dimanche 4 mars 2018

« A Wintery Spring » de Saed Haddad et « Il serpente di bronzo » de Zelenka - Opéra de Francfort - 01/03/2018

A Wintery Spring
Comment soutenir les habitants de la Syrie empêtrés dans une guerre civile qui semble ne jamais devoir trouver de fin depuis 2011? L’élan démocratique apporté par les soulèvements du printemps arabe paraît aujourd’hui bien loin: sept longues années de conflit ont transformé les espoirs printaniers en une bise hivernale, sinistre et glacée. C’est là, sans doute, l’évocation du titre de la lamentation dramatique en trois scènes, A Wintery Spring (Un printemps hivernal) de Saed Haddad (né en 1972), donnée à Francfort en première mondiale – un an seulement après Manarah une autre création mondiale donnée à New York l’an passé. Le compositeur germano-jordanien, lui-même auteur du livret, s’est ici appuyé sur des textes du poète libanais Khalil Gibran (1883-1931) au service d’un ouvrage assez court, d’à peine 50 minutes.

C’est l’orchestre très chambriste qui domine le début de l’ouvrage par un festival de couleurs, proche de Britten dans l’exploration et l’imbrication harmonieuse des sonorités des différents instruments réunis. A l’orchestre lumineux répondent les voix plus tragiques des trois jeunes solistes, tous excellents. L’ensemble est chanté en anglais, sans doute pour donner une résonance internationale à cet ouvrage militant, avec quelques parties en arabe. Les voix féminines sont parfois soutenues par un chœur féminin enregistré dont les interventions en scansion suraiguë rappellent des passages d’El Nino de John Adams. La mise en scène de Corinna Tetzel joue quant à elle la carte de la sobriété autour de deux vastes écrans qui proposent autant des textes en allemand et arabe (au-delà des surtitres en allemand) que des captations vidéo de la foule syrienne, en proie au doute. Une des images fortes de cette mise en scène est certainement ces sillons de sable répandus sur le plateau par les chanteuses afin d’évoquer les nécessaires voies de communication à bâtir pour retrouver la paix.

Il serpente di bronzo
Les programmateurs ont eu la bonne idée de coupler cet ouvrage avec la superbe cantate de Jan Dismas Zelenka (1679-1745), Le Serpent de bronze, composée en 1730 à Dresde. Le compositeur bohémien s’intéresse à l’une des paraboles les plus saisissantes de l’ancien testament, lorsque le peuple élu fatigué de son errance dans le désert d’Egypte, doute de son Dieu et du prophète Moïse. Dieu envoie alors des milliers de serpents pour punir les incroyants, tandis que seuls sont sauvés ceux qui font allégeance à l’effigie du serpent de bronze, symbole du mal vaincu par Dieu. L’aide divine se manifeste ainsi dans le regard vers une espérance et une croyance renouvelées. C’est sans doute ce message qui relie la cantate avec A Wintery Spring, donnant au peuple syrien d’aujourd’hui la force d’une aspiration nouvelle pour trouver la lumière dans les décombres de la guerre.

La mise en scène transpose l’action en un territoire contemporain où les principaux personnages semblent livrés à eux-mêmes, indifférents aux autres. Revenant de vacances, ils affichent leur opulence, l’un jouant au golf, pendant que les autres gaspillent les fruits et légumes qui débordent de leur cabas. Le regard se centre ensuite sur la personne de Moïse et son rapport conflictuel avec Dieu: son intercession pour sauver les hommes semblent davantage ici celle d’un combat intérieur, comme un long parcours initiatique pour quitter les rives de l’aveuglement face à l’inaction.


Les interprètes réunis se montrent à la hauteur de l’événement, se jouant de la virtuosité souvent imposée par la cantate de Zelenka, en des airs souvent très longs. La mezzo-soprano Judita Nagyová (Namuel) se distingue dans son air superbe où les deux flûtes lui répondent harmonieusement avec des couleurs infinies de tendresse, même si elle laisse aussi apparaître quelques problèmes de positionnement de voix dans les accélérations. A ses côtés, Cecelia Hall (Egla) fait valoir une belle souplesse de phrasé, de même que le toujours convainquant Michael Porter dans le rôle de Moïse. Brandon Cedel (Dieu) impose sa voix chaude et sa parfaite articulation, même si on note certains décalages avec la fosse. La plus grande satisfaction de la soirée, et de loin, revient à Dmitry Egorov (Azaria), dont la voix étonnamment charnue pour un contre-ténor ne laisse pas d’impressionner, soutenue par une ligne de chant superbe et des intentions dramatiques éloquentes. Assurément un chanteur que l’on souhaite entendre à nouveau très vite!

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire