Il faut se précipiter pour les dernières représentations de la création française du musical Guys and Dolls
(1950), à l’affiche du Théâtre Marigny jusqu’au 1er juin, dans l’une
des productions les plus réjouissantes du moment : il est vrai que son
directeur Jean-Luc Choplin n’a pas ménagé à la dépense
pour réunir la fine fleur du chant anglophone d’aujourd’hui, autant à
l’aise dans les parties théâtrales que chantées. On s’associe d’emblée
au concert de louanges dont jouit cet immense succès de Frank Loesser (1910-1969),
qualifié de « meilleur comédie musicale de tous les temps » par le New
York Times ou de « chef d’oeuvre absolu » par Alain Perroux (La Comédie musicale, mode d’emploi, Edition L’Avant-Scène Opéra, novembre 2009).
D’abord parolier et auteur pour Hollywood, Loesser a eu la bonne idée
d’adapter deux nouvelles gouailleuses de Damon Runyon, qui nous plongent
dans la pègre new yorkaise des années de la prohibition avec un
réalisme aussi saisissant que truffé de scènes d’humour. Loesser n’a pas
son pareil pour jongler avec des couplets inattendus et hilarants, tel
le leitmotiv du rhume de Miss Adelaïde, source farfelue et inépuisable
de ses déboires sentimentaux. Autour de la description d’un Broadway
moins idyllique qu’à l’accoutumée, avec ses méchants d’opérette au coeur
tendre, le livret combine habilement les doutes amoureux – en apparence
opposées – de la cocotte Adelaïde et de la fervente et rigide Sarah,
toutes deux éprises de voyous flamboyants. Un univers qui ne manquera
pas d’inspirer Leonard Bernstein en 1953 avec son musical Wonderful Town.
Musicalement, Loesser donne à entendre la finesse de ses talents
d’orchestrateur, en des scènes admirablement variées qui swinguent avec
bonne humeur, entre music hall et cabaret. Les cuivres ont souvent la
part belle, tout comme la batterie et le piano, tandis que les parties
vocales sont peu virtuoses pour les interprètes.
Si l’on peut regretter une sonorisation
légèrement excessive pour l’orchestre, bien caché dans la petite fosse
de Marigny, celui-ci ne ménage pas son engagement pour donner un soutien
admirable d’intensité aux chanteurs. Le geste ductile et précis de son
chef James McKeon n’y est sans doute pas étranger,
donnant un soutien vibrant aux nombreuses scènes chorégraphiées : elles
bénéficient de l’énergie survitaminée de la douzaine de danseurs réunis
pour l’occasion. Très variées, ces différentes scènes font revivre les
années 1920 avec un réalisme fort à propos, bien rendus par des costumes
superbes et une scénographie minimaliste en contraste. Le metteur en
scène et chorégraphe Stephen Mear choisit en effet de
s’appuyer sur une multitude d’encadrements lumineux qui évoquent les
miroirs de maquillage des comédiens : les changements de couleurs, comme
les variations d’éclairage indirects, permettent de bien différencier
les tableaux, dont on retient tout particulièrement la scène cubaine et
sa chorégraphie virevoltante.
On l’a dit, le plateau vocal n’appelle
que des éloges par sa formidable homogénéité dans l’excellence, aussi
bien au niveau théâtral que vocal. Ainsi de la touchante Sarah de Clare Halse,
qui sait faire évoluer son personnage de la rigidité à l’élan amoureux,
autour d’une voix idéale d’agilité dans toute la tessiture. La grande
classe de l’impayable Ria Jones (Adelaide) bénéficie de
la truculence nasillarde de son émission à nulle autre pareille,
élevant son rôle au rang de l’héroïne tragi-comique attendue. Si Matthew Goodgame
(Sky) a pour lui un délicieux timbre de crooner à la Sacha Distel, on
aimerait aussi le voir davantage fendre l’armure dans l’éclat. Christopher Howell compose quant à lui un Nathan délicieux de fourberie attendrissante, tandis que les superlatifs Barry James (Arvide Abernaty) et Matthew Whennell-Clark (Benny Southstreet) se distinguent dans leurs petits rôles avec une aisance confondante.
Courrez vite au Théâtre Marigny, vous n’y serez pas
déçus ! On ne manquera pas aussi la reprise en juin prochain de
l’excellente opérette d’Hervé, Mam’zelle Nitouche, qui achèvera là sa
vaste tournée à travers la France.
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