lundi 28 janvier 2013

« Un champ de foire » de Vincent Mignault - A la Folie Théâtre - 24/01/2013

Le deuxième spectacle écrit et mis en scène par Vincent Mignault nous fait découvrir une belle troupe de comédiens, qui s’écharpe à qui mieux mieux sur fond de mélodrame familial. Parfois inégal, mais toujours juste.


À la folie Théâtre, vous connaissez ? Niché dans l’un des passages pittoresques dont regorge le XIe arrondissement de Paris, cet ancien atelier d’imprimerie, transformé en théâtre en 1990, offre au public un écrin chaleureux constitué d’une belle verrière et de fauteuils douillets, tandis que ses deux salles apportent un rapport scène-public idéal, avec de jeunes compagnies talentueuses qui viennent souvent faire leurs premières armes dans la capitale.
Créée en 2002 autour d’un noyau dur de six comédiens, la Cie Je suis ton père est tout d’abord accueillie par le Théâtre de Villemomble en Seine-Saint-Denis, produisant de nombreuses pièces du xxe siècle, de Jean-Paul Sartre à Jean Anouilh, sans oublier Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri avec l’irrésistible Un air de famille. Armée de cette expérience, toute l’équipe débarque à L’Alambic Comédie en 2010 avec Jeff, pièce écrite par l’un de ses fondateurs, Vincent Mignault, un ancien du cours Florent, qui récidive en 2012 avec une deuxième création en partie autobiographique, Un champ de foire.
Un déménagement périlleux
Une maison vendue, celle de l’enfance heureuse de deux sœurs et d’un frère, est au cœur de la pièce. Au milieu des cartons du déménagement qui jonchent la scène, la fratrie se retrouve et se déchire sous le regard de leurs conjoints impuissants. Alice, l’aînée irascible et autoritaire, tyrannise son entourage, aussi bien Bertrand, son époux falot et pathétique, que sa propre sœur June, à qui elle n’a plus adressé la parole depuis quatre ans. Tous vont se liguer pour tenter de la faire changer d’avis et retrouver le goût des jours heureux ensemble.
Si la première partie de la pièce fait la part belle aux affrontements familiaux, la deuxième s’apaise et touche au cœur, bercée d’une douce mélancolie et de moments de grâce. On pense à ces scènes où June (admirable Mathilde Roux) s’émerveille devant le miroir qui l’a vue grandir ou relit les lettres insolites de sa mère à sa meilleure amie. De même, vise juste la camaraderie bon enfant des trois hommes, qui, tout en buvant de la bière, devisent dans le jardin sur le temps qui passe et les difficultés du monde adulte. Et que dire de la lumineuse Garance de Maïté Bergès, qui apporte des pauses bienvenues à la tension familiale avec ses lubies baba cool ?
Subtiles froideurs
Alors, évidemment, on pourra regretter certaines situations un rien trop appuyées ou mélodramatiques. Si le rôle d’Alice est un peu univoque, Aurélie Avocat gagnerait néanmoins en intensité avec davantage de respiration dans la colère. Elle se montre heureusement plus à son aise dans l’apaisement, les subtiles froideurs dans le ton dévoilant un beau tempérament. On retiendra enfin l’excellente composition de Vincent Mignault dans le rôle du frère Yann.
La mise en scène de celui-ci, sobre et classique, utilise à merveille la belle scénographie réaliste composée par Solène Ortoli, en multipliant les déplacements inattendus d’accessoires au gré des différentes scènes, avant que les comédiens ne se retrouvent sur un plateau nu, une fois le déménagement terminé. La fratrie apaisée, libérée du poids des querelles, quitte la maisonnée aux souvenirs si présents, tandis qu’un doux vent de nostalgie étreint la salle. Un spectacle sincère et généreux, parfois inégal mais qui parvient à transmettre un indéniable plaisir de jouer ensemble.

mercredi 23 janvier 2013

« La Réunification des deux Corées » de Joël Pommerat - Ateliers Berthier - 20/01/2013

Aux Ateliers Berthier, la nouvelle création très attendue de Joël Pommerat déçoit autant pour sa scénographie maladroite que pour le survol de son vaste sujet, l’amour. Une troupe de comédiens épatante, ainsi que de fulgurants tableaux à la poésie visuelle envoûtante, parviennent heureusement à sauver l’ensemble.


