dimanche 3 mars 2024

Concert du Philharmonique de Berlin - Christian Thielemann - Philharmonie de Berlin - 02/03/2024

Christian Thielema

L’année 2024 célèbre le 200e anniversaire de la naissance d’Anton Bruckner par deux raretés peu données au concert comme au disque : voilà l’occasion de découvrir les deux symphonies que le compositeur autrichien a écarté de la numérotation de son catalogue (au-delà des neuf autres bien connues), avec le spécialiste Christian Thielemann, à la tête de l’un des tous meilleurs orchestres au monde, le Philharmonique de Berlin. Le chef allemand s’est déjà illustré dans ce répertoire avec ses autres phalanges favorites, à Vienne, puis Dresde, autour de deux intégrales des onze symphonies du maître de Saint-Florian.

Outre une Ouverture en sol mineur et un Psaume 112, la Symphonie en fa mineur (1863) est composée pour la fin des études avec le chef d’orchestre Otto Kitzler, à Linz. A l’instar de son cadet Brahms, Bruckner aborde tardivement le genre symphonique, en travailleur infatigable déjà accablé par son perfectionnisme. A 39 ans, il a déjà derrière lui une longue carrière de chef de choeur et d’organiste réputé, sans parler de la réussite du concours de professeur de musique au Conservatoire de Vienne, en 1861. Avant sa nomination dans la capitale, il présente sa symphonie de fin d’études à son professeur, qui la rejète comme « insuffisamment inspirée« .

L’audition de la «Symphonie 00» surprend d’emblée par son style davantage tourné vers le passé, qui rappelle Mendelssohn et Schumann en maints endroits. Dirigeant sans partition tout au long de la soirée, Christian Thielemann embrasse ses troupes de son attention millimétrée, en architecte qui croit à cet ouvrage sous-estimé. Le son plein et généreux imprime des tempi assez vifs dans les tutti, parallèlement à la révélation de nombreux détails dans les parties plus pastorales, à la respiration plus apaisée. On reconnait déjà le tempérament de Bruckner dans les envolées péremptoires et dantesques aux cordes, tandis que les solos, souvent confiés aux bois, servent une atmosphère globalement lumineuse et optimiste, en contraste. A l’inverse des autres symphonies que Bruckner a constamment retravaillé toute sa vie, celle-ci ne comporte qu’une seule version, ce qui lui donne une certaine fraicheur dans son élan juvénile et naturel. Outre sa perfection technique dans l’expression des couleurs, le Philharmonique de Berlin impressionne tout du long par sa précision pour affronter les nombreuses ruptures imposées par le chef, en maître des nuances et des changements de tempi.

La Philharmonie de Berlin
Après l’entracte, place à un ouvrage dont le style initial fait immédiatement penser à Bruckner, par son frémissement nerveux aux cordes, comme son orchestration plus « wagnérienne », grâce à l’appoint des cuivres. Initiée en 1864, la Symphonie en ré mineur a été achevée cinq ans plus tard, après la création de la Première symphonie numérotée (1866). Il s’agit donc, si on inclut la symphonie d’étude, de la Troisième symphonie de Bruckner, mais rapidement reniée et surnommée « die Nullte » (la « 0 »), par l’auteur lui-même. A l’écoute, on tient pourtant là un ouvrage passionnant, malgré quelques faiblesses, notamment un trio évanescent au III et un finale un rien confus.

En peu de temps, le langage de Bruckner est devenu plus affirmé, des nombreux dialogues entre les pupitres de cordes, au souffle mélodique ardent qui parcourt tout l’orchestre : Thielemann se saisit de cette nouvelle maitrise en jouant plus encore sur la révélation des détails, sans parler du soin porté aux transitions ou à la relance électrique du discours musical. L’Andante fait valoir un thème tout en fragilité aux cordes, tout en mettant en valeur les envolées aériennes aux bois, avant un contrechamps déchirant aux altos. Le Scherzo surprend ensuite par sa brève coda en forme de péroraison, rompant avec le style habituel ultérieur, aux répétitions verticales volontairement hypnotiques. Étourdissant de virtuosité maîtrisée sous la baguette de Thielemann, le Finale prend des allures grisantes aux cordes, rappelant l’art vivace de Mendelssohn.

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