrai-faux amateurisme et joyeuseté bon enfant avec le choeur.
Chantal Santon Jeffery et Gilles Benizio |
La partie de comédie étant perdue, Shirley et Dino ont libre cours pour nous embarquer dans leur fantaisie pétrie de tendresse et de clins d’oeil burlesques, toujours en lien avec la progression de la partition chantée. Il faut voir comment la scénographie intègre les artifices baroques, les modernisant pour mieux leur rendre hommage, sans jamais oublier de provoquer le rire par leur usage décalé. On ne dévoilera pas les nombreux gags de ce spectacle évolutif, toujours légèrement différent selon les soirées, qui multiplie les digressions et les anachronismes volontaires. Le quatrième mur avec le public est ainsi cassé à plusieurs reprises, grâce aux interventions désopilantes d’Hervé Niquet, très sollicité, et pas seulement dans la fosse.
On ne peut imaginer meilleur défenseur que le Concert Spirituel dans ce répertoire, de même que le plateau vocal réuni, de haute qualité. Ainsi de l’aérien et lumineux Mathias Vidal en Don Quichotte, ou du pénétrant et débonnaire Marc Labonnette en Sancho Pança. Chantal Santon Jeffery (Altisidore) n’est pas en reste dans la virtuosité et l’agilité, tandis que Nicolas Certenais (Merlin) fait valoir un timbre superbe, bien qu’un peu raide au niveau de l’articulation. Seule Lucie Edel déçoit en comparaison avec une prononciation trop approximative. Mais c’est surtout Gilles Benizio qui tient le spectacle sur toutes ses épaules par ses réparties lunaires et délicieusement ingénues, bien épaulé par un complice Hervé Niquet, aussi bon comédien que chef.
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