lundi 5 mars 2018

« L’Africaine / Vasco de Gama » de Giacomo Meyerbeer - Opéra de Francfort - 02/03/2018


L’Africaine ou Vasco de Gama? L’Opéra de Francfort n’a malicieusement pas répondu à cette question qui taraude les exégètes depuis plusieurs décennies, afin sans doute de préserver le maximum de chances de remplir la salle avec un ouvrage encore en partie méconnu du grand public. L’ultime opéra composé par Giacomo Meyerbeer (1791-1864) traîne en effet derrière lui la réputation d’un ouvrage inachevé, alors que Meyerbeer mit bien un point final à sa partition en 1865, décédant pendant les répétitions. On sait cependant que le compositeur originaire de Berlin corrigeait ses partitions avec un soin maniaque jusqu’au soir de la première, ôtant parfois une grande partie de la musique ou ajoutant des airs pour tel ou tel chanteur. C’est ce qui a conduit les créateurs de cet ouvrage à élaguer grandement dans cet ouvrage à nouveau appelé L’Africaine, à l’instar des premières esquisses élaborées en... 1836, alors que Meyerbeer avait finalement choisi le titre de Vasco de Gama. Dès lors, on considère désormais que la version tronquée est L’Africaine, tandis que la version complète s’appelle Vasco de Gama. C’est cette dernière qui a été donnée pour la première fois à Chemnitz en 2013, puis à Berlin en 2015.

On le dira tout net, la version tronquée semble préférable, tant les nombreux et répétitifs ariosos au premier acte impriment des longueurs heureusement mieux gérées avec des airs plus présents par la suite. C’est sans doute là la principale faiblesse de ce grand opéra à la gestation longue et au livret profondément modifié avec les années, mettant surtout en avant le trio amoureux au détriment des événements historiques, au second plan. C’est dans ce contexte que le metteur en scène Tobias Kratzer, décidément très intéressé par Meyerbeer après Les Huguenots montés à Nuremberg, puis Le Prophète à Karlsruhe, transpose l’action dans l’espace, en lieu et place du Portugal et de sa découverte des Indes. Si l’idée s’avère très réussie au niveau visuel, elle ne convainc qu’à moitié dans sa capacité à animer le plateau et à faire interagir les personnages. De nombreuses maladresses dans les déplacements du chœur, la position des chanteurs (qui chantent plusieurs fois dos au public) ou encore la mise en place des décors, viennent alourdir cette proposition scénique. On ne goûte guère, aussi, ces costumes moulants peu gracieux pour les extraterrestres, même si les ajouts comiques au II paraissent bienvenus: ainsi des adieux des femmes aux spationautes ou de Don Pedro s’asseyant inconsidérément sur la console de pilotage. Sur le fond, Tobias Kratzer tente de dépasser les relents néo-colonialistes de l’ouvrage en s’intéressant à la figure intemporelle de l’étranger et à l’universalité de la conquête spatiale pour les humains: ainsi de ses bienvenus ajouts vidéo avant ou pendant les interludes orchestraux qui donnent à voir des extraits de moments fondateurs de l’exploration de l’univers. Seule la dernière image ajoutée en fin d’opéra, lorsque les humains massacrent les extraterrestres, donne un arrière-goût d’inachevé dans la réflexion.


On est heureusement plus convaincu par l’exceptionnel plateau vocal réuni pour cette nouvelle production, d’une homogénéité parfaite jusque dans les moindres seconds rôles, très nombreux. Le rôle le plus lourd revient à Claudia Mahnke, qui interprète avec une assurance magistrale Sélika, princesse indienne éprise de Vasco de Gama. Elle impose son art des phrasés et ses graves pénétrants au service d’une interprétation nuancée et investie, recueillant une ovation méritée en fin de représentation. A ses côtés, Michael Spyres (Vasco de Gama) impressionne toujours par sa diction parfaite du français, son émission souple et son incarnation naturelle. On regrettera seulement ses aigus de plus en plus chétifs les années passant, heureusement compensés par sa capacité à doser au mieux les passages difficiles. Kirsten MacKinnon (Inès) ne manque pas de puissance en comparaison, mais peine aussi à maîtriser un vibrato envahissant, vraiment pénible dans l’aigu. Thomas Faulkner (Don Diego) surprend en début d’opéra avec une émission nasale et un timbre légèrement voilé, heureusement meilleur ensuite, faisant valoir ses qualités d’articulation et son beau timbre grave. On mentionnera encore la belle maîtrise du Chœur de l’Opéra de Francfort dans la prononciation du français et la cohésion d’ensemble, admirablement soutenu par la direction sensible et narrative d’Antonello Manacorda, très à propos.

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