Pour sa 10ème édition, le festival du Palazzetto Bru Zane à Paris frappe encore un grand coup en exhumant une rareté absolue, Fausto de Louise Bertin. Créé en 1831 pour le Théâtre des Italiens, dans la langue de Dante, sur un livret en français (probablement de la compositrice), l’ouvrage est traduit pour l’occasion. Alors que son opéra précédent a été créé à l’Opéra-Comique, Bertin a ensuite l’honneur d’être accueillie à l’Opéra en 1836 pour La Esmeralda (livret de Victor Hugo, d’après Notre-Dame de Paris). C’est là autant le sommet de sa carrière que le glas de son ambition, l’ouvrage subissant une cabale dont la compositrice ne se relèvera pas. Remonté à Montpellier en 2008, cet ultime essai lyrique sera à nouveau donné lors de la prochaine saison à Saint-Etienne, Avignon et Tours, dans une mise en scène confiée à Jeanne Desoubeaux.
En attendant, cette version de concert de Fausto n’a pas déçu les attentes, tant la musique de Louise Bertin impressionne d’emblée par son éloquence directe, sa variété : si l’ouverture peut dérouter par son aspect séquentiel aux nombreuses ruptures de ton, les différentes scènes s’enchaînent ensuite sans temps mort. Seul le livret déçoit par son intrigue simplifiée du premier Faust de Goethe, mais assure l’essentiel par la diversité des scènes proposées, qui permet à Bertin de faire valoir sa maîtrise de la grande forme. L’influence de son ancien professeur Reicha donne une coloration germanique aux scansions robustes et très cuivrées dans les parties dramatiques, volontiers plus subtile dans la palette utilisée aux vents, notamment lors des scènes des enfers, aussi effrayantes qu’attirantes. On peut aussi reconnaître Berlioz, qui conduit les répétitions à la place de Bertin (incapable de se tenir debout de manière prolongée, du fait de son handicap physique). La présence importante des choeurs, le plus souvent homophoniques et en soutien des solistes, donne un coloris spectaculaire qui rappelle en maints endroits les derniers souffles de la tragédie lyrique : Bertin fait en quelque sorte le lien entre Spontini et Halévy, apportant une énergie rythmique à mille lieux de ses concurrents italiens du moment, si l’on excepte Rossini dans les romances et les passages légers, volontiers piquants et sautillants.
Ante Jerkunica |
Christophe Rousset, spécialiste de ce type d’ouvrage (voir notamment son dernier disque consacré à La Vestale de Spontini) donne à l’ouvrage toute la saveur des sonorités d’époque, comme de l’allègement des textures. La maîtrise technique de son ensemble surprend en maints endroits, ce qui vaut au chef français de féliciter ostensiblement sa formation en fin de soirée, tout particulièrement les cuivres. Réputé « inchantable », le rôle-titre échoit à Karine Deshayes (Fausto), qui affronte courageusement les sauts de registre périlleux, au prix de quelques détimbrages par endroit. Son aplomb et son aisance dramatique font oublier ces quelques imperfections, de même que le tranchant de l’émission en pleine voix, toujours aussi percutant en concert. A ses côtés, Karina Gauvin donne à sa Margherita les délices d’une émission de velours et de grand style, seulement gênée dans les accélérations, où son recours au vibrato la met parfois en retard par rapport aux tempi de Rousset.
Quel plaisir, aussi, de profiter de la voix chaude, sonore et profonde d’Ante Jerkunica (Mefisto), d’une présence magnétique tout du long, de même que l’éloquence aérienne de Nico Darmanin (Valentino), véritable rayon de soleil lors de la deuxième partie de spectacle. On aime aussi les couleurs et la solidité technique de Marie Gautrot et Diana Axentii, toutes deux superlatives dans leurs rôles respectifs, sans parler du solide Thibault de Damas, très investi au niveau théâtral, notamment dans les accents bouffes.
Très affuté, le Chœur de la Radio Flamande se distingue une fois encore par sa précision chirurgicale dans les attaques, bien aidé par la direction mordante de Christophe Rousset, également au pianoforte, lors des courts récitatifs. Ce concert fera l’objet d’un disque à paraître en janvier prochain par le PBZ, tandis que les amateurs de Fausto ne manqueront pas de se rendre à Essen pour découvrir l’ouvrage en version scénique (mise en scène de Tatjana Gürbaca), à la même période.
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