Neuf ans après la récréation en version de concert de L’Etranger (1903) de Vincent d’Indy,
le festival de Radio France remet au gout du jour la musique du
compositeur avec l’un de ses ouvrages les plus emblématiques, Fervaal (1897). Souvent qualifié de “Parsifal français”, l’ouvrage laisse transparaître
l’immense admiration pour Wagner, en choisissant tout d’abord d’être son
propre librettiste, puis en puisant son inspiration dans la
mythologique nordique, ici transposée au service de la glorification du
peuple celte. Au travers du parcours initiatique de Fervaal, d’Indy met
en avant ses obsessions militantes, entre patriotisme royaliste et
ferveur catholique, incarnées par le mythe du sauveur, ici adoubé par le
double pouvoir religieux et politique contre les menaces des
envahisseurs sarrasins. L’avènement d’un monde nouveau en fin d’ouvrage
signe la fin des temps obscurs et du paganisme, tandis que les destins
individuels sont sacrifiés au service de cette cause. La misogynie et le
profond pessimisme de d’Indy suintent tout du long, répétant à l’envi
combien l’amour n’enfante que douleur : la femme, dans ce contexte, ne
peut représenter que l’enchanteresse qui détourne du devoir, rappelant
en cela les sortilèges séducteurs de la Dalila de Saint-Saëns.
Si le livret tient la route jusqu’au spectaculaire conseil des chefs, et
ce malgré une action volontairement statique en première partie, il se
perd ensuite dans un redondant deuxième duo d’amour et un interminable
finale pompeux. Initié en 1878, l’ouvrage trahit sa longue et difficile
gestation par la diversité de ses influences musicales, de l’emphase
savante empruntée à Meyerbeer et Berlioz au II et III, au langage plus
personnel avant l’entracte. D’un minimalisme aride, difficile d’accès,
le prologue et le I entremêlent ainsi de courts motifs aux effluves
légèrement dissonantes, révélateurs d’ambiances fascinantes et
envoûtantes, au détriment de l’expression de mélodies plus franches.
L’orchestration laisse les cordes au deuxième plan pour privilégier les
vents, tandis que les solistes s’affrontent en des tirades déclamatoires
étirées, semblant se parler davantage à eux-mêmes qu’à leurs
interlocuteurs.
Gaëlle Arquez et Michael Spyres |
On pourra évidemment regretter le peu
d’interaction entre les solistes réunis à Montpellier, alors que
d’autres versions de concert se prêtent parfois au jeu d’une animation
minimale du plateau, à l’instar de celles proposées par René Jacobs.
Quoi qu’il en soit, on note d’emblée le trait d’humour bienvenu de Michael Spyres
(Fervaal) qui arbore un kilt sombre, sans doute pour rappeler ses
origines celtes, avant de s’emparer de ce rôle impossible avec la
vaillance et l’éclat des grands jours : très à l’aise tout au long de la
soirée, il reçoit logiquement une ovation debout en fin de
représentation. Ses deux principaux partenaires se montrent également à
la hauteur de l’événement, tout particulièrement Gaëlle Arquez
(Guilhen) dont la pureté du timbre et la rondeur d’émission ronde ne
sacrifient jamais la compréhension du texte. On note toutefois quelques
légers problèmes de placement de voix dans les interventions brusques –
qui ne gâchent pas la très bonne impression d’ensemble.
Mais c’est peut-être plus encore Jean-Sébastien Bou (Arfagard) qui séduit par son talent dramatique et l’intensité de ses phrasés, portés par une diction minutieuse. On lui pardonnera volontiers une tessiture limite dans les graves, tout autant qu’un manque de couleurs vocales ; d’autant plus que le baryton français semble souffrir d’une toux qui lui voile légèrement l’émission, ici et là. A ses cotés, hormis un inaudible Rémy Mathieu, les seconds rôles affichent une fort belle tenue, surtout à l’oeuvre dans la scène du conseil précitée. On mentionnera encore une fois la prestation parfaite de Jérôme Boutillier, entre aisance vocale et interprétation de caractère, qui le distingue de ses acolytes.
On n’est guère surpris de voir Michael Schonwandt tirer le meilleur de l’Orchestre de l’Opéra national Montpellier Occitanie,
en un geste classique très équilibré qui convainc tout du long, à
l’instar des deux choeurs très bien préparés. Outre la diffusion sur
France Musique, un disque devrait parachever cette renaissance de l’un
des monuments de la musique française de la fin du XIXème siècle, dans
la lignée de ses contemporains Chausson et Magnard.
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