On est toujours surpris de constater
combien Daniel-François-Esprit Auber (1782-1871) reste si mal connu en
France de nos jours, lui qui fut pourtant l’un des compositeurs les plus
célébrés en son temps. A l’instar de Compiègne qui a récemment montée
La Sirène, quelques maisons audacieuses revisitent occasionnellement son
répertoire composé de pas moins d’une quarantaine d’ouvrages, écrits
entre 1823 et 1869. Dans ce contexte, on ne peut que se réjouir du
retour de l’un de ses opéras les plus fameux, Le Domino noir (1837),
quelques années après la production réussie de Fra Diavolo à
l’Opéra-Comique. C’est là à nouveau l’occasion d’une coproduction avec
l’Opéra de Liège qui n’oublie pas combien Auber reste un compositeur
plus connu en Belgique qu’en France : tous les manuels d’histoire du
plat pays rappellent en effet comment une représentation bruxelloise de
La Muette de Portici lança la révolution de 1830 et la création de la
Belgique – l’ensemble de l’auditoire s’identifiant alors au peuple
napolitain en révolte contre les Espagnols.
Avec Le Domino noir, on
quitte le faste du grand opéra à la française (précisément incarné par
La Muette de Portici - voir la production de 2012 à l'Opéra-Comique) pour le confort de l’opéra-comique servi par un
très efficace livret de Scribe.
On retrouve là une histoire qui inspirera plus tard Verdi dans son Bal
masqué (1859), mais dont Scribe tire trois tableaux admirablement
différenciés, sans doute décisifs dans le succès rencontrés par
l’ouvrage. L’action prend ainsi place en trois lieux différents (bal,
dîner, couvent) sous forme de huis-clos, tout en restant fidèle aux jeux
de masque chers à Goldoni, modèle de Scribe. L’équilibre très marqué
entre chant et théâtre explique certainement pourquoi Christian Hecq et
Valérie Lesort se sont intéressés à cet ouvrage pour leur première mise
en scène lyrique. Le comédien Belge Christian Hecq est en effet membre
de la Comédie-Française depuis 2008, une institution pour laquelle il a
notamment interprété et mis en scène (déjà avec la plasticienne Valérie
Lesort) le spectacle Vingt mille lieues sous les mers, plusieurs fois
nommé aux Molières en 2016.
D’emblée, la mise en scène joue la carte
de la fantaisie autour d’une scénographie sobre et imposante : une
immense horloge sert de séparation entre les quiproquos amoureux
incarnés par les principaux protagonistes au premier plan et les
superficialités mondaines du bal visibles en arrière-scène. Dès lors que
la porte s’ouvre entre les deux mondes, des rythmes technos résonnent
pendant les dialogues : c’est là une transposition contemporaine qui
fonctionne assez bien, avec forces gags essentiellement visuels qui
rappellent souvent l’esprit du Muppet Show.
Le tout est parfois un rien redondant,
mais on sourit de bon cœur à ces joutes bon enfant, sans pour autant
s’esclaffer aux larmes. Le deuxième acte montre un Auber à son meilleur,
tandis que la mise en scène bénéficie d’une direction d’acteur plus
serrée autour du chœur masculin présent sur les tables rondes
pivotantes. Outre la Duègne désopilante de Marie Lenormand,
on notera la bonne idée du cochon rétif à toute préparation culinaire.
Le III s’enlise malheureusement dans les artifices prévisibles autour de
deux gargouilles gigotantes ou de deux statues finalement bien
vivantes : une idée déjà vue dans la production des Mousquetaires au couvent de Varney donnée à l’Opéra-Comique en 2015. Rien d’étonnant à
cela puisque les metteurs en scène se sont notamment associés Laurent Peduzzi,
habituel collaborateur de Jérôme Deschamps. Au final, cette production
fait penser au travail de l’ancien directeur de l’Opéra-Comique, mais
sans la maestria dans les enchainements : on a trop souvent l’impression
d’assister à une suite de gags qui manque de vision d’ensemble.
Face à cette mise en scène mitigée, le
plateau vocal se montre globalement satisfaisant, même si on note une
propension à privilégier les capacités théâtrales au détriment du vocal.
Ainsi de la Duègne de Marie Lenormand, aux accents
comiques délicieux mais plus à la peine vocalement, ou encore des
seconds rôles du couvent. Quoiqu’il en soit, l’ouvrage repose tout
entier sur le rôle très lourd d’Angèle, omniprésente pendant toute l’action. Anne-Catherine Gillet
s’impose à force de souplesse dans l’émission et d’attention au texte,
même si on aimerait, ici et là, davantage de prises de risque. Gageons
qu’elle saura gagner en confiance dans les prochaines représentations
pour aller plus loin encore dans sa composition. A ses côtés, Cyrille Dubois (Horace)
nous régale une fois encore de son timbre de velours et de ses phrasés
harmonieux, auxquels ne manque qu’une force de projection plus
marquante. Tous les autres rôles se montrent vocalement à la hauteur,
particulièrement Laurent Kubla (Gil Perez) et son impact physique éloquent. On mentionnera aussi le parfait Juliano de François Rougier ou encore le Lord Elford de Laurent Montel dont les accents british paraissent tout droit sortis d’un album d’Astérix.
Enfin, Patrick Davin sait imprimer des tempi qui avancent sans précipitation, tout en restant attentif à chaque inflexion musicale. L’Orchestre de l’Opéra royal de Wallonie
affiche une bonne qualité d’ensemble, même si on pourra regretter des
vents un rien trop discrets et des cordes qui manquent de tranchant. Les
chœurs, surtout les hommes, sont plus à la fête par leurs qualités de
cohésion et de diction : un régal à chaque intervention !
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