Soutenu par Brahms au début de sa carrière, Alexander von Zemlinsky
(1871‑1942) embrassa les modes alors en vogue pour ses deux premiers
ouvrages lyriques, le premier d’entre eux appartenant à une veine
orientaliste, avant que le deuxième n’emprunte à l’imaginaire féerique
des contes, à l’instar de Humperdinck. La création du troisième opéra, George le rêveur
(1906), fut ensuite annulée du fait du renvoi de Gustav Mahler de
l’Opéra de Vienne, alors principal soutien de Zemlinsky, avec
Schoenberg. L’ouvrage ne trouva jamais le chemin de la scène et tomba
rapidement dans l’oubli, avant qu’il ne resurgisse des archives
viennoises pour une création tardive en 1980. La musique opulente et
expressive fait immédiatement penser à la fantaisie symphonique La Petite Sirène
(1903), elle aussi redécouverte dans les années 1980, suite à son rejet
par le compositeur, insatisfait de ce style postromantique au lyrisme
débordant (voir notamment en 2015 à Paris).
Plus sombre, l’atmosphère de George le rêveur épouse le mal être
existentiel du rôle‑titre, un idéaliste prisonnier du corset d’une
société villageoise aux mœurs traditionnelles. Le refuge dans l’univers
confortable des rêves et des contes de fées n’est qu’un prétexte pour
échapper aux attendus sociaux, du refus du mariage arrangé avec une
paysanne prosaïque à l’incapacité de mener une révolte ouvrière, en tant
qu’intellectuel isolé des préoccupations fédératrices. Comment
affronter la réalité du monde (notamment l’absurde répétition des
guerres) et acquérir une conscience politique autonome ?
Le récit initiatique de George, baigné de relents symbolistes et
psychanalytiques, souffre toutefois d’une action trop réduite, qui
embarque son anti‑héros et sa muse en des réflexions philosophiques
parfois inutilement alambiquées, sans éviter quelques redondances
fastidieuses au dernier acte, plus faible que les précédents en
comparaison. La musique, d’une richesse harmonique haute en couleur mais
un rien trop prévisible, fait s’entrecroiser les mélodies entre elles
en un style proche de Richard Strauss, mais sans les audaces vénéneuses
de Salomé. Les ouvrages suivants de Zemlinsky sauront gagner en
subtilité par des alliages de timbres plus ambigus et morbides, proches
de son cadet Schreker, en lien avec des livrets plus cruels (notamment Le Nain, en 1922).
C’est la une initiative heureuse, tant le plateau vocal se montre lui aussi à la hauteur de l’événement. Ainsi du rôle‑titre écrasant confié à AJ Glueckert, qui démontre une nouvelle fois ses qualités de phrasés, d’une noblesse éloquente sur toute la durée du spectacle (trois heures, y compris un entracte). Seule la puissance lui fait parfois défaut face aux déchaînements de la fosse, à l’inverse de sa partenaire Zuzana Marková (Gertraud et La Princesse), idéale en ce domaine, comme dans la présence dramatique. On retient aussi le chant ardent de Magdalena Hinterdobler (Grete), très solide techniquement, de même que le superlatif Iain MacNeil (Kaspar), d’un engagement toujours sans faille, entre mordant d’intention et précision d’articulation. On aimerait le retrouver dans un rôle plus étoffé encore, à la mesure de ses immenses possibilités.
En attendant, il faut courir applaudir cet ouvrage rarissime, dans une mise en scène minimaliste (un rien trop prudente) qui insiste sur l’enfermement mental de George, avant de se délecter des prochaines reprises très attendues à Francfort en mars, Carmen de Bizet, puis L’Italienne à Londres de Cimarosa.
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