Parmi les spectacles phares de la saison 2017-2018 de l’Opéra de Paris
figurait la nouvelle production de Don Carlos dans sa version originale
de 1866 (en français), réunissant une double distribution de haut vol,
toutefois diversement appréciée.
Place cette fois à la version italienne de 1886, dite «de Modène», où
Verdi choisit de rétablir le premier acte souvent supprimé, tout en
conservant les autres modifications ultérieures : c’est là
l’illustration de vingt ans de tentatives pour améliorer un ouvrage trop
long et touffu, dont la noirceur générale pourra dérouter les habitués
du Verdi plus extraverti et lumineux de La Traviata (1853). Pour autant,
en s’attaquant au grand opéra à la française, le maître italien cisèle
un diamant noir à la hauteur de son génie, où oppression et mal-être
suintent par tous les pores des personnages.
C’est précisément la figure tourmentée du roi Philippe II qui intéresse Krzysztof Warlikowski,
caractérisant d’emblée la difficulté à succéder à un monarque aussi
illustre que Charles Quint : le sinistre buste en cire du père trône
ainsi sur le bureau comme une figure oppressante, avant qu’un acteur ne
vienne l’incarner dans les scènes où Philippe croit entendre sa voix.
Cette présence continuelle du passé est renforcée par la transposition
de l’action au XXème siècle, où les choeurs grimés en visiteurs
attendent de découvrir les pièces du château, transformé en musée figé,
tandis que les projections vidéos en arrière-scène insistent sur la
souffrance intérieure des principaux personnages avec leur visage en
gros plan. Si l’idée d’introduire une salle d’entraînement d’escrime
peut séduire par sa référence au contexte guerrier sous-jacent, on aime
aussi l’allusion aux influences andalouses représentées par la cage
rouge aux allures de moucharabieh.
On regrette toutefois que Warlikowski n’anime pas davantage sa direction d’acteur et se contente d’un beau jeu sur les volumes avec ses éléments de décor déplacés en bloc, agrandissant ou rétrécissant la vaste scène au besoin. On a là davantage un travail de scénographe, toujours très stylisé, mais malheureusement à côté de la plaque dans la scène de l’autodafé, peu impressionnante avec son amphithéâtre simpliste et ses costumes aussi fastueux que colorés, à mille lieux de l’évocation du rigorisme religieux dénoncé par Verdi. En revanche, l’idée de faire du Grand Inquisiteur une sorte de chef des services secrets est plutôt bien vue, de même que de placer son duo glaçant avec Philippe dans un oppressant fumoir Art déco au III.
On regrette toutefois que Warlikowski n’anime pas davantage sa direction d’acteur et se contente d’un beau jeu sur les volumes avec ses éléments de décor déplacés en bloc, agrandissant ou rétrécissant la vaste scène au besoin. On a là davantage un travail de scénographe, toujours très stylisé, mais malheureusement à côté de la plaque dans la scène de l’autodafé, peu impressionnante avec son amphithéâtre simpliste et ses costumes aussi fastueux que colorés, à mille lieux de l’évocation du rigorisme religieux dénoncé par Verdi. En revanche, l’idée de faire du Grand Inquisiteur une sorte de chef des services secrets est plutôt bien vue, de même que de placer son duo glaçant avec Philippe dans un oppressant fumoir Art déco au III.
A cette mise en scène inégale répond un
plateau vocal de tout premier plan, fort justement applaudi par un
public enthousiaste en fin de représentation, et ce malgré le retrait
inattendu de Roberto Alagna après le premier entracte
pour cause d’état grippal. Le ténor français avait montré quelques
signes de faiblesse inhabituels, autour d’une ligne flottante et parfois
en léger décalage avec la fosse. Le manque d’éclat face à Aleksandra
Kurzak était également notable. Son remplacement par Sergio Escobar
ne convainc qu’à moitié, tant la petite voix de l’Espagnol s’étrangle
dans les aigus difficiles, compensant ses difficultés techniques par des
phrasés harmonieux dans le medium et un timbre chaleureux. Il est vrai
qu’il souffre de la comparaison face à ses partenaires, au premier rang
desquels René Pape (Philippe II) et sa classe vocale
toujours aussi insolente d’aisance sur toute la tessiture, le tout au
service d’une composition théâtrale d’une grande vérité dramatique.
C’est précisément en ce dernier domaine qu’Anita Rachvelishvili conquiert le public par la force de son incarnation, à l’engagement démonstratif : ses graves mordants, tout autant que ses couleurs splendides, font de ses interventions un régal de chaque instant. A ses côtés, Aleksandra Kurzak s’impose dans un style plus policé, mais d’une exceptionnelle tenue dans la déclamation et la rondeur vocale, notamment des pianissimi de rêve. Il ne lui manque qu’un soupçon de caractère pour incarner toutes les facettes de son rôle, mais ça n’est là qu’un détail à ce niveau. Autre grande satisfaction de la soirée avec le superlatif Rodrigo d’Étienne Dupuis, aux phrasés inouïs de précision et de raffinement, à la résonance suffisamment affirmée pour faire jeu égal avec ses partenaires en ce domaine. On notera enfin la bonne prestation de Vitalij Kowaljow, qui trouve le ton juste pour donner une grandeur sournoise au Grand Inquisiteur, tandis que le choeur de l’Opéra de Paris se montre bien préparé.
C’est précisément en ce dernier domaine qu’Anita Rachvelishvili conquiert le public par la force de son incarnation, à l’engagement démonstratif : ses graves mordants, tout autant que ses couleurs splendides, font de ses interventions un régal de chaque instant. A ses côtés, Aleksandra Kurzak s’impose dans un style plus policé, mais d’une exceptionnelle tenue dans la déclamation et la rondeur vocale, notamment des pianissimi de rêve. Il ne lui manque qu’un soupçon de caractère pour incarner toutes les facettes de son rôle, mais ça n’est là qu’un détail à ce niveau. Autre grande satisfaction de la soirée avec le superlatif Rodrigo d’Étienne Dupuis, aux phrasés inouïs de précision et de raffinement, à la résonance suffisamment affirmée pour faire jeu égal avec ses partenaires en ce domaine. On notera enfin la bonne prestation de Vitalij Kowaljow, qui trouve le ton juste pour donner une grandeur sournoise au Grand Inquisiteur, tandis que le choeur de l’Opéra de Paris se montre bien préparé.
Seule la direction trop élégante de Fabio Luisi déçoit quelque peu
dans ce concert de louanges, alors qu’on avait pourtant grandement
admiré le geste lyrique du chef italien lors de sa venue à Paris l’an passé pour Simon Boccanegra.
Il manque ici la noirceur attendue en de nombreux passages, notamment
verticaux, même si les couleurs pastels des parties apaisées séduisent
davantage en comparaison.