dimanche 8 décembre 2024

Concert de l’Orchestre de la Radio finlandaise - Nicholas Collon - Maison de la Musique d'Helsinki - 06/12/2024

Inaugurée voilà déjà treize ans, la Maison de la musique d’Helsinki a trouvé sa place dans le paysage enchanteur des rives du lac Töölönlahti, aux côtés de l’Académie Sibelius et de l’Opéra. Avec la neige et les couleurs sombres propres à cette saison, le contraste n’en est que plus saisissant avec l’intérieur moderne de la salle principale (1 700 places), dont les proportions et l’élégance évoquent son équivalent à la Maison de la radio et de la musique à Paris. Rien de surprenant, dès lors, à retrouver en ce lieu l’un des concerts les plus attendus de la saison pour célébrer l’anniversaire de l’indépendance finlandaise, acquise pacifiquement suite à la révolution bolchévique de 1917.

Retransmis à la télévision, le concert est donné à guichets fermés dans une salle immédiatement attentive pour la mise à l’honneur de compositeurs locaux contemporains. On découvre pour débuter la musique de Lara Poe (née en 1993), avec le bref morceau symphonique Kaamos (2020), d’une durée d’environ dix minutes. La jeune compositrice finno‑américaine fait l’étalage de dons de coloriste, en un style abordable et fluide, qui explore des sonorités originales sur tous les groupes d’instruments. Présente dans la salle, la jeune femme reçoit de chaleureux applaudissements, à l’instar d’Olli Mustonen (né en 1967), venu assister à la création mondiale de son Second Concerto pour violon dans la foulée.

Plus connu en France pour ses talents d’interprète, Mustonen adopte un langage d’une efficacité narrative bienvenue, qui brosse l’auditeur dans le sens du poil. Volontairement allégé, l’accompagnement orchestral met le plus souvent le violon raffiné et aérien d’Elina Vähälä au premier plan, en imprimant quelques scansions hypnotiques, le plus souvent homophoniques. Les deux derniers mouvements montrent davantage de tourments, avec des confrontations aux phrasés toujours très lisibles.

Après l’entracte, la Première Symphonie (1899) de Sibelius fait entendre des paysages évidemment plus connus, même si Nicholas Collon, chef principal de l’Orchestre de la Radio finlandaise depuis 2021, cherche à innover tout du long avec ses tempi mouvants : souvent cravachées, les parties enlevées trouvent ainsi un contraste éloquent avec les passages plus sereins, sans aucun vibrato. La mise en valeur des contrastes apporte quelques détails étonnants de modernité, portés par un orchestre pour qui l’ouvrage n’a plus de secret. On ne sait plus qui admirer, de la lumineuse clarinette solo aux pupitres de cuivres volontairement abrupts, sans parler des cordes, d’une souplesse admirable. Seuls les tutti trop appuyés, avec un timbalier très sollicité, forcent le trait à l’excès – là où le bis, évidemment Finlandia (1900), trouve davantage d’équilibre pour offrir une digne péroraison au concert.

samedi 7 décembre 2024

« Les Ostrobotniens » de Leevi Madetoja - Paavo Westerberg - Opéra d'Helsinki - 05/12/2024

 

Elève puis rival de son compatriote Jean Sibelius, Leevi Madetoja (1887-1947) reste injustement méconnu en dehors de son pays natal, alors qu’il est certainement un des petits maîtres les plus intéressants de sa génération. Ses deux dernières symphonies, très différentes d’esprit entre la dramatique Deuxième (1918) et la pastorale Troisième (1926), montrent toute l’évolution de son langage, aux lignes claires et épurées. Manifestement influencé par son séjour en France en 1910, où il découvre notamment Debussy, Madetoja compose deux ouvrages lyriques, Les Ostrobotniens (1924) et Juha (1934), où l’on retrouve la même économie de moyens, entre finesse harmonique et inventivité mélodique quasi inépuisable.

