Après L’Or du Rhin voilà deux ans, Yannick Nézet-Seguin poursuit son cycle dédié aux quatre ouvrages qui composent le Ring de Richard Wagner : place cette fois au deuxième et plus célèbre d’entre eux, La Walkyrie (composé en 1856, mais seulement créé en 1870), dont le thème inoubliable de la Chevauchée au III ne peut manquer de raisonner à l’oreille, à l’issue de chaque écoute.
Trois autres villes, Rotterdam, Baden-Baden et Dortmund, ont eu la chance de bénéficier du même concert, avant le tout dernier à Paris. Complet pour l’événement, le Théâtre des Champs-Elysées
a offert un concert de tout premier plan, sous les vivats d’un public
chaleureusement enthousiaste dès les premiers saluts à la fin du I. Et
il y avait de quoi, même si la direction de Yannick Nézet-Seguin
a pu en dérouter quelques-uns en fuyant la grande tradition germanique,
entre effets de masse et valorisation de la mélodie principale. Rien de
tout cela ici, tant le chef québécois s’évertue à alléger les textures,
pour embrasser des tempi allants dans les verticalités, en
contraste avec des ralentissements plus prononcés dans les parties
apaisées. La volonté de transparence et de légèreté donne un ton
chambriste à cette direction qui n’en oublie jamais le théâtre, en
accentuant les ruptures par des attaques sèches. En fouillant la
partition dans les moindres recoins, Nézet-Séguin ne tombe jamais dans
une lecture analytique, grâce à ses oppositions volontairement
exacerbées entre pupitres et ses phrasés d’une expressivité aérienne. Le
désormais chef honoraire de l’Orchestre philharmonique de Rotterdam insuffle une énergie sans pareille à son ancienne formation, de qualité, malgré quelques rares accrocs (trompettes ou cors).
|
Yannick Nézet-Séguin
|
Ce concert sera diffusé sur France Musique le 15 juin prochain,
à l’issue d’une semaine entière d’émissions consacrées au chef par
Judith Chaîne, avec plusieurs entretiens inédits à la clé. Si on admire
l’art du chef, force est de rendre aussi les armes devant le plateau
vocal exceptionnel réuni pour l’occasion, peut-être l’un des meilleurs
dont on puisse rêver de nos jours. A l’applaudimètre, Tamara Wilson
(Brünnhilde) remporte tous les suffrages, du fait de son investissement
scénique toujours juste, d’une délicate émotion dans les affrontements
ambigus avec son père au III. Sa virtuosité sans faille, aux aigus
parfois un peu tendus, se déploie harmonieusement, en une riche palette
de couleurs. Mais c’est peut-être dans les parties intimistes que Wilson
étonne par sa subtilité : du grand art dont on se délecte tout en
gourmandise, avec elle. A ses côtés, Elza van den Heever (Sieglinde) est
moins performante en ce domaine, mettant un peu de temps à se chauffer
au I autour d’une émission trop serrée dans le medium. Elle convainc
davantage dès lors qu’elle est en pleine voix, sans parler de ses
phrasés d’une précision redoutable dans la diction. On aime aussi le
tempérament volcanique de Karen Cargill, trop rare en
France, qui fait vivre son personnage de Fricka comme rarement face à
Wotan, accentuant la faiblesse de ce dernier.
Très émouvant tout du long, Brian Mulligan donne à
son Wotan des trésors d’humanité, grâce à ses phrasés éloquents de
noblesse, compensant une projection un peu juste par endroits. C’est
également en ce domaine que Stanislas de Barbeyrac atteint
ses limites, mais on se régale bien évidemment de son art de sculpter
les mots tout de clarté et élégance, en lien avec les intentions du
chef, tout en donnant à son Siegmund une hauteur d’âme très à propos.
Autre atout décisif, Soloman Howard (Hunding) fait
valoir un timbre non moins superbe que le chanteur français, aux phrasés
certes plus raides dans les parties techniques, mais d’une force de
projection superbe de résonance profonde. Le décolleté audacieux de son
costume, porté à même la peau, donne une autre occasion de parler de
lui, tant sa plastique de culturiste étonne, en faisant davantage penser
à un acteur de films d’action qu’à un chanteur d’opéra. Enfin, les huit
chanteuses engagées pour interpréter les soeurs de
Brünnhilde impressionnent par leur puissance littéralement décoiffante,
achevant de compléter la réussite de cette production.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire