Le tout dernier opéra de Giuseppe Verdi, Falstaff (1893), fait parti de ces ouvrages dont on n’a pas fini d’explorer les richesses, tant celui-ci regorge d’inventivité dans les moindres recoins de la partition, tout particulièrement au niveau de l’orchestration pétillante et quasi-pointilliste dans sa caractérisation des situations. A presque 80 ans, le maître italien émerveille par sa capacité à varier les atmosphères, de la verve haute en couleurs du rôle-titre, ridiculisé pour ses petitesses et sa vantardise, aux mélodies plus épanouies des deux jeunes tourtereaux Fenton et Nannetta (dont le lyrisme frémissant évoque le vérisme, alors en ascension). Que dire, aussi, de la palette subtile aux bois pour ciseler les atmosphères fantastiques au dernier acte, avant une magistrale fugue entre les dix interprètes pour conclure l’opéra ? Coté chant, Verdi laisse de côté la primauté d’une expression ardente pour préférer un quasi parlando continu, à même de coller au plus près des situations comiques. Avec l’aide du compositeur et librettiste Arrigo Boito, Verdi rend ainsi un digne hommage à son dramaturge préféré, Shakespeare, tout en faisant mentir le fielleux Rossini (qui avait déclaré que Verdi n’avait pas la fibre comique).
Pour mettre en valeur cet ultime chef d’oeuvre, l’Opéra Royal de Wallonie-Liège a eu la bonne idée de reprendre la production très réussie de Jacopo Spirei (né en 1974), qui avait été créée en 2017 à Parme : l’ancien assistant de Graham Vick donne d’emblée le ton en montrant un immense drapeau britannique en guise de rideau de scène, aussi défraîchi et sale que Falstaff lui-même. La transposition contemporaine montre le laisser-aller du vrai-faux héros, autant dans son aspect physique dégradé que son intérieur exigu. Très fidèle au livret, ce travail s’appuie sur un décor déstructuré et volontiers cubiste, qui ravit par sa fantaisie bon enfant, tout en insistant sur les oppositions sociales entre les protagonistes. Les éclairages très variés, comme les costumes inventifs, donnent une identification visuelle de toute beauté, même si la dernière partie reste plus timide dans l’évocation du merveilleux.
Avec Pietro Spagnoli, on tient un des meilleurs interprètes du rôle-titre, capable de rendre crédible la grandeur tragique de ce noble désargenté, par un mélange subtil entre verbe éloquent et prétention ridicule. C’est peu dire qu’il possède le physique du rôle, autour d’une présence scénique qui impressionne tout du long, entre débit sonore, aussi fluide que parfaitement articulé. On aime aussi l’autorité naturelle de Simone Piazzola (Ford), à la projection insolente de facilité sur toute la tessiture, de même que le timbre velouté et harmonieux de Marianna Pizzolato (Mrs Quickly), toutefois plus timide dans le médium. Tout le reste du plateau se montre d’une homogénéité superlative, à l’instar d’une Marie-Andrée Bouchard-Lesieur (Meg Page), toujours aussi impressionnante au niveau technique.
Falstaff ne saurait être réussi sans un maestro accompli dans la fosse : ainsi de Giampaolo Bisanti, qui confirme là tout le bien qu’on pense de lui (voir notamment les récents Contes d’Hoffmann in loco), en directeur musical attentif à la mise en place de ce bijou de précision qu’est Falstaff. Le geste vif et allant reste toujours au plus près de la narration, sans jamais couvrir ses chanteurs (hormis dans la fugue conclusive, un rien trop sonore). De quoi donner beaucoup de hauteur à l’ensemble, à même d’expliquer l’accueil chaleureux du public, venu en nombre pour l’occasion.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire