mardi 27 octobre 2020

Oeuvres de Chostakovitch - Trio Wanderer - Disque Harmonia Mundi

On ne présente plus le Trio Wanderer, formé en 1987, qui poursuit depuis plusieurs années son exploration du répertoire de la musique de chambre avec son fidèle éditeur Harmonia Mundi. Après deux trios gravés en 2004, il revient à Chostakovitch en s’intéressant à l’un de ses plus parfaits chefs-d’œuvre, le Quintette avec piano (1940), proche de la contemporaine Sixième Symphonie par sa perfection formelle et sa fluidité. On retrouve ici le style apaisé, clair et serein du Trio (ici augmenté des forces de Catherine Montier et Christophe Gaugué), qui convient idéalement à cet ouvrage. On est aux antipodes de cette excellente version russe, plus nerveuse, récemment éditée par Melodiya: deux approches passionnantes dans leur confrontation.


Le disque est peut-être plus encore à chérir pour ses méconnues Romances sur des poèmes d’Alexandre Blok (1967), autre chef-d’œuvre composé alors que la santé de Chostakovitch se dégrade irrémédiablement. Ce cycle de mélodies a pour originalité de varier la combinaison de l’accompagnement instrumental pour chacune des romances. Il en résulte une subtile variation de coloris, unifiés à chaque fois par les interventions dramatiques de la mezzo-soprano. On ne pourra que se féliciter d’avoir fait appel à l’incarnation tour à tour vibrante et délicate d’Ekaterina Semenchuk (née en 1976), dont les moyens techniques superlatifs, entre rondeur de l’émission et beauté des graves, font merveille. Un très grand disque.

mardi 20 octobre 2020

« Görge le rêveur » d'Alexander von Zemlinsky - Opéra de Dijon - 18/10/2020

La déception domine après la découverte de la création française, à Nancy, puis Dijon, de Görge le rêveur, troisième opéra d’Alexander von Zemlinsky (1871-1942). On attendait sans doute trop de cette coproduction, tant la musique de Zemlinsky reste injustement méconnue en France, et ce malgré des efforts constants depuis plusieurs années, dans le domaine lyrique surtout. Outre les deux chefs-d’œuvre vénéneux adaptés d’Oscar Wilde, Le Nain (voir notamment à Lille en 2017) et Une tragédie florentine (voir notamment à Lyon en 2012), on pourra citer la récente production lyonnaise du Cercle de craie. Le compositeur autrichien semble aussi retrouver une certaine aura dans les salles de concert avec sa fantaisie symphonique La Petite Sirène (voir notamment ici), au souffle postromantique lumineux proche de Rimski-Korsakov et Rachmaninov.
 
Composé trois ans plus tard, en 1906, l’opéra Görge le rêveur, en grande partie autobiographique, montre un visage autrement plus sombre du compositeur: le récit initiatique révèle un être profondément dépressif, incapable de se résoudre aux faux-semblants d’un mariage arrangé, attiré par les sirènes du monde et la beauté féminine – en un miroir criant de ressemblance avec l’histoire personnelle du compositeur, notamment son amour déçu pour Alma Mahler. Loin de se saisir de ces sujets passionnants, le livret de Leo Feld souffre d’un symbolisme trop simpliste, tournant en rond rapidement: pour éviter de résoudre les hésitations entre rêve et réalité, le désir de mort est-il préférable ? Si le livret aurait ainsi gagné à être resserré, la musique de Zemlinsky déçoit aussi quelque peu, tant elle reste encore ancrée dans un postromantisme prévisible, là où les ouvrages ultérieurs sauront dépasser ces prudences, dans les pas de Schreker. Quelques passages, toutefois, montrent le compositeur à son meilleur, telle la scène finale de l’acte I ou les rêveries doucereuses au II. 
Il faut dire que la direction effacée et extérieure de Marta Gardolinska (née en 1988) n’aide pas à faire ressortir les humeurs changeantes au I, se bornant à lisser les angles, sans relief. Le geste legato convient mieux à l’apaisement qui suit, mais reste peu adapté à ce répertoire. On aimerait une direction autrement plus imaginative, avec davantage de prise de risques, pour affronter toutes les beautés du génial orchestrateur qu’est Zemlinsky, et ce d’autant plus que l’adaptation pour orchestre de chambre, due à Jan-Benjamin Homolka, réduit – de fait – les effets de masse. Fort heureusement, le plateau vocal donne davantage de satisfactions avec la classe vocale de Helena Juntunen (Gertraud, la Princesse), trop rare en France malgré ses prestations alsaciennes remarquées (dans Le Son lointain et Salomé). Sa présence scénique comme son aisance vocale sur toute la tessiture sont un régal de chaque instant, à l’instar du superlatif Kaspar de Wieland Satter, impressionnant de couleurs et de puissance maitrisée. Dommage que Daniel Brenna (Görge) ne se hisse par à leur niveau, souvent gêné par les brusques changements de registre et les accélérations au I, qui mettent à mal l’expression de son timbre. Peu à peu, il impose toutefois un mélange de puissance et de sensibilité dans son incarnation, faisant croire aux errances troubles de son personnage. Tous les autres rôles se montrent à la hauteur, particulièrement la musicalité subtile d’Allen Boxer (Hans), à qu’il ne manque qu’une projection plus affirmée pour convaincre totalement. 
 
