jeudi 7 décembre 2023

« Le Forum en folie » de Stephen Sondheim - Le Lido 2 Paris - 06/12/2023

Après plusieurs mois de travaux, le Lido a fait peau neuve sans perdre son authenticité : l’esprit Art Deco des lieux a été préservé dans le dessin raffiné des moquettes, tandis que l’aménagement des tables et banquettes a été rafraîchi en un bois clair, gardant l’atmosphère conviviale et la possibilité de boire un verre pendant le spectacle (même si le bar, heureusement, est fermé pendant celui-ci). La scène en forme de T donne aux premiers rangs une visibilité et une proximité chaleureuse avec les interprètes, sans parler des possibilités techniques propres au cabaret conservées pour offrir quelques surprises aux spectateurs, rappelant en cela les lointaines origines du Lido en tant que gigantesque piscine de luxe (alors située sous l’actuelle Galerie des Arcades, plus bas sur l’avenue des Champs-Elysées) !

Pour ce changement de cap, le Lido a eu la bonne idée de faire appel à Jean-Luc Choplin (né en 1949), dont le nom reste indissociable des années passées à la tête du Théâtre du Châtelet, où il a porté haut le répertoire de la comédie musicale américaine, de 2004 à 2015. Après un détour par le Théâtre Marigny (voir notamment Guys and Dolls en 2019), le voilà désormais à la tête du Lido 2 Paris, nouveau nom du cabaret depuis sa reconversion théâtrale : exit les Bluebelle Girls, place au Musical à l’américaine ! Après Cabaret de John Kander, donné l’an passé avant les travaux, Choplin revient à ses premiers amours, lui qui a défendu les ouvrages de Stephen Sondheim (1930-2021), notamment Sunday in the Park with George en 2013, avec constance.

Place cette fois au Forum en folie (1962), grand succès à sa création : il s’agit là de la première comédie musicale où Sondheim est chargé de la composition musicale, lui qui s’était jusque-là illustré en tant que parolier, notamment pour West Side Story (1957). On retrouve d’emblée l’énergie jubilatoire de sa musique entraînante, initiée par une revue désopilante de l’ensemble des interprètes, dont un Rufus Hound déchainé. Tout au long de la soirée, plusieurs apartés avec le public (alternant anglais et français, à chaque fois surtitrés) permettent quelques clins d’œil humoristiques décalés, rappelant combien l’ouvrage doit au théâtre avant tout, la musique ne tenant finalement ici qu’une place accessoire.

Plusieurs fois remis sur le métier, le livret nous plonge dans une société romaine haute en couleurs, à travers ses nombreux personnages, tous très excentriques. Il faut bien entendu s’immiscer dans la folie, souvent située en dessous de la ceinture, que le metteur en scène irlandais Cal McCrystal tente d’insuffler à la mise en scène pour embrasser toutes les situations boulevardières, à la limite du cabotinage. Même si l’ensemble manque singulièrement de finesse, tout ce joyeux petit monde en prend pour son grade – eunuques, jeunes bellâtres et barbons compris. De quoi mettre quelque peu à distance le paternalisme sous-jacent à l’ouvrage, pour le moins daté de ce point de vue.

Pour autant, on reste bluffé par l’excellence des interprètes réunis, qui affrontent crânement la double exigence requise d’excellence vocale comme théâtrale. Ainsi de l’irrésistible comédien Rufus Hound, dont l’abattage comique tient de sa gouaille ravageuse, en maître de cérémonie qui tire les ficelles de l’intrigue à son avantage. On aime aussi les timbres délicieux de fraîcheur et d’articulation des jeunes tourtereaux Josh St Clair (Hero) et Neima Naouri (Philia), sans parler de l’aplomb viriliste de l’impayable John Owen‑Jones (Miles Gloriosus), bien épaulé par sa joyeuse troupe de bras-cassés. Enfin, autour de la direction enjouée de Gareth Valentine, on se réjouit de découvrir un excellent Orchestre du Lido 2 Paris, dont la séparation de chaque côté de la scène (vents et contrebasse à gauche contre percussions et cuivres à droite) offre de savoureux effets de spatialisation, à chaque fois préservés par la qualité de la sonorisation.

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