dimanche 5 mai 2019

« Médée » de Marc-Antoine Charpentier - Leonardo García Alarcón - Opéra de Genève - 03/05/2019



Après la Médée de Cherubini donnée en 2015 et Il Giasone de Cavalli en 2017, l’Opéra de Genève présente la Médée de Charpentier modernisée par David McVicar en 2013 pour l’English National Opera : servi par une Anna Caterina Antonacci en grande forme dans le rôle-titre, le tourbillon visuel du trublion écossais n’a pas pris une ride.

La production du Couronnement de Poppée avait été diversement appréciée lors de sa présentation au Théâtre des Champs-Élysées en 2004 : quelques années plus tard, David McVicar adopte le même parti-pris sulfureux dans la Médée de Charpentier, aujourd’hui reprise à Genève avec bonheur, tant l’Écossais surprend par sa capacité à dépoussiérer le mythe en lui donnant un écrin visuel d’une vibrante actualité. Ainsi des décors splendides de Bunny Christie qui transpose l’action en temps de guerre au milieu du XXe siècle, plongeant les interprètes dans un huis-clos étouffant bien mis en valeur par les ambiances tamisées des éclairages de Paule Constable.

Pour autant, si McVicar sait se faire minimaliste lorsque la situation dramatique l’exige, il n’a pas son pareil pour animer le plateau dans les divertissements, les liant parfaitement à l’action. Outre l’absence de prologue, on pourra bien évidemment regretter que le metteur en scène force un peu le trait ici et là, mais force est de constater que sa modernisation reste parfaitement dans l’esprit de l’ouvrage. Les danseurs sont ainsi particulièrement sollicités, apportant une verve et une énergie bienvenues dans les acrobaties, à même de défier le statisme du livret de Thomas Corneille, cadet de son frère Pierre.

Plus intéressante que celle réalisée pour Cherubini, l’adaptation de Corneille confine les héros dans un drame familial et amoureux qui surprend dans les deux premiers actes, tant Médée y paraît faible et pleurnicharde, bien éloignée en cela de la magicienne flamboyante d’Euripide. Sa personnalité se révèle ensuite dans le désespoir de l’acte III, sommet de la partition, avant de déchaîner sa fureur et sa vengeance en des climats admirablement variés aux IV et V : Leonardo García Alarcón, en maître des émotions, s’en saisit avec sa maestria coutumière, toute de légèreté et de vivacité.

Le Chœur du Grand Théâtre de Genève, l’un des meilleurs qu’il nous ait été donné d’entendre, lui répond avec une cohésion admirable dans la déclamation. Son excellent directeur Alan Woodbridge n’est sans doute pas étranger à ce tour de force particulièrement bienvenu dans ce répertoire : Charpentier n’y annonce-t-il pas les audaces harmoniques de Rameau, tout en dépassant Lully, incontournable modèle, dans les climats dramatiques ?

Pas de réussite de Médée sans un rôle-titre d’envergure : Anna Caterina Antonacci fait depuis longtemps partie des interprètes d’exception, mais on croit pourtant encore la redécouvrir ici, tant le jeu animal demandé lui fait dépasser le seul confort vocal d’une émission ronde et puissante. Elle endosse avec un bel engagement les habits de la tragédienne dans les trois derniers actes, le tout dans une diction parfaite. À ses côtés, Cyril Auvity (Jason) impose son timbre clair et son émission aérienne, dont on regrette seulement un manque de substance dans la puissance du suraigu.

L’aisance vocale de Keri Fuge (Créuse) force l’admiration, même si d’aucuns pourront trouver la voix trop lourde pour le rôle : l’étendue de la beauté du timbre, gorgé de couleurs, sans parler de la facilité de projection, devraient pourtant recueillir tous les suffrages. Même s’il semble fatiguer en fin de soirée, Charles Rice (Oronte) impose un beau tempérament, tandis que Willard White (Créon) surprend encore par ses nobles phrasés comme son autorité naturelle, et ce malgré un timbre de plus en plus fatigué. Les seconds rôles se montrent à la hauteur mais ne soulèvent pas l’enthousiasme pour autant : pas de quoi gâcher la fête d’une soirée menée tambour battant par le trio de rêve Antonacci-Alarcon-McVicar.

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