On est moins séduit en revanche par la mise en scène illustrative et peu imaginative de Laurent Delvert (découvert ici même voilà deux ans), qui revisite un décor unique pendant toute la représentation avec quelques éclairages en demi-teinte, savamment distillés en seconde partie. Si certains détails saillants, telle la scène de vendetta villageoise avec la sorcière, montrent un goût évident pour la stylisation plastique, c’est hélas trop peu pour animer un ouvrage lyrique sur la durée. Outre une direction d’acteur par trop discrète, on regrettera de nombreuses maladresses, comme de faire chanter le rôle-titre dos à la scène, assis ou allongé pendant pratiquement tout le I, ou encore d’infliger une bruyante et sous-utilisée rivière en milieu de scène. De même, on est peu convaincu par les scènes oniriques dans les blés au I, qui tombent à plat à force de pudeur et de retenue. On ne peut que vivement conseiller à ce jeune metteur en scène de s’affirmer avec davantage d’audace à l’avenir afin de dépasser la seule illustration visuelle convenable et consensuelle.

lundi 19 octobre 2020

« Samson et Dalila » de Camille Saint-Saëns - Opéra national du Rhin à Strasbourg - 16/10/2020

Il aura donc fallu attendre huit mois pour que Strasbourg puisse présenter une nouvelle production à l’Opéra national du Rhin : peu avant le spectacle, son directeur Alain Perroux, nommé l’an passé suite au décès inattendu d’Eva Kleinitz, remercie au micro l’ensemble des intervenants, dans leurs domaines technique et artistique respectifs, avec une émotion visible. Venu en nombre, le public a été réparti dans la salle dans le respect des mesures de distanciation, avant que la discipline de sortie en fin de soirée montre combien chacun respecte les nécessaires consignes d’organisation. Musicalement, ce contexte permet d’entendre le choeur réparti dans les deux derniers balcons en hauteur, …une satisfaction paradoxale à laquelle on ne s’attendait guère : on se régale de cette spatialisation où chaque pupitre s’oppose avec force détail, faisant de cette particularité l’un des grands moments de la soirée.

On se félicite aussi d’avoir fait appel à Ariane Mathiakh (née en 1980) pour diriger la fosse, tant la Française insuffle une énergie sans pareil : à force de détails, sa direction sans vibrato, piquante et allégée (COVID oblige, les cordes ont été réduites), est un modèle d’élégance aérienne. Pour autant, l’ancienne lauréate de la première édition « Talents chefs d’orchestre Adami », en 2008, n’en oublie jamais le drame, donnant dès l’ouverture des couleurs sombres par des scansions appuyées aux contrebasses. Elle sait aussi ralentir le tempo dans des moments plus étonnants (premières mesures vénéneuses de “Mon coeur s’ouvre à ta voix” au 2e acte ou dans la Bacchanale au 3e acte, d’une grande tenue rythmique). On espère retrouver très vite cette baguette très imaginative, sur scène comme au disque.

Face à cette direction enthousiasmante, le plateau vocal se montre plus inégal. Convaincants : Jean-Sébastien Bou (son Dagon est d’une grande force théâtrale, bien épaulé par sa parfaite diction, idéalement projetée) ; de même, les seconds rôles superlatifs ne sont pas en reste : Wojtek Smilek et Patrick Bolleire – ce dernier familier du rôle (voir notamment à Metz et Massy en 2018). Les deux rôles-titres sont plus problématiques : la Dalila de Katarina Bradic, dont le manque de puissance est audible dans les ensembles. C’est certainement ce qui explique pourquoi la mezzo serbe s’épanouit principalement dans le répertoire baroque, là où ses superbes couleurs cuivrées dans les graves font merveille – pianissimos très maitrisés. Ici, l’aigu est plus tendu dans les changements de registre au I, avec un manque d’éclat constant dans les forte. Même déception pour le très inégal Massimo Giordano (Samson), à l’émission instable et serrée dans l’aigu, sans parler de son vibrato prononcé. Seule la voix en pleine puissance séduit en de rares occasions, dans un rôle il est vrai redoutable.

La mise en scène de Marie-Eve Signeyrole joue la carte d’une transposition contemporaine réussie, imaginant deux camps irréconciliables, entre conservateurs au pouvoir et mouvement anarchique