lundi 18 décembre 2023

« Aida » de Giuseppe Verdi - Lydia Steier - Opéra de Francfort - 17/12/2023

Reportée par la pandémie, la nouvelle production d’Aïda (1871) imaginée par Lydia Steier fait l’événement à Francfort (après quarante‑deux ans d’absence), tant on connaît la capacité de la metteur en scène américaine à ne pas laisser indifférent, en cherchant toujours à renouveler l’approche des ouvrages qui lui sont soumis. Exit l’Egypte de pacotille : place à une sorte de bunker qui résiste tant bien que mal aux bombardements, audibles au I lors d’une sorte d’interlude guerrier particulièrement long et éprouvant. Certains spectateurs ne peuvent s’empêcher de siffler ce rajout : c’est là pourtant un élément décisif de ce huis‑clos étouffant, transformé en brûlant manifeste contre la guerre. En tant qu’incarnations de la masculinité toxique, ivres d’en découdre, les hommes du chœur sont ainsi grimés en militaires grabataires, aussi ridicules qu’agressifs, à peine adoucis par l’arrivée de leurs partenaires féminines, tout aussi superficielles dans leurs mimiques de courtisanes. Dans cette optique, Amneris devient une furie sanguinaire terrorisant ses suivantes, réduites au silence face à ses meurtres gratuits et spectaculaires. Dans cette atmosphère de fin du monde, la folie peut constituer un refuge confortable, ce dont s’empare le grand prêtre lors de visions cauchemardesques toutes plus angoissantes les unes que les autres.

Cette mise en scène audacieuse et très sombre impose une tension de tous les instants, très éprouvante dans la première partie, avant de s’adoucir quelque peu après l’entracte. La réalisation visuelle donne un impact fort à cette proposition, notamment au niveau des éclairages très variés, sans parler des ralentis hypnotiques qui mettent en valeur quelques velléités individuelles d’interrogations existentielles, loin de la foule. Face à cette mise en scène de haut vol, le plateau vocal proposé déçoit quelque peu dans les rôles principaux. Ainsi de l’Aïda d’Ekaterina Sannikova qui compense un aigu métallique par un sens dramatique et une technique très sûrs, à l’inverse de son partenaire Stefano La Colla (Radamès), au timbre solaire et chaleureux, mais en mal de justesse. A leurs côtés, Claudia Mahnke compose une Amneris d’une noirceur engagée, malheureusement peu audible dans les ensembles et desservie par un vibrato envahissant sur toute la tessiture. On est plus convaincu par les solides Andreas Bauer Kanabas (Ramfis) et Kihwan Sim (Le roi), mais c’est plus encore les graves superbes de Nicholas Brownlee (Amonasro) qui emportent l’adhésion à force d’intention et de mordant dans l’émission.

Outre un chœur très investi, plus convaincant que l’avant‑veille dans le répertoire russe, on se délecte tout du long de la direction toute de respiration d’Erik Nielsen, qui sait s’enflammer dans les parties plus verticales, en un respect redoutable de précision s’agissant des équilibres avec le plateau.

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