On comprend tout de suite, en contemplant le site majestueux de Bad
Wildbad depuis les hauteurs, pourquoi Rossini vint y faire une halte en
1856: cernée par les montagnes dans une enclave au cœur de la Forêt
noire, la ville dédiée aux bains, à l’instar de ses voisines Baden-Baden
ou Karlsbad, attire autant des curistes pour son air pur et ses eaux
bienfaisantes, que des passionnés d’activités sportives en tout genre –
de la randonnée au VTT. Si cette ville de 10000 habitants a souffert des
regrettables erreurs architecturales de l’après-guerre, elle conserve
néanmoins quelques joyaux incontournables, tels que les Bains du Roi
Karl de Wurtemberg (König-Karls-Bad), tout en bénéficiant de la présence du festival lyrique Rossini depuis 1989, au renom international. En
plus des concerts organisés dans toute la ville, trois grandes
productions sont présentées chaque année avec de jeunes espoirs du bel
canto, qui ont la possibilité de parfaire leur technique et leur style
sous les conseils avisés de l’un des meilleurs spécialistes de Rossini,
Reto Müller, par ailleurs président de la Deutsche Rossini Gesellschaft.
Rien d’étonnant, dès lors à ce que Naxos édite les nombreuses raretés dévoilées chaque année par Bad Wildbad afin de faire connaitre l’ensemble des ouvrages du Cygne de Pesaro. Pour autant, on doit à Decca la bonne idée de réunir Annick Massis et Juan Diego Flórez pour défendre au disque la sous-estimée Matilde di Shabran,
dans son adaptation napolitaine enregistrée sur le vif à Pesaro en
2004. Alors que Bad Wildbad avait également donné cette version en 1998,
le festival se tourne cette année vers la toute première mouture
romaine de 1821, réputée achevée en toute hâte avec l’aide de Giovanni
Pacini, tout en y incorporant des extraits d’ouvrages anciens de
Rossini. L’ouvrage présenté à Naples permettra au maître de remplacer
les apports de son collègue, avant qu’une nouvelle version viennoise
n’ajoute un air original pour Corradino (remplaçant l’air romain ancien,
supprimé à Naples). Il est à noter que les représentations données
cette année à Bad Wildbad font l’impasse sur cet air, du fait du retrait
à la dernière minute du ténor Michele Angelini, pour cause d’accident
neurologique (cela ne s’invente pas), heureusement sans gravité.
Son remplaçant, Francisco Brito, ne connaissant que le rôle napolitain, a en effet préféré alléger sa partie déjà fort conséquente – surtout pendant l’interminable premier acte, d’une durée d’environ 2 heures sans entracte. On saluera bien entendu la performance au pied levé du ténor argentin, qui fait valoir sa petite voix par une émission de velours et des phrasés de caractère. Si l’émission est parfois un peu nasale, on notera une certaine fatigue au cours de la soirée, bien compréhensible, et quelques difficultés dans les vocalises, moins aériennes que sa partenaire Sara Blanch (Matilde). Il est vrai que la soprano espagnole irradie à chacune de ses interventions, tant son aisance technique confondante ne semble pouvoir être prise en défaut, au service d’une interprétation dramatique admirable de naturel. Avec ses aigus rayonnants, elle est la plus belle révélation vocale de la soirée, aux côtés de l’impeccable Victoria Yarovaya (Edoardo), toute de puissance maîtrisée et de couleurs. Son agilité sur toute la tessiture, comme son sens des nuances, lui valent des applaudissements nourris en fin de représentation, à l’instar des deux chanteurs précités.
Tout le reste de la distribution montre un bon niveau homogène, à la hauteur de l’événement. On notera tout particulièrement la basse solide de Ricardo Seguel (Ginardo) ou la belle musicalité de Lamia Beuque (Contessa d’Arco). La relative déception vient de la direction engagée mais trop sonore de José Miguel Pérez-Sierra, qui oublie de s’adapter à cette petite salle de 400 places, en forme de boîte à chaussure. Il couvre ainsi à plusieurs reprises ses chanteurs dans les tutti, tandis que le chœur, de bonne tenue, parvient plus facilement à passer la rampe. On conclura enfin sur la banale mise en scène de Stefania Bonfadelli qui, malgré une bonne idée de départ, n’apporte pas grand-chose sur la durée. La belle scénographie de Serena Rocco permet de transposer l’action dans le monde machiste de l’entreprise, en lien avec la misogynie de Corradino, ici transformé en rédacteur en chef omniprésent. Pour autant, il aurait fallu aller plus loin dans cette idée, notamment pendant la première heure entièrement masculine, qui permet de douter de la virilité de Corradino, aux allusions constantes dans le livret. Cela aurait permis de dépasser les faiblesses de cette version romaine inégale, qui n’évite pas l’alternance de remplissage avec des airs et ensembles de toute beauté. Dommage.
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