Avec la création mondiale du tout premier ouvrage lyrique de l’Israélien
 Adam Maor (né en 1983), ce n’est pas le moindre des plaisirs que 
d’entendre l’hébreu chantée sur scène: l’exceptionnelle vitalité du 
cinéma israélien nous a fait apprécier depuis de nombreuses années la 
musicalité et la richesse des sonorités de cette langue. Qu’il nous soit
 permis de rendre brièvement hommage à l’une des interprètes du Septième
 Art trop tôt disparue en la personne de Ronit Elkabez, inoubliable 
héroïne de La Visite de la fanfare en 2007. A l’instar des Mille endormis
 de Maor, ce film traitait avec malice des rapports entre les Israéliens
 et leurs voisins arabes, jouant sur la tendresse et l’humour. On 
retrouve un tel parti pris dans cette création qui pousse plus loin 
encore l’absurdité de cet irréconciliable conflit, en imaginant des 
terroristes arabes capables de s’introduire dans les rêves du peuple 
juif pour le priver de sommeil. De cette fable qui bascule dans un 
irréel fantastique et philosophique, on retiendra le beau message final,
 qui veut rappeler combien la communauté humaine devrait s’attacher à 
souligner son unité plutôt que ses illusoires différences – qu’elles 
soient ou non d’ordre religieux.
Le librettiste Yonatan Levy, également metteur en scène, choisit de 
centrer l’action dans le bureau d’un Premier ministre d’opérette, empli 
des lits des prisonniers arabes en arrière-scène. Les figurants ne 
bougent jamais de cet espace seulement varié par les éclairages, tandis 
que les interprètes s’affairent devant eux en des poses assez statiques.
 S’il est assez regrettable que la direction d’acteur ne soit pas 
davantage imaginative, on pourra arguer que ce minimalisme sert ce 
cauchemar éveillé d’où ressortent admirablement les costumes inspirés 
des séries de science-fiction des années 1960. On est cependant plus 
convaincu par la variété d’inspiration de la musique d’Adam Maor, qui 
sait s’écarter du corset d’une musique bruitiste et atonale, largement 
sollicitée au début, pour mieux embrasser des influences diverses, 
particulièrement celles des musiques traditionnelles du Moyen-Orient. On
 ne peut que l’inciter à aller plus loin encore dans cette voie à 
l’avenir, tant le résultat séduit ici tout du long. Si la mélodie hésite
 toujours à se former, Maor a l’intelligence de soigner les transitions 
entre les différents climats, tout en montrant un instinct dramatique 
toujours audible dans les moindres inflexions de l’action.
Le chant se surprend parfois à emprunter les atours séduisants du mélisme, tout en imposant aux interprètes des sauts importants de registre, entre graves et aigus en voix de tête. Benjamin Alunni laisse entrevoir quelques imperfections techniques dans ces passages qui demandent une grande agilité, mais se reprend bien par ailleurs. A ses cotés, Tomasz Kumięga impose un solide Premier ministre, tandis que Gan-ya Ben-gur Akselrod émerveille en fin d’ouvrage dans sa transfiguration aux séductions vocales orientales, le tout accompagné par une musique raréfiée, d’un raffinement subtil. Elena Schwarz conduit avec beaucoup de précision son parfait ensemble, United Instruments of Lucilin – unique formation luxembourgeoise spécialisée dans la musique contemporaine.
Il faut découvrir ce petit bijou d’inventivité, très bref (une heure de spectacle), qui s’épanouit dans le cadre idéal du Théâtre du Jeu de Paume et sa petite jauge d’à peine 500 places – avec l’apport des surtitres en français et en anglais. Enfin, la salle climatisée permet de trouver un havre de fraîcheur bienvenue en cette saison: un atout de taille qui devrait convaincre les derniers récalcitrants à forcer les portes de ce théâtre familier du Festival d’Aix-en-Provence.


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