vendredi 22 mars 2024

« Fausto » de Louise Bertin - Christophe Rousset - Disque Palazzetto Bru Zane


Ces dernières années, on ne peut qu’être impressionné par la curiosité sans cesse approfondie pour l’exploration du répertoire des compositrices, beaucoup plus étendu que celui imaginé de prime abord, du moins pour ce qui concerne le XIXe siècle. Après avoir consacré l’an passé un passionnant coffret de huit disques à vingt et une d’entre elles, le Palazzetto Bru Zane rend cette fois hommage à la figure de Louise Bertin (1805‑1877), amie de Berlioz et Hugo, avec lesquels elle a fait salon à Bièvres, entre autres personnalités. Avec La Esmeralda, Bertin bénéficie d’une adaptation du roman Notre‑Dame de Paris par l’auteur lui‑même, obtenant rien moins qu’une création à l’Opéra de Paris en 1836 : c’est là le point d’orgue, mais aussi la fin de la carrière lyrique de Bertin, que le festival de Montpellier a permis de redécouvrir en 2008, avant un retour au Théâtre des Bouffes du Nord l’année dernière. Au préalable, Louise Bertin avait gravi les échelons un à un avec ses précédents ouvrages, tous sertis de livrets aux fortes ambitions littéraires, depuis Le Loup‑garou (1827) à l’Opéra Comique jusqu’à Fausto (1831) aux Italiens : de quoi se confronter, dans ce dernier ouvrage, à ses rivaux transalpins sur leur terrain, qui plus est dans la langue de Dante.

On se réjouit de pouvoir se découvrir cet ouvrage au disque, après le concert donné au Théâtre des Champs‑Elysées en juin dernier avec les mêmes interprètes. L’adaptation du Faust de Goethe, par la compositrice elle‑même, concentre le drame autour des amours contrariés de Faust et Marguerite. C’est là davantage un semi seria, avec plusieurs intermèdes comiques dans la tradition française de l’époque, couplés à une virtuosité vocale à mi‑chemin entre les exigences italiennes et les derniers ouvrages de Rossini à Paris. Outre des passages plus germaniques de caractère, audibles dès l’Ouverture cuivrée et dus à l’influence de son professeur, Reicha, l’opéra donne une place soutenue aux chœurs, qui rappellent parfois ceux présents dans la défunte tragédie lyrique, encore admirée par Spontini ou Berlioz. On ne peut ainsi qu’admirer la variété de ton et d’atmosphère de la musique de Bertin, qui semble savoir tout faire. Une démonstration à même de prouver qu’elle doit avant tout sa réussite à elle‑même, et non pas au seul soutien de son père, l’un des hommes puissants de son temps, en tant que patron du Journal des débats.

Pour traduire la réussite de cet ouvrage, il fallait aussi des interprètes à la mesure de l’enjeu, ce que sont assurément Les Talens Lyriques et Christophe Rousset : les sonorités des instruments d’époque font merveille dans ce répertoire, qui gagne ainsi en rugosité et en nervosité, s’éloignant des lectures trop doucereuses parfois audibles dans le bel canto. Toute acquise à cette vision, Karine Deshayes déploie dans son rôle de Fausto des trésors d’intensité, sublimés par un instrument toujours ardent et parfaitement projeté. A ses côtés, Karina Gauvin (Margherita) souffre parfois dans les passages rapides, autour d’une émission un rien ampoulée. Mais le velouté de son timbre et l’intelligence des phrasés font oublier ces quelques imperfections, et ce d’autant plus qu’elle est parfaitement épaulée par un Ante Jerkunica (Mefisto) à la présence pénétrante, entre timbre aux graves profonds et facilité d’émission. Tous les seconds rôles, richement distribués, emportent l’adhésion, à l’image du superlatif Chœur de la Radio flamande, très attentif à la diction.

Voilà une nouvelle réussite décisive du Palazzetto Bru Zane, qui n’a pas fini de promener sa curiosité pour nous surprendre, bien loin des sentiers battus. Chaudement recommandé !

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