mardi 14 mai 2019

« Les Hauts de Hurlevent » de Bernard Herrmann - Opéra national de Lorraine à Nancy - 12/05/2019


Alors que la création française de l’ultime ouvrage lyrique de Korngold, Die Stumme Serenade (La Sérénade muette), a eu lieu à Levallois ce week-end, on peut constater le regain d’intérêt dont jouissent les compositeurs de musique de film qui ont triomphé à Hollywood au milieu du XXème siècle. L’Opéra national de Lorraine propose en effet de son côté de découvrir la création française en version scénique de l’unique opéra de Bernard Herrmann (1911-1975), Les Hauts de Hurlevent (1951). De son vivant, le grand rival de Korngold ne put malheureusement obtenir la création de cette adaptation du roman d’Emilie Brontë, refusant les adaptations demandées, à savoir coupures et modification de la fin de l’ouvrage.

Il est vrai que cet opéra souffre d’un livret inégal, qui se tient à peu près dans la première partie de l’ouvrage, mais qui déçoit ensuite du fait de plusieurs maladresses : des scènes inutilement longues contrastent ainsi avec des accélérations subites du récit. D’où l’impression de raccourcis dramatiques et de personnages peu crédibles dans leurs comportements. On pense par exemple à l’amour d’Isabelle Linton pour Heathcliff, qui prête à sourire tant il est soudain : la cohérence aurait voulu que soit accordée une présence plus soutenue à ce personnage en première partie d’ouvrage. On regrette aussi la suppression de la scène du jeu, qui explique dans le roman comment Heathcliff se venge de son rival et devient maître des Hauts de Hurlevent à son retour d’exil. Le maintien de cette scène aurait notamment permis à Bernard Herrmann de donner davantage de variété à son inspiration musicale, qui alterne entre les ambiances sombres et morbides du prologue et du finale, avec des airs plus hollywoodiens et sucrés, souvent dévolus aux personnages féminins. D’une grande maitrise orchestrale, ces airs séduisent par leur perfection formelle d’inspiration néo-romantique, mais sans marquer les esprits au niveau mélodique. Alors que le chœur n’intervient qu’une fois brièvement en coulisse, on notera une absence résolue de tout recours aux ensembles, ce qui provoque une alternance monotone sur la durée entre scènes de parlés-chanté et airs. Enfin, on regrettera que la scène finale, beaucoup trop longue, refuse la réminiscence mélodique des émois passés de Cathy et Heathcliff, se contentant de mettre en valeur l’interminable agonie de l’héroïne.


Malgré ces défauts, force est de reconnaître que Nancy a mis les petits plats dans les grands pour offrir un écrin quasi idéal à cette production. La mise en scène d’Orpha Phelan séduit en effet tout du long par sa direction d’acteur serrée, toujours au plus près des inflexions musicales, tout en bénéficiant de la scénographie splendide de Madeleine Boyd. Le décor admirablement varié par les éclairages choisit d’opposer le temps de l’enfance, symbolisé par les errances heureuses dans la nature, avec le nécessaire apprentissage des obligations du monde adulte, incarné par le confort d’un intérieur bourgeois : un parquet déformé figure ainsi autant les deux espaces, permettant des mouvements dynamiques sur tout le plateau. Face à cette réussite visuelle, le plateau vocal réuni parvient à un sans-faute, donnant à entendre la fine fleur des jeunes chanteurs anglophones d’aujourd’hui. Layla Claire (Cathy) s’impose ainsi à force d’impact dramatique : véritable rayon de soleil vocal, elle donne beaucoup de vérité à son rôle qui oscille entre naïveté et colère. C’est peut-être plus encore Rosie Aldridge qui se distingue en Nelly Dean, par ses qualités d’articulation et ses remarquables couleurs. John Chest (Heathcliff) n’est pas en reste avec un timbre splendide, par ailleurs bien projeté. On notera enfin les seconds rôles superlatifs, tout particulièrement la noirceur perfide bienvenue de Thomas Lehman (Hindley Earnshaw) ou le chant noble d’Alexander Sprague (Edgar Linton). Enfin, Kitty Whately (Isabella Linton) donne une touche lumineuse et aérienne à son court rôle, le tout sous la baguette flamboyante de Jacques Lacombe, très à l’aise pour mettre en valeur la variété de climats ici à l’œuvre.

Si l’on excepte les faiblesses de l’ouvrage, on ne peut que s’associer à l’accueil chaleureux du public nancéen en fin de représentation, justement convaincu par la somme des talents réunis par cette production.

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