Reportée par la pandémie, la nouvelle production d’Aïda (1871)
imaginée par Lydia Steier fait l’événement à Francfort (après
quarante‑deux ans d’absence), tant on connaît la capacité de la metteur
en scène américaine à ne pas laisser indifférent, en cherchant toujours à
renouveler l’approche des ouvrages qui lui sont soumis. Exit l’Egypte
de pacotille : place à une sorte de bunker qui résiste tant bien que mal
aux bombardements, audibles au I lors d’une sorte d’interlude guerrier
particulièrement long et éprouvant. Certains spectateurs ne peuvent
s’empêcher de siffler ce rajout : c’est là pourtant un élément décisif
de ce huis‑clos étouffant, transformé en brûlant manifeste contre la
guerre. En tant qu’incarnations de la masculinité toxique, ivres d’en
découdre, les hommes du chœur sont ainsi grimés en militaires
grabataires, aussi ridicules qu’agressifs, à peine adoucis par l’arrivée
de leurs partenaires féminines, tout aussi superficielles dans leurs
mimiques de courtisanes. Dans cette optique, Amneris devient une furie
sanguinaire terrorisant ses suivantes, réduites au silence face à ses
meurtres gratuits et spectaculaires. Dans cette atmosphère de fin du
monde, la folie peut constituer un refuge confortable, ce dont s’empare
le grand prêtre lors de visions cauchemardesques toutes plus
angoissantes les unes que les autres.
Cette mise en scène audacieuse et très sombre impose une tension de tous
les instants, très éprouvante dans la première partie, avant de
s’adoucir quelque peu après l’entracte. La réalisation visuelle donne un
impact fort à cette proposition, notamment au niveau des éclairages
très variés, sans parler des ralentis hypnotiques qui mettent en valeur
quelques velléités individuelles d’interrogations existentielles, loin
de la foule. Face à cette mise en scène de haut vol, le plateau vocal
proposé déçoit quelque peu dans les rôles principaux. Ainsi de l’Aïda
d’Ekaterina Sannikova qui compense un aigu métallique par un sens
dramatique et une technique très sûrs, à l’inverse de son partenaire
Stefano La Colla (Radamès), au timbre solaire et chaleureux, mais en mal
de justesse. A leurs côtés, Claudia Mahnke compose une Amneris d’une
noirceur engagée, malheureusement peu audible dans les ensembles et
desservie par un vibrato envahissant sur toute la tessiture. On est plus
convaincu par les solides Andreas Bauer Kanabas (Ramfis) et Kihwan Sim
(Le roi), mais c’est plus encore les graves superbes de Nicholas
Brownlee (Amonasro) qui emportent l’adhésion à force d’intention et de
mordant dans l’émission.
Outre un chœur très investi, plus convaincant que l’avant‑veille
dans le répertoire russe, on se délecte tout du long de la direction
toute de respiration d’Erik Nielsen, qui sait s’enflammer dans les
parties plus verticales, en un respect redoutable de précision
s’agissant des équilibres avec le plateau.
Parce que la culture se conjugue sous plusieurs formes, il sera sujet ici de cinéma, de littérature, de musique, de spectacles vivants, selon l'inconstante fantaisie de son auteur
lundi 18 décembre 2023
« Aida » de Giuseppe Verdi - Lydia Steier - Opéra de Francfort - 17/12/2023
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