Quel bonheur que Paris
découvre la formidable production de Benvenuto Cellini réglée par Terry Gilliam, l’ancien humoriste de la troupe des Monty
Python ! Devenu scénariste et réalisateur reconnu à force de succès
planétaires, de Brazil à L’Armée des douze singes, en passant par
l’excellent Las Vegas Parano, ce grand nom du cinéma emporte l’adhésion
par l’audace de son imaginaire parfaitement rendu au niveau visuel.
Depuis 2011, le Britannique s’est opportunément lancé dans la mise en
scène d’opéra en choisissant un ouvrage difficile à monter au niveau
scénique, La Damnation de Faust de Berlioz. C’est encore le compositeur
français qui stimule l’imagination de Terry Gilliam avec ce Benvenuto
Cellini créé à l’English National Opera à Londres en 2014 et repris
partout ailleurs ensuite, d’Amsterdam à Barcelone,
en passant par Rome. Le cinéma viendra à son tour rendre hommage à ce
superbe spectacle, le 12 avril prochain.
Le deuxième opéra de
Berlioz a essuyé un échec retentissant à sa création en 1838 à Paris, du
fait d’une inspiration inégale, alternant les passages convenus (le
tout début de l’opéra et le milieu du IIe acte surtout) avec des pages
brillantes, telle que Le Carnaval romain – adapté ensuite par Berlioz
dans la célèbre pièce de concert éponyme. Berlioz tourne le dos aux
facilités mélodique et rythmique de Rossini et Auber pour embrasser un
style plus proche de Beethoven et Weber, voire Mendelssohn dans
l’utilisation aérienne des vents, tout en annonçant le grand opéra dans
les scènes d’ensemble grandioses avec chœur. On se délecte tout du long
des nombreux détails piquants dévoilés par l’orchestre imaginatif du
français, malheureusement peu mis en valeur par la direction analytique
de Philippe Jordan. On gagne en précision et en clarté des textures ce
que l’on perd en vision d’ensemble et en éclat. Les tempi mesurés
permettent cependant aux chœurs de se jouer des nombreuses difficultés
de la partition : José Luis Basso et ses troupes sont ainsi logiquement
très applaudis en fin de représentation.
L’ovation la plus fournie
est toutefois remportée par le superlatif Ascanio de Michèle Losier,
dont l’articulation et la projection force l’admiration, sans parler de
l’investissement dramatique constant. On aimerait pouvoir entendre la
mezzo-soprano canadienne dans un rôle plus développé encore, digne de
son talent. Pourtant spécialiste du rôle-titre, John Osborn surprend en
début de représentation avec une émission portée par un léger vibrato et
quelques décalages avec la fosse. Puis la voix prend toute son ampleur,
autour d’une souplesse et d’une harmonie dans les phrasés jamais prise
en défaut malgré les difficultés techniques nombreuses. A l’instar de
Michèle Losier, la prononciation du français est idéale. Maurizio Muraro
(Giacomo Balducci) déçoit par sa faible projection et son timbre
fatigué, tandis qu’Audun Iversen (Fieramosca) assure tout juste sa
partie, sans briller. Après un début hésitant, Marco Spotti (Le pape)
convainc par sa force d’incarnation, tandis que Pretty Yende (Teresa) se
distingue par sa grâce subtile, malheureusement un peu en difficulté
dans la puissance et le suraigu.
Terry Gilliam porte son
imagination délirante au moyen d’une scénographie qui nous plonge au
temps de Dickens, dans l’esprit forain propre à l’ouvrage. L’ouverture
fait d’emblée entrevoir une partie des nombreuses surprises qui vont se
succéder au cours de la représentation, animant le moindre temps mort à
la manière d’un Jérôme Deschamps. Les tenants du minimalisme n’ont qu’à
bien se tenir, ce spectacle n’est pas pour eux ! On se délecte tout du
long de la reconstitution historique minutieuse dans ses moindres
détails (jusque dans ses anachronismes assumés !), faisant vivre cette
cour des miracles avec force danseurs et acrobates. Les clins d’œil
comiques savoureux, des grivoiseries à la moquerie des goûts
« artistiques » du Pape, ne sont pas pour rien dans la réussite du
spectacle. Autour d’un décor mouvant et déstructuré, les trompe-l’œil
comme la vidéo sont utilisés avec discrétion et pertinence : la
représentation finale de la fonderie est ainsi un véritable tour de
force visuel, tout autant que la magnificence de la statue enfin achevée.
De quoi ravir un public qui réserve une belle ovation à toute la
troupe.
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