Construit en 1965 et complètement rénové en 2018, le Théâtre Janácek
accueille la saison d’opéra de la deuxième ville de Tchéquie avec tout
le confort moderne attendu pour ce type de salle, notamment en termes de
largeur de scène et de visibilité pour tous. En dépit de son acoustique
froide et peu réverbérée, la salle de près de 1 400 places affiche
complet pour la reprise de la production de Salomé (1905), créée
en juin dernier. Il faut dire que le spectacle réglé par le Tchèque
David Radok impressionne d’emblée par sa concentration sur le drame, en
élaborant un huis‑clos étouffant et d’une théâtralité passionnante dans
le moindre de ses détails.
Apre, austère et granitique, la scénographie laisse entrevoir au début
un diner en arrière‑scène, avec Hérode et sa femme, pendant que Salomé
soudoie les geôliers de Jochanaan : tous les personnages agissent
bizarrement, entre regards apeurés et postures lentes ou saccadées,
notamment les serviteurs ostentatoirement affairés. Cette direction
d’acteur millimétrée dans chaque geste permet au moindre second rôle de
se distinguer, David Radok construisant peu à peu une atmosphère
fantastique et irréelle, hors de toute temporalité. Pour autant, il n’en
oublie jamais de coller parfaitement aux intentions du livret,
insistant par exemple sur les origines sociales différenciées du
souverain et de son épouse, opposés autant par leurs costumes (évocation
des origines bédouines d’Hérode) que leur attitude, plus arrogante et
fière chez Hérodias. Ce spectacle très réussi insiste en effet sur la
faiblesse du souverain, ostensiblement fatigué et perturbé, face à une
cour d’obligés qui tentent de le manipuler – les femmes en premier lieu.
De quoi éclairer ce personnage d’une singularité finalement très
attachante et pétrie d’humanité, a contrario de ses comparses.
Dans cette atmosphère de fin du monde où tous les repères semblent
brouillés, à l’exception des rapports de domination, les religieux ne
sont pas davantage épargnés, assistant avec avidité à la danse de plus
en plus torride et sulfureuse de Salomé, aux côtés d’un Hérode médusé.
On ne peut évidemment apprécier un opéra de Strauss sans rendre justice aux musiciens, très sollicités par la partition et tous exemplaires dans l’exploration des couleurs du drame : même si l’on pourrait souhaiter direction plus extravertie dans la mise en valeur des contrastes, le tapis sonore soyeux et chatoyant, délicatement ouvragé par Marko Ivanovic, n’est pas pour rien dans la réussite de la soirée.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire