samedi 13 avril 2024

Concert de l'Orchestre philharmonique de Radio France - Mikko Franck - Maison de la Radio - 12/04/2024

Mikko Franck

Directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Radio France depuis 2015, le Finlandais Mikko Franck (né en 1979) dirige l’intégrale des symphonies de son compatriote Jean Sibelius, en trois soirées d’affilée. L’ensemble des instrumentistes de la formation parisienne est convié en roulement pour fêter l’événement, qui s’achève en apothéose pour un dernier concert dédiés aux trois ultimes symphonies.

Dans quel ordre faut-il jouer les symphonies de Jean Sibelius (1865-1957) ? Cette question légitime a été directement posée au compositeur en 1932 par le chef russo-américain Serge Koussevitzky, qui s’apprête alors à réaliser le tout premier cycle intégral en concert, à Boston. Si l’ordre chronologique est préféré par Sibelius sur la suggestion de Koussevitzky, ce dernier espère surtout profiter du cycle pour s’offrir la création mondiale de la Symphonie n° 8, alors en gestation. Cet ultime opus ne sera jamais achevé par Sibelius, comme le décrit Marc Vignal en un sens du détail passionnant, proche d’une enquête policière, dans sa biographie consacrée au compositeur (Fayard, 2004).

Des atermoiements semblables ont jalonné la longue gestation de la Symphonie n° 5 (1919), qui a connu deux versions primitives en 1915 et 1916, toutes créés en présence du compositeur. La version en quatre mouvements de 1915 a heureusement pu être préservée et témoigne de sa proximité avec le style moderniste de la Symphonie n° 4, dont quelques passages fascinants de flottement tonal. Plusieurs fois enregistrée au disque, cette première mouture est à connaître absolument, tant elle diffère de la version définitive de 1919, préférée ici par Mikko Franck. L’ancien élève de Jorma Panula cherche d’emblée à éviter tout sentimentalisme, autant par son rythme allant que sa volonté de lisibilité et d’équilibre entre les pupitres. On perd là toutefois quelques aspects dramatiques de l’ouvrage, un rien séquentiel dans cette battue, au profit d’une vision analytique parfois fascinante dans certains passages suspendus. Les tutti sont plus appuyés en contraste, avec des accélérations qui voient le chef se lever de son siège, en faisant mine de chantonner la mélodie principale, comme jadis Sergiu Celibidache. Dans cette optique, le dernier mouvement plus structuré au niveau mélodique apparait plus réussi, sans verser dans la grandiloquence ou le lyrisme.

Après l’entracte, la Symphonie n° 6 (1923) fait jaillir les sonorités diaphanes de ses textures entremêlées en une souplesse aérienne, sous la baguette féline de Mikko Franck. Le chef est ici plus à son avantage, en un style sans ostentation et d’une précision redoutable, notamment en fin de premier mouvement, aux silences ostensiblement marqués. « L’eau pure » décrite par Sibelius ne s’écoule pas sans nuages, ce que confirment les sonorités parfois morbides recherchées à la harpe ou à la clarinette basse. Si Franck se montre plus généreux pour faire chanter ses pupitres de cordes à l’unisson (les violoncelles surtout), il n’évite pas quelques raideurs au II, avant de se ressaisir dans les deux derniers mouvements, d’une hauteur de vue sidérante de clarté, entre excellence des vents et cordes volontairement dépouillés. Seuls les cors un rien trop sonores viennent quelque peu gâcher la fête, de même que des verdeurs audibles dans la Symphonie n° 7 (1924), qui suit.

En dehors de cette réserve, l’ensemble des instrumentistes se montrent à la hauteur de la lecture tout en relief de Mikko Franck, qui s’éloigne de l’épure en legato préférée par un Karajan, par exemple. En maitre des transitions, le chef finlandais est ici en son jardin, en se jouant des multiples changements d’atmosphère, sans surcharger le propos. De quoi achever ce cycle par un triomphe public mérité et nous laisser espérer (qui sait ?) une intégrale des poèmes symphoniques de Sibelius : un jardin secret cultivé par le compositeur tout au long de sa carrière, à bien des égards tout aussi passionnant que ses symphonies.

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