Encore donnés épisodiquement de nos jours en Allemagne, les principaux ouvrages d’Heinrich Marschner (1795-1861)
peinent à franchir les frontières, et ce malgré des qualités musicales
qui leur valurent l’admiration de Wagner. Ce fut notamment le cas des
deux plus grands succès rencontrés par le compositeur, Le Vampire (1828)
et surtout Hans Heiling (1832) : on se réjouit aujourd’hui de pouvoir
entendre ce dernier sur la scène de l’Opéra d’Essen. On comprend très
vite, à la découverte de cette musique fluide, dans le style de Schubert
et Weber, tout l’intérêt que Wagner pût y trouver : une déclamation
lyrique continue, sans numéro de virtuosité à l’italienne, avec une
prédominance du parlé-chanté mélodieux. C’est là une expérience de
pouvoir comparer sa musique avec celle de son contemporain Auber, une
journée seulement après avoir entendu Le Domino noir (1837) donné à Liège.
Face au scintillement et à l’élégance mélodique du Français, Marschner
répond par une orchestration plus robuste dans la lignée de Beethoven,
plus rythmique aussi, avec quelques échos à Haydn dans l’écriture pour
les chœurs.
L’histoire, quant à elle, dut séduire ses contemporains par
l’incursion du merveilleux et de la magie : Hans Heiling, le fils de la
Reine des Gnomes (ou des esprits de la terre selon les traductions),
choisit en effet de quitter son royaume pour rejoindre la ravissante
Anna. Ignorant tout de sa condition, celle-ci se voit d’abord charmée,
avant de retourner dans les bras de son ancien amant, Konrad. On a là en
réalité un livret qui tourne autour du traditionnel trio amoureux, même
si les interventions de la Reine (qui n’est pas sans rappeler son
équivalent mozartien de La Flûte enchantée) apportent une électricité et
une fureur… bienvenues.
La mise en scène d’Andreas Baesler a la
bonne idée de transposer l’action au milieu du XXème siècle, faisant
écho à l’histoire industrielle de la ville d’Essen. Cet ouvrage est en
effet présenté dans le cadre du festival HeimArt dont le nom évoque la
mère patrie (« Heimat ») sous forme de jeu de mot. A cet effet, on
conseillera vivement la découverte de la formidable série télévisée
éponyme (TF1 vidéos) qui relate le destin de paysans rhénans sur
plusieurs décennies. A Essen, c’est davantage la grande industrie qui a
marqué le territoire de cette ville de la Ruhr, tout particulièrement le
pouvoir considérable de l’entreprise d’armement Krupp. La villa
somptueuse de son dirigeant emblématique, Alfred Krupp (1812-1887),
située au nord de la ville, a été épargnée par les bombardements des
années 1940 : c’est là qu’Andreas Baesler situe l’action de l’ouvrage en début d’opéra dans une scénographie épurée, faisant du Gnome et de sa mère, ses descendants.
Dès lors, on assiste à une représentation de la lutte des classes avec
les sujets de la Reine transformés en ouvriers extracteurs de minerais,
avant que des images vidéos poignantes ne viennent ensuite signifier la
chute d’Hans Heiling : la destruction de l’usine comme symbole de
l’avènement du tertiaire, aujourd’hui dominant dans la Ruhr. D’autres
clins d’œil viennent plus tard rappeler le contexte local (une fanfare
entonne un hymne local bien connu), faisant de ce spectacle une réussite
autant visuelle que pertinente dans sa transposition, sans parler du
soin particulier apporté aux nombreux déplacements du chœur.
Malgré tout, quelques huées se font
entendre au moment des saluts à l’adresse de la production : les mauvais
coucheurs ont peut-être ainsi voulu signifier qu’ils en avaient assez
d’être sans cesse ramenés à « ce passé qui ne passe pas » (pour citer
Bourdieu). Quoi qu’il en soit, on conseillera vivement cette production,
d’autant plus qu’elle bénéficie d’un plateau vocal à la hauteur de
l’événement. Heiko Trinsinger s’impose dans le
rôle-titre par ses phrasés admirables de précision comme d’intention.
Servi par une puissance d’émission à l’impact physique certain, il n’est
pas pour rien dans la réussite de la soirée. A ses côtés, Jessica Muirhead
(Anna) ravit dans chacune de ses interventions par la souplesse de sa
ligne de chant et la beauté de son timbre. Seul l’aigu perd quelque peu
en substance, mais ça n’est là qu’un détail à ce niveau. Rebecca Teem
(La Reine) se montre plus en retrait, idéale de noirceur quand les
graves sont bien posés, plus décevante dès lors que le chant impose
davantage de technique. Jeffrey Dowd (Konrad) met du
temps à se chauffer autour d’une émission trop étroite et d’un timbre un
peu fatigué. Il se rattrape quelque peu par la suite mais reste en deçà
de ses partenaires.
On citera enfin la direction admirable de Frank Beermann,
très attentif à la conduite d’ensemble du discours musical, sans jamais
couvrir ses chanteurs. De quoi rendre hommage à la musique inspirée
d’Heinrich Marschner.
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