Le retour à Bruxelles du Tour d’écrou (1954), l’un des plus parfaits chefs d’oeuvre de Benjamin Britten, est un événement à saluer, tant son livret énigmatique fascine toujours autant par l’éventail multiple de ses interprétations. Déjà montée ici-même en 2021, la production d’Andrea Breth plonge d’emblée les protagonistes dans un labyrinthe cauchemardesque d’une beauté aussi saisissante que glaciale, malheureusement un rien répétitive pour affronter la totalité du spectacle (1h50 sans entracte).
La metteuse en scène allemande choisit de placer au centre de
l’attention le personnage trouble de la gouvernante, en montrant son
désir manifestement frustré, d’abord tourné vers le tuteur des enfants,
avant les élans à peine voilés vers Miles, en fin d’ouvrage. L’éveil de
la sexualité est ainsi mis en miroir du chemin initiatique du jeune
garçon, qui avance vers les rives complexes de l’adolescence. On peut
toutefois regretter que les enfants soient montrés dès la première
rencontre comme deux éléments pour le moins dérangés, particulièrement
Miles et son couteau brandi en forme de défi : en déniant toute
ambiguïté à l’innocence initiale supposée des enfants, la mise en scène
amoindri le suspense que le livret distille peu à peu pour animer ce
huis-clos étouffant.
Andrea Breth cherche à brouiller les pistes en une
ambiance surréaliste, entre apparition de personnages incongrus
(parfois dignes d’un tableau de Magritte ou Dali) et mouvements
inattendus des décors (rétrécis ou agrandis pour créer des chatoiements
volontiers cubistes). Dès lors, on ne sait plus trop ce qui relève de la
réalité ou du cauchemar : les enfants sont-ils hantés par des mauvais
esprits ou bien ceux-ci évoquent-ils la part sombre de leurs désirs ? La
gouvernante représente-t-elle une sorte de Barbe-Bleue, comme le laisse
à supposer les enfants morts cachés dans un placard ?
Si ce travail se montre un rien répétitif sur la durée, quelques
maladresses comme l’aspect figé des interprètes (surtout au début),
viennent accentuer le statisme de l’action. De même, on regrette
qu’Andrea Beth fasse plusieurs fois chanter Miles dos au public, voire
en coulisse, ce qui nuit considérablement à la force dramaturgique des
dernières scènes, censées représenter le paroxysme de ses hésitations
entre la gouvernante et Peter Quint.
Le plateau vocal réuni apporte beaucoup de satisfaction, à l’exception notable du rôle de la gouvernante, il est vrai écrasant. Sally Matthews y souffle le chaud et le froid, du fait de son vibrato
envahissant pour atteindre les cimes de la tessiture, au détriment de
la beauté du timbre. Elle se rattrape par son sens dramatique, mais on
lui préfère les graves mordants de Carole Wilson (Mrs Grose), à l’émission souple et naturelle, de même que la flamboyante et vénéneuse Miss Jessel d’Allison Cook. Une autre grande prestation est à mettre à l’actif de Julian Hubbard
(Peter Quint), aussi inquiétant que subtilement émouvant dans les
scènes finales, à force de clarté du timbre, toujours au bénéfice du
sens. Parmi les enfants, Katharina Bierweiler (Flora)
se distingue par sa projection éloquente, là où les deux jeunes garçons
appelés à chanter Miles sont plus timides en comparaison.
Enfin, Antonio Mendez joue la carte du narratif et
de la respiration harmonieuse, en faisant valoir les sonorités
audacieuses de Britten : on reste toujours autant bluffé par les
formidables capacités d’orchestrateur du compositeur britannique, à même
de tisser une myriade de timbres inattendus, avec une formation
volontairement chambriste. Pour les prochaines représentations, on
aimerait toutefois que le chef espagnol soit un tout petit plus nerveux
dans les scènes verticales, afin de donner davantage de caractère et de
variété à sa battue.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire