Quasi inconnue de la plupart des mélomanes, la figure de la compositrice Louise Bertin (1805-1877) fait un retour inattendu sur les planches avec ses deux grands ouvrages lyriques donnés coup sur coup cette année : après Fausto (1831) en juin dernier, place cette fois à La Esmeralda (1836), sur un livret écrit par Victor Hugo lui-même. On se reportera à la présentation très complète de ce spectacle créé à St-Etienne début novembre, en prélude à une vaste tournée à travers toute la France.
On ne peut que se réjouir de voir remise au gout du jour la musique de Bertin, qui sidère par son inventivité et sa variété, par ailleurs dotée d’un instinct théâtral très sûr : la vitalité joyeuse des scènes populaires, très présentes ici, contraste avec les parties plus intimistes, entre les réparties sombres et vénéneuses de Frollo et les envolées aériennes dévolues à Esmeralda et Phoebus. Quasimodo est moins gâté par la partition, mais bénéficie d’un air bissé à la création (interprété ici un rien trop prudemment par un Christophe Crapez manifestement fatigué). L’arrangement pour cinq instruments réalisé par Benjamin d’Anfray, centré sur les personnages principaux à partir de la réduction écrite par Liszt, est le point fort de la soirée, tant il évoque les atmosphères changeantes avec beaucoup d’à-propos dramatique, de sensibilité et de mordant. Le piano véloce et narratif de d’Anfray n’est pas pour rien dans cette réussite, même s’il doit subir la longue « ouverture » confiée à une musique électronique enregistrée, aux basses assourdissantes et aux mélodies frustes.
Le plateau vocal réuni souffre de nombreuses disparités : Martial Pauliat (Phœbus) n’a malheureusement pas le niveau technique requis pour le rôle, enfilant les fausses notes avec une régularité aussi sidérante que son aplomb scénique, peinant dans les sauts de registre et dans l’aigu, tout particulièrement. Plus aguerri, Renaud Delaigue (Frollo) donne davantage de plaisir dans la tessiture grave, d’une belle résonance, malgré une émission parfois engorgée. Il est dommage que les aigus lui manquent, ce qui occasionne, au final, une autre déception. A ses côtés, l’éloquent Arthur Daniel se distingue dans le rôle théâtralement élargi de Clopin, même si ses qualités de chanteurs restent modestes. Le seul rayon de soleil vocal de la soirée vient de Jeanne Mendoche (La Esmeralda), qui empoigne avec aisance son rôle au niveau technique, sur l’ensemble de la tessiture. Il lui reste à donner davantage d’incarnation dramatique, en portant une attention plus prononcée à la respiration et au texte, pour pleinement nous emporter.
La mise en scène de Jeanne Desoubeaux souffle le chaud et le froid pendant tout le spectacle, en peinant à trouver le ton juste dans ses outrances répétées. La longue scène d’ouverture en forme de joyeux bordel, entre happening et défilé de mode underground, n’apporte rien à la compréhension des enjeux qui vont suivre. De même, la volonté de marier les costumes de différentes périodes (du Moyen-Age à la création de l’opéra, en passant par la nôtre) échoue à distinguer les statuts sociaux entre les personnages. On est davantage convaincu par la vitalité de la scène de cabaret, resserrée au-devant de la scène, même si Desoubeaux a parfois la main lourde pour figurer les outrances de Phoebus, notamment sa nudité longuement exposée. La scénographie figurant le chantier actuel de Notre-Dame de Paris est en revanche une réussite, permettant d’explorer toute la géométrie du plateau, jusque dans les hauteurs préférées par Quasimodo.
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