Après la Médée de
Cherubini donnée en 2015 et Il Giasone de Cavalli en 2017, l’Opéra de Genève
présente la Médée de Charpentier modernisée par David McVicar en 2013 pour
l’English National Opera : servi par une Anna Caterina Antonacci en grande
forme dans le rôle-titre, le tourbillon visuel du trublion écossais n’a pas
pris une ride.
La production du Couronnement
de Poppée avait été diversement appréciée lors de sa présentation au
Théâtre des Champs-Élysées en 2004 : quelques années plus tard, David McVicar
adopte le même parti-pris sulfureux dans la Médée de Charpentier,
aujourd’hui reprise à Genève avec bonheur, tant l’Écossais surprend par sa
capacité à dépoussiérer le mythe en lui donnant un écrin visuel d’une vibrante
actualité. Ainsi des décors splendides de Bunny Christie qui transpose l’action
en temps de guerre au milieu du XXe siècle, plongeant les interprètes dans un
huis-clos étouffant bien mis en valeur par les ambiances tamisées des
éclairages de Paule Constable.
Pour autant, si
McVicar sait se faire minimaliste lorsque la situation dramatique l’exige, il
n’a pas son pareil pour animer le plateau dans les divertissements, les liant
parfaitement à l’action. Outre l’absence de prologue, on pourra bien évidemment
regretter que le metteur en scène force un peu le trait ici et là, mais force
est de constater que sa modernisation reste parfaitement dans l’esprit de
l’ouvrage. Les danseurs sont ainsi particulièrement sollicités, apportant une
verve et une énergie bienvenues dans les acrobaties, à même de défier le
statisme du livret de Thomas Corneille, cadet de son frère Pierre.
Plus intéressante
que celle réalisée pour Cherubini, l’adaptation de Corneille confine les héros
dans un drame familial et amoureux qui surprend dans les deux premiers actes, tant
Médée y paraît faible et pleurnicharde, bien éloignée en cela de la magicienne
flamboyante d’Euripide. Sa personnalité se révèle ensuite dans le désespoir de
l’acte III, sommet de la partition, avant de déchaîner sa fureur et sa
vengeance en des climats admirablement variés aux IV et V : Leonardo García
Alarcón, en maître des émotions, s’en saisit avec sa maestria coutumière, toute
de légèreté et de vivacité.
Le Chœur du Grand
Théâtre de Genève, l’un des meilleurs qu’il nous ait été donné d’entendre, lui
répond avec une cohésion admirable dans la déclamation. Son excellent directeur
Alan Woodbridge n’est sans doute pas étranger à ce tour de force
particulièrement bienvenu dans ce répertoire : Charpentier n’y annonce-t-il pas
les audaces harmoniques de Rameau, tout en dépassant Lully, incontournable
modèle, dans les climats dramatiques ?
Pas de réussite de Médée
sans un rôle-titre d’envergure : Anna Caterina Antonacci fait depuis longtemps
partie des interprètes d’exception, mais on croit pourtant encore la
redécouvrir ici, tant le jeu animal demandé lui fait dépasser le seul confort
vocal d’une émission ronde et puissante. Elle endosse avec un bel engagement
les habits de la tragédienne dans les trois derniers actes, le tout dans une
diction parfaite. À ses côtés, Cyril Auvity (Jason) impose son timbre clair et
son émission aérienne, dont on regrette seulement un manque de substance dans
la puissance du suraigu.
L’aisance vocale de
Keri Fuge (Créuse) force l’admiration, même si d’aucuns pourront trouver la
voix trop lourde pour le rôle : l’étendue de la beauté du timbre, gorgé de
couleurs, sans parler de la facilité de projection, devraient pourtant
recueillir tous les suffrages. Même s’il semble fatiguer en fin de soirée,
Charles Rice (Oronte) impose un beau tempérament, tandis que Willard White
(Créon) surprend encore par ses nobles phrasés comme son autorité naturelle, et
ce malgré un timbre de plus en plus fatigué. Les seconds rôles se montrent à la
hauteur mais ne soulèvent pas l’enthousiasme pour autant : pas de quoi gâcher
la fête d’une soirée menée tambour battant par le trio de rêve
Antonacci-Alarcon-McVicar.
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