Alors que la création française de
l’ultime ouvrage lyrique de Korngold, Die Stumme Serenade (La Sérénade
muette), a eu lieu à Levallois ce week-end,
on peut constater le regain d’intérêt dont jouissent les compositeurs
de musique de film qui ont triomphé à Hollywood au milieu du XXème
siècle. L’Opéra national de Lorraine propose en effet de son côté de
découvrir la création française en version scénique de l’unique opéra de
Bernard Herrmann (1911-1975), Les Hauts de Hurlevent (1951).
De son vivant, le grand rival de Korngold ne put malheureusement
obtenir la création de cette adaptation du roman d’Emilie Brontë,
refusant les adaptations demandées, à savoir coupures et modification de
la fin de l’ouvrage.
Il est vrai que cet opéra souffre d’un
livret inégal, qui se tient à peu près dans la première partie de
l’ouvrage, mais qui déçoit ensuite du fait de plusieurs maladresses :
des scènes inutilement longues contrastent ainsi avec des accélérations
subites du récit. D’où l’impression de raccourcis dramatiques et de
personnages peu crédibles dans leurs comportements. On pense par exemple
à l’amour d’Isabelle Linton pour Heathcliff, qui prête à sourire tant
il est soudain : la cohérence aurait voulu que soit accordée une
présence plus soutenue à ce personnage en première partie d’ouvrage. On
regrette aussi la suppression de la scène du jeu, qui explique dans le
roman comment Heathcliff se venge de son rival et devient maître des
Hauts de Hurlevent à son retour d’exil. Le maintien de cette scène
aurait notamment permis à Bernard Herrmann de donner davantage de
variété à son inspiration musicale, qui alterne entre les ambiances
sombres et morbides du prologue et du finale, avec des airs plus
hollywoodiens et sucrés, souvent dévolus aux personnages féminins. D’une
grande maitrise orchestrale, ces airs séduisent par leur perfection
formelle d’inspiration néo-romantique, mais sans marquer les esprits au
niveau mélodique. Alors que le chœur n’intervient qu’une fois brièvement
en coulisse, on notera une absence résolue de tout recours aux
ensembles, ce qui provoque une alternance monotone sur la durée entre
scènes de parlés-chanté et airs. Enfin, on regrettera que la scène
finale, beaucoup trop longue, refuse la réminiscence mélodique des émois
passés de Cathy et Heathcliff, se contentant de mettre en valeur
l’interminable agonie de l’héroïne.
Malgré ces défauts, force est de
reconnaître que Nancy a mis les petits plats dans les grands pour offrir
un écrin quasi idéal à cette production. La mise en scène d’Orpha Phelan séduit en effet tout du long
par sa direction d’acteur serrée, toujours au plus près des inflexions
musicales, tout en bénéficiant de la scénographie splendide de Madeleine
Boyd. Le décor admirablement varié par les éclairages choisit d’opposer
le temps de l’enfance, symbolisé par les errances heureuses dans la
nature, avec le nécessaire apprentissage des obligations du monde
adulte, incarné par le confort d’un intérieur bourgeois : un parquet
déformé figure ainsi autant les deux espaces, permettant des mouvements
dynamiques sur tout le plateau. Face à cette réussite visuelle, le
plateau vocal réuni parvient à un sans-faute, donnant à entendre la fine
fleur des jeunes chanteurs anglophones d’aujourd’hui. Layla Claire
(Cathy) s’impose ainsi à force d’impact dramatique : véritable rayon de
soleil vocal, elle donne beaucoup de vérité à son rôle qui oscille
entre naïveté et colère. C’est peut-être plus encore Rosie Aldridge qui se distingue en Nelly Dean, par ses qualités d’articulation et ses remarquables couleurs. John Chest
(Heathcliff) n’est pas en reste avec un timbre splendide, par ailleurs
bien projeté. On notera enfin les seconds rôles superlatifs, tout
particulièrement la noirceur perfide bienvenue de Thomas Lehman (Hindley Earnshaw) ou le chant noble d’Alexander Sprague (Edgar Linton). Enfin, Kitty Whately (Isabella Linton) donne une touche lumineuse et aérienne à son court rôle, le tout sous la baguette flamboyante de Jacques Lacombe, très à l’aise pour mettre en valeur la variété de climats ici à l’œuvre.
Si l’on excepte les faiblesses de
l’ouvrage, on ne peut que s’associer à l’accueil chaleureux du public
nancéen en fin de représentation, justement convaincu par la somme des
talents réunis par cette production.
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