Repoussée par la pandémie en 2020, la production de Platée
imaginée par Corinne et Gilles Benizio, alias le couple d’humoristes
Shirley et Dino, a pu enfin être présentée en début d’année à Toulouse,
puis en ce moment à Versailles. C’est un événement à ne pas manquer,
tant les deux spécialistes de cabaret apportent un vent de folie à nul
autre pareil, qui casse les codes solennels du classique pour rajeunir
et diversifier le public attendu. La salle comble à Versailles en
témoigne et s’amuse d’emblée du rôle important dévolu à Hervé Niquet :
non plus seulement chef dans la fosse, le fondateur du Concert
Spirituel – en 1987, déjà ! – prodigue d’inattendus talents d’acteur
comique, montant à plusieurs reprises sur scène, dialoguant avec le
public ou le faisant chanter du Rameau en canon... On ne dévoilera pas
les nombreux gags de ce spectacle aux allures de répétition générale,
dont les multiples interruptions intempestives restent toujours au
bénéfice de l’enrichissement de l’action.
Avec la suppression du Prologue, assumée avec esprit et humour, le
spectacle ose tout, de l’adjonction d’un ballet romantique à une samba
déjantée, en passant par une guitare électrique dévolue à la Folie : il
faut un art consommé des transitions pour parvenir à retomber toujours
sur ses pattes, un art de la pantomime, aussi, que nourrit chacun des
interprètes, toujours affairé à faire vivre son personnage d’une
multitude d’expressions, même lorsqu’il ne fait rien. S’il faut un peu
de temps pour s’habituer à ce foisonnement loufoque, un peu moins réussi
dans l’animation théâtrale du chœur, les deux derniers actes du
spectacle sont quant à eux une grande réussite : la richesse
d’imagination fantasque dévolue aux costumes joue souvent sur le comique
de travestissement (Platée grimée en Bette Davis, Jupiter en
d’improbables créatures, etc.), tandis que l’étourdissant ballet des
seize danseurs de Kader Belarbi (directeur du ballet du Capitole de
Toulouse) n’est pas pour rien dans l’énergie insufflée tout du long.
Dans la fosse, Hervé Niquet secoue son Rameau comme jamais,
surarticulant et musclant ses phrasés péremptoires, très vifs dans les
passages verticaux. On perd en grandeur ce que l’on gagne en
frémissements et scansions nerveuses, le chef sachant toutefois alanguir
sa baguette dans les parties plus recueillies, avec un sens du théâtre
plus prononcé. C’est heureux, tant le plateau vocal réuni montre un
niveau vocal superlatif, et ce malgré un rôle‑titre à la tessiture
limitée. Mathias Vidal peine en effet dans le suraigu à plusieurs
reprises, avec une projection plus faible par rapport à ses partenaires.
Fort heureusement, ses qualités de diction, autant que son
investissement scénique désopilant, compensent ses imperfections et lui
valent un triomphe public mérité en fin de représentation. L’autre
grande salve d’applaudissements est recueillie par Marie Perbost (La
Folie), aux faux airs de Nina Hagen, qui trouve le juste équilibre entre
démesure scénique et ivresse vocale, et ce malgré un positionnement de
voix un peu instable par endroits. Rien de tel pour le solide et sonore
Cithéron de Marc Labonnette, tandis que Jean‑Christophe Lanièce (Momus)
et Pierre Derhet (Mercure) font valoir un chant raffiné et éloquent,
techniquement sans faille. On aime aussi l’autorité naturelle, portée
par une belle résonnance, de Jean‑Vincent Blot (Jupiter), de même que
l’impayable Marie‑Laure Garnier (Junon), délicieusement extravertie lors
de ses interventions.
Ce spectacle idéal pour s’initier à la musique baroque et découvrir les
rythmes entraînants de Rameau est donné jusqu’à dimanche à Versailles.
Espérons qu’il sera vite repris, à l’instar du succès rencontré par Don Quichotte chez la Duchesse de Boismortier (voir notamment en 2015 à Metz et Montpellier),
le précédent spectacle monté par Hervé Niquet et les Benizio. Il est
possible de voir ou revoir cette production, ainsi que de nombreuses
autres, sur la nouvelle plateforme de diffusion en continu de l'Opéra de Versailles.
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