C’est peu dire que chaque nouvelle création théâtrale de Joël Pommerat est vivement attendue saison après saison. Si l’ancien comédien s’est frotté à l’écriture dès le début des années 1990, il lui aura fallu attendre 2006 pour obtenir une consécration méritée aux molières, puis 2010 pour que le Théâtre de l’Odéon et le Théâtre national de Belgique le nomment artiste associé pendant trois ans. Avec Emma Dante ou Lars Norén, Pommerat a également été sélectionné pour participer à Villes en scène, un projet soutenu par la Commission européenne qui a pour but de présenter les œuvres de différents auteurs-metteurs en scène contemporains à travers toute l’Europe.
Si Pommerat annonce sans rire vouloir monter une pièce par an pendant quarante ans, force est de constater que ce défi est pour l’instant relevé haut la main. Face à cette incroyable boulimie de travail, celui qui ne se contente pas d’écrire ses textes, mais également de les mettre en scène, a su s’entourer d’une équipe technique et de comédiens fidèles, qui participent d’un style immédiatement identifiable autour de tableaux visuels poétiques et oniriques, et d’un jeu sur l’espace sans cesse renouvelé.
Renouveler son inspiration
C’est précisément au moyen de cette curiosité pour l’exploration de scénographies originales que Pommerat tente de renouveler son inspiration d’année en année. La grande réussite visuelle de Ma chambre froide, précédente pièce jouée aux Ateliers Berthier, avait consisté à jouer sur des effets de surprise liés à la mise en place mouvante de l’action sur tout l’espace du plateau, suite aux déplacements imprévisibles des comédiens dans le noir complet, l’éclairage revenu dévoilant une succession de tableaux inattendus et merveilleux.
Le même procédé est utilisé dans la Réunification des deux Corées où les spectateurs se retrouvent, non plus dans un espace circulaire, mais dans une opposition frontale en deux gradins, laissant entre eux une scène aussi étroite en largeur qu’immense en longueur. Alors que la disposition circulaire permettait une vision idéale pour l’ensemble du public, ce long corridor gêne la perception périphérique de l’action, chaque voisin se penchant à qui mieux mieux pour tenter d’apercevoir ce qui se passe aux extrémités. En dehors des effets d’éclairage en damier plutôt réussis, l’utilisation de cette mise en espace ne convainc donc pas pleinement.
L’amour et ses multiples aspects
Le spectateur se demande dès lors, en référence au titre du spectacle, si ce corridor ne symbolise pas l’impossible rapprochement entre les deux Corées. Fausse piste. Sans jamais aborder la question politique entre Séoul et Pyongyang, Pommerat choisit d’aborder un sujet plus universel, celui de l’amour et de ses multiples aspects, à partir de l’exposition de courts fragments d’histoires fictifs ou empruntés à Ingmar Bergman et Arthur Schnitzler.
À partir de ce kaléidoscope de saynètes virtuoses sans aucun rapport entre elles si ce n’est le vaste sujet de l’amour, l’auteur tisse un spectacle un peu creux où l’absence de fil conducteur évacue tout enjeu et toute émotion. Dommage que Pommerat n’ait finalement pas grand-chose à nous dire, car, comme toujours, ses comédiens se montrent tout à fait épatants. On retiendra surtout les femmes, aux rôles sans doute plus marquants, particulièrement dans la scène aussi drôle qu’absurde du mariage avorté par des sœurs unanimement amoureuses du même homme.
Un univers sonore omniprésent
L’usage de l’amplification des voix, sans doute rendue nécessaire au vu de l’étendue de la scène, est encore une fois à regretter tant ce choix uniformise et appauvrit la richesse des timbres et leur perception spatiale. De même, l’utilisation quasi systématique d’un fondu musical, à base de synthétiseur bloqué dans les graves, apparaît comme une facilité rapidement rébarbative, heureusement compensée par quelques extraits de tubes qui offrent des décalages bienvenus. Sur scène, les comédiens prennent parfois le micro pour chanter dans une langue inconnue, nous rappelant ainsi que le langage de l’amour se veut universel. Un bien maigre message pour un spectacle en forme de zapping virtuose, mais un peu vain.