Programmer un ouvrage de Verdi réputé mineur reste toujours une gageure pour les institutions lyriques, qui doivent pouvoir compter sur la confiance et la fidélité de leur public : ainsi de Francfort, Strasbourg ou Dijon, qui ont récemment monté avec succès le méconnu Stiffelio (1850). On sait aussi pouvoir compter sur les efforts du festival de Buxton, en Angleterre, qui a exhumé la version originale de Macbeth en 2017, avant de nous offrir la première britannique d’Alzira (1845) l’année suivante, à chaque fois dans une mise en scène confiée à Elijah Moshinsky.
C’est cette fois au tour de l’Opéra de Liège de prendre le risque d’une programmation originale, pour ce qui constitue la première en Belgique de cet ouvrage : l’Institution wallonne a réussi son pari en accueillant un public nombreux et enthousiaste, conquis par une distribution vocale aussi homogène qu’idoine. C’est là l’habituel point fort de Liège, qui n’a pas eu à souffrir de son changement de directeur en 2021 (Stefano Pace ayant succédé à Stefano Mazzonis di Pralafera), en écartant les stars lyriques pour leur préférer des jeunes pousses montantes ou des chanteurs négligés dans nos contrées (notamment Jean Teitgen, plusieurs fois invité ici).
A l’applaudimètre, Luciano Ganci (Zamoro) remporte tous les suffrages, du fait d’un timbre superbe et admirablement projeté, d’une longueur de souffle radieuse et pénétrante. Le plaisir physique immédiat vient vous prendre aux tripes et permet de balayer les approximations du positionnement de voix dans le médium ou le peu de subtilité dramatique, par endroits. L’investissement scénique constitue précisément la grande force de Giovanni Meoni (Gusmano), qui fait oublier un timbre un peu terne par une maîtrise souveraine de l’articulation, au service d’une noblesse de phrasés très à propos. On aime aussi le chant engagé et lumineux de Francesca Dotto (Alzira), aux graves superbes. A ses côtés, tous les seconds rôles emportent l’adhésion, de même que le Choeur de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, très bien préparé pour l’occasion. L’ensemble est porté par le geste vif et enflammé de Giampaolo Bisanti, nouveau directeur musical : un rien trop sonore par endroit, son enthousiasme est porté par des attaques sèches, bien contrasté par une attention à la poésie au niveau des passages plus apaisés.
L’autre grand plaisir de la soirée reste la découverte sur scène d’Alzira, dont on se régale paradoxalement des imperfections : on aura rarement entendu un Verdi aussi audacieux au niveau orchestral, à l’élan juvénile débordant de sève et d’imagination. L’intrigue convenue et ramassée de cet opéra, parmi les plus courts de son auteur (1h30 de musique), fait certes sourire par ses transitions aux contrastes parfois abruptes, mais donne une vitalité toujours entrainante et stimulante.
Essentiellement visuelle, la mise en scène du Péruvien Jean-Pierre Gamarra ne cherche pas à donner davantage de consistance au livret, si ce n’est en soulignant combien les méfaits des conquistadors prennent aujourd’hui d’autres formes. On entend ainsi à l’issue du Prologue un extrait vocal sur les souffrances endurées par des expropriés contemporains. Au-delà, Gamarra joue la carte de la sobriété avec une scénographie épurée qui repose essentiellement sur les mouvements du choeur, sollicités comme un élément de décor. On découvre ainsi plusieurs tableaux humains chorégraphiés sans ostentation et toujours adaptés à la situation dramatique : un travail modeste et consciencieux, qui permet de se concentrer sur les états d’âme des protagonistes, souvent amenés à chanter en bord de scène.
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