L’Opéra national de Finlande célèbre cette année le centième anniversaire de la création des Ostrobotniens, en lui consacrant une nouvelle production imaginée par Paavo Westerberg. Une exposition dans le hall évoque en quelques photos les huit précédentes mises en scène qui ont participé à entretenir la réputation de cet opéra emblématique en Finlande. Outre ses qualités strictement musicales, marquées notamment par un recours aux emprunts folkloriques de Botnie (vaste région centrale dont Madetoja était originaire), Les Ostrobotniens constitue la première réussite opératique en langue finnoise, là où Sibelius a échoué en ce domaine (malgré un unique essai achevé en 1896, en un acte, La Fiancée de la tour).

L’autre atout des Ostrobotniens revient à son livret d’essence vériste, qui entre en résonance avec les velléités d’indépendance de tout un peuple : les auditeurs se reconnaissent à la création dans le destin de ces paysans botniens exploités, en révolte face au pouvoir aussi expéditif que brutal d’un shérif sans foi ni loi. Si l’histoire originale visait davantage l’ancien oppresseur suédois, les auditeurs ne manquèrent pas de faire le lien avec le voisin russe, détesté pour avoir réduit peu à peu les privilèges de son Grand‑Duché, avant de lui accorder l’indépendance en 1917, du bout des lèvres. Présente en 1924, la menace expansionniste russe rôde toujours de nos jours, au moins pour les pays limitrophes.


C’est peu dire que cet opéra reste d’une actualité brûlante, qui donne encore plus de force à sa découverte sur la principale scène finlandaise. Le public ne s’y est pas trompé en venant en nombre pour célébrer l’événement, la veille de la fête nationale d’indépendance. D’emblée, l’Ouverture reprend les principaux thèmes de l’opéra, en un ton volontiers épique et dramatique. La mise en scène de l’acteur et réalisateur Paavo Westerberg, dont c’est là la toute première incursion dans le domaine lyrique, repose avant tout sur une transposition réussie de l’action dans les années 1960, rehaussée d’une scénographie spectaculaire. On aime ainsi l’idée initiale de l’abaissement vertical du rideau de scène, en forme de champ labouré, qui occupe toute la largeur du plateau. Tout au long de l’action, centrée sur les amours contrariés de deux jeunes couples idéalistes, les paysans surexploités triment en arrière‑fond, dans une bonne humeur gaillarde, entrecoupée des menaces du shérif. De quoi apporter des moments de détente comique, notamment lors des scènes de beuverie entre les deux vieillards au I. Au dernier acte, le personnage désopilant du Scribe viendra offrir un même effet de contraste, cette fois par rapport à la progression inéluctable de l’issue dramatique. Si le décor de ce même acte force l’admiration par son évocation réaliste des marais, on aurait aimé toutefois une direction d’acteur plus soutenue pour renforcer l’épaisseur des caractères des personnages. On note toutefois une attention bienvenue à lier la gestuelle des chanteurs aux moindres inflexions musicales : un sens du détail qui permet de rappeler que Madetoja, en symphoniste affirmé, a fait de l’orchestre un personnage du drame, toujours imprévisible et frémissant.

Le plateau vocal donne beaucoup de plaisir tout du long, ce qui n’est pas une mince affaire compte tenu du nombre de chanteurs sur scène. Les seconds rôles emportent l’adhésion, à l’instar des rôles comiques précités, tandis que Maria Turunen (Maija Harri) s'impose par sa présence interprétative, aux graves mordants et admirablement projetés. Si Johannes Vatjus (Antti Hanka) assure solidement sa partie, on lui préfère toutefois la ligne vocale souple et homogène sur toute la tessiture de Ville Rusanen (Jussi Harri). Son duo au début du III avec Johanna Nylund (Liisa) est l’un des sommets expressifs de l’opéra, même si on aurait aimé davantage d’investissement dramatique de la part de sa partenaire. Enfin, Tuomas Pursio se distingue par une noirceur sans ostentation dans le rôle vénéneux du Shérif, à l’instar d’un Kaapo Ijas qui soigne les équilibres dans la fosse, trouvant le ton juste entre éloquence dramatique et sensibilité à fleur de peau.

Un très beau spectacle, qui donne envie d’aller plus avant dans la découverte d’autres pépites finlandaises !