A l’instar d’autres compositeurs éminents, Felix Mendelssohn (1809‑1847)
a raté sa rencontre avec l’opéra, qu’il affronta sans doute trop tôt
avec quelques ouvrages comiques mal accueillis, notamment Le Mariage de Camacho (1825), d’après Cervantès. Son niveau d’exigence lui fit ensuite refuser des livrets pourtant jugés excellents (comme celui de Hans Heiling, finalement composé par Marschner en 1833), avant de se pencher tardivement sur l’adaptation de la légende marine de la Lorelei,
laissée inachevée par une mort brutale et inattendue, à seulement
38 ans. Pour autant, on aurait tort de négliger la musique vocale de
Mendelssohn, qui représente de loin la partie la plus importante de son
legs, au niveau quantitatif comme qualitatif : le chef allemand Frieder
Bernius ne s’y est pas trompé avec sa récente et monumentale intégrale
en la matière, consacrée à la musique de scène, profane (voir La Nuit de Walpurgis) et religieuse (plus de dix disques, en dehors des oratorios).
Après le spectacle « Trauernacht », qui regroupait l’an passé des
extraits de cantates de Bach, place à son prophète Mendelssohn à l’Opéra
de Lyon, avec son second et dernier oratorio, Elias (1846). Si
le premier était dédié à une figure du Nouveau Testament, Paul, le
second s’intéresse au plus éminent prophète de l’Ancien, Elie, figure
ombrageuse somptueusement mise en valeur par la richesse harmonique de
l’accompagnement orchestral, comme l’éloquence souvent homophonique des
chœurs, aux réminiscences haendéliennes. Il s’agit là de la toute
première production scénique de cet ouvrage en France, habituellement
donné en version de concert : confié à Calixto Bieito, ce spectacle
d’abord créé à Vienne en 2019 montre tout l’intérêt de porter cet
ouvrage sur scène, du fait de l’investissement dramatique demandé à ses
interprètes, tous très engagés pour l’occasion.
Le metteur en scène espagnol choisit en effet de mettre au même niveau
solistes et chœur, ce qui est d’autant plus louable que ce dernier a un
rôle prépondérant pendant toute la soirée, comme un véritable acteur du
récit. Imaginative et bouillonnante, la direction d’acteur choisit de
renforcer les interactions, ici omniprésentes, tout en relevant le pari
de conserver le chœur sur scène tout du long, avec la révélation
d’individualités marquées, parfois hautes en couleur. Comme toujours un
peu sonore chez Bieito, le déchaînement sauvage des passions rappelle
toute l’indécision collective en des temps manifestement perturbés,
autour du récit initiatique tout en contraste d’Elie, d’abord affairé à
ses miracles, avant de surmonter ses doutes pour entamer son ascension
divine. Les Chœur de l’Opéra de Lyon n’appellent que des éloges, à force
de cohésion, de concentration et d’accents dans les attaques, et ce
pendant les deux heures de spectacle, donné sans interruption. Une
performance physique logiquement applaudie par un public dithyrambique
en fin de représentation, également ivre des tempi endiablés de
Constantin Trinks, aux effets de masse parfois un rien trop robustes,
mais qui sait parfaitement différencier les atmosphères pour embrasser
toute la variété d’inspiration de Mendelssohn.
Que dire, aussi, des solistes réunis, tous très émouvants dans leurs
rôles respectifs, et ce jusqu’au moindre second rôle. Ainsi du
bouleversant Derek Welton, qui donne à son Elie toute la grandeur d’âme
attendue, entre facilité de projection et articulation souveraine,
malgré un aigu plus difficile par endroit. On aime aussi la sonore et
pénétrante veuve de Tamara Banjesevic, très à l’aise au niveau
technique, de même que la noblesse d’âme aux phrasés suaves de Robert
Lewis (Ovadyah). Si Kai Rüütel‑Pajula (Un ange) montre quelques raideurs
dans l’intonation, la grande révélation vocale de la soirée vient de
Beth Taylor (La reine), qui donne le frisson à force de graves
rayonnants, d’une justesse d’intention superlative au niveau dramatique.
Assurément une chanteuse à suivre !
Après les fêtes, on ne manquera pas de retrouver à Lyon le drôlissime Barbe‑Bleue d’Offenbach produit par Laurent Pelly en 2019. Bonne humeur garantie avec les délices d’invention mélodique du « petit Mozart des Champs‑Elysées » !
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