vendredi 3 novembre 2023

« La Belle au bois dormant » de Piotr Ilyitch Tchaïkovski - Opéra de Prague - 29/10/2023

Il est finalement peu de productions qui sonnent comme une évidence, vous laissant littéralement sonné et ravi tout au long du spectacle : ainsi de La Belle au bois dormant imaginée en 1987 par Márcia Haydée pour le Ballet de Stuttgart et reprise depuis comme une traînée de poudre à travers le monde. D’emblée, l’ancienne danseuse étoile brésilienne affiche son intention de donner davantage d’épaisseur dramatique au livret du deuxième ballet (1889) de Tchaïkovski : l’ajout d’un rôle comique confié au Maître de cérémonie, farfelu et autocentré, permet de se délecter de plusieurs saynètes piquantes en arrière‑plan, parallèlement aux scènes dansées. Ce personnage, interprété par un désopilant Mathias Deneux, permet ainsi d’offrir quelques moments de respiration dans l’alternance un rien répétitive de divertissements dansés au début, en brossant subtilement la frivolité et l’insouciance des puissants, avant l’arrivée de Carabosse. Si l’on est peu sensible à cet humour cocasse, il est possible de ne pas prêter attention à cette « mouche du coche », qui ne prend jamais le pouvoir sur l’action principale.

Toujours attentive aux moindres détails de l’inflexion musicale, Haydée parvient à tisser un récit plus fourni entre les différents personnages, notamment lors de la ronde des quatre prétendants d’Aurore, qui rivalisent d’attention à son égard. La scène du quadruple baiser, puis du quadruple salut, donne à voir toute l’imagination de la chorégraphe dans l’exploration géométrique de l’espace, autour de nombreuses entrées symétriques à contretemps, à l’élan virevoltant. C’est là l’occasion de démontrer toute la virtuosité technique ébouriffante d’Ayaka Fujii en Aurore, très touchante, avant son duo de grande classe avec le Prince engagé de Patrick Holecek.

Le rôle de Carabosse est renforcé par la présence physique de John Powers, qui s’impose par son envergure aux bras démesurés, embrassant tout l’espace autour de lui, aussi bien horizontalement que verticalement. Dans un premier temps, sa danse mi‑sensuelle mi‑inquiétante balaye ses rivaux un à un, au moyen de sa sinistre cape noire : c’est là un fil rouge merveilleusement réutilisé ensuite, que ce soit dans le jeu avec le rideau de scène pour épier Aurore grandissante, ou dans la confrontation aérienne et mouvante entre ses sbires et le Prince. Pour autant, cette agitation n’a aucun effet sur la Fée des Lilas, qui réduit l’aura maléfique par une autorité sereine et confiante, sans artifices ni effets. L’interprétation de Nana Nakagawa dans ce rôle est ainsi un modèle de grâce lumineuse, sans aucune ostentation.

La dernière partie du spectacle est tout aussi réussie, en emportant le spectateur dans un festival de couleurs, à l’esprit bon enfant lors de la présentation des différents personnages de contes de fée. L’alternance de moments gracieux (splendide Oiseau bleu) et de passages comiques (entre Blanche‑Neige et ses sept « enfants nains » ou encore l’hilarant duo des chats) donnent une vitalité toujours soutenue.

Enfin, on se délecte tout du long de la mise en place « naturelle » du moindre élément de décor, le tout s’insérant naturellement dans le mouvement chorégraphique d’ensemble. Que dire, aussi, de l’exceptionnelle inventivité des costumes, qui osent des couleurs et matières inattendues (entre pastels, fleurs et dentelles), avec un goût exquis. De quoi ressortir avec des étoiles pleins les yeux, et ce d’autant plus que la direction de Václav Zahradník (hormis un début un peu trop vif) est un régal d’inventivité narrative, tout en fouillant les détails de la partition avec beaucoup d’esprit et de finesse.

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