mardi 12 mars 2024

« Pulcinella » de Stravinsky et « L'Heure espagnole » de Ravel - Louis Langrée - Guillaume Gallienne - Opéra Comique - 11/03/2024

Quand le directeur de l’Opéra Comique – Louis Langrée – reprend la baguette pour défendre l’un de ses répertoires de prédilection, celui du début du XXe siècle, on peut être sûr que vitalité et raffinement seront au rendez-vous ! Autour d’une chorégraphie élégante mais un peu sage en première partie, la mise en scène de Guillaume Gallienne touche finalement au but par son respect de l’esprit des deux ouvrages réunis, où burlesque et absurde dominent.

Igor Stravinsky a embrassé tout au long de sa carrière plusieurs périodes stylistiques parfois contradictoires, des premiers pas au souffle néo-romantique emprunté à son maître Rimski-Korsakov, audibles dans les ballets L’Oiseau de feu (1910) et Petrouchka (1911), avant les audaces rythmiques et harmoniques du Sacre du Printemps (1913), porteuses de scandale. Après la Première guerre mondiale, le compositeur russe poursuit sa collaboration avec le chorégraphe Sierge Diaghilev, fondateur des Ballets russes, mais assagit radicalement son style pour privilégier une musique chambriste et tonale, avec plusieurs emprunts aux musiques du XVIIIe siècle. Ce style néo-classique est précisément initié lors de la création de Pulcinella en 1920, un ballet avec voix que l’on retrouve en première partie du spectacle présenté cette année à l’Opéra Comique.

Si l’argument est mince, en forme de marivaudage entre de jeunes tourtereaux interprétés par les danseurs, c’est davantage la musique lumineuse, virevoltante et pleine d’esprit de Stravinsky qui ravit tout du long : de quoi démontrer la capacité du compositeur à revisiter des mélodies empruntées à Pergolèse, en un style finement modernisé. Si les trois jeunes chanteurs, tous issus de l’Académie apparaissent encore un rien trop tendres, on est également déçu par les verdeurs de la formation en effectifs réduits (une dizaine d’instrumentistes) de l’Orchestre des Champs-Elysées, et ce malgré la direction pleine de panache de Louis Langrée. Particulièrement, cors et hautbois paraissent plusieurs fois à la peine, ainsi que les cordes bien aigrelettes.

Après l’entracte, le spectacle prend une tournure autrement plus réussie, avec l’Orchestre des Champs-Elysées désormais étoffé jusque dans les loges de côté : les sonorités se font plus harmonieuses pour mettre en valeur les mélodies piquantes de L’Heure espagnole (1907) de Maurice Ravel, tandis que Louis Langrée enchante par son mélange de vitalité et d’expressivité, sans jamais oublier de faire ressortir quelques nuances inattendues. L’argument emprunte au vaudeville par ses rebondissements un rien prévisibles, mais séduit par son ton burlesque et surréaliste, aux grivoiseries à peine voilées. Le livret confronte trois rivaux tous affairés à séduire la belle Concepción, en s’amusant à moquer un vieux barbon libidineux, comme un jeune premier plus amoureux de l’amour que de sa Dulcinée, pour finalement préférer les ardeurs terre-à-terre d’un gentil besogneux. La grande force du spectacle consiste à réunir une distribution entièrement francophone, qui permet à l’auditeur de se délecter de la nécessaire diction attendue. Ainsi de Stéphanie d’Oustrac (Concepción), qui met tout son tempérament au service de ce rôle qui prend davantage d’ampleur au fur et mesure du développement de la farce, bien épaulée par les lignes claires de Philippe Talbot, dans son court rôle de Torquemada. A leurs côtés, Benoît Rameau compose un désopilant Gonzalve, au lyrisme débordant, tandis que Jean-Sébastien Bou (Ramiro) et Nicolas Cavallier (Don Iñigo Gomez) ravissent toujours autant par la noblesse de leurs phrasés.

La mise en scène de Guillaume Gallienne joue quant à elle la carte de la sobriété, en plaçant les deux spectacles dans un décor unique ravissant, constitué d’une immense structure cubiste en forme d’escalier, rappelant l’univers visuel de Giorgio De Chirico. Les éclairages permettent toutefois de bien différencier les deux atmosphères mises en contraste, avec des couleurs plus franches pour figurer l’Espagne de carte postale voulue par Ravel. La mise en scène se concentre surtout sur le jeu d’acteur en tentant de donner davantage de consistance aux personnages, avec quelques artifices comiques bienvenus (l’étroitesse de l’horloge où se cache le barbon ou le postiche mal collé de Gonzalve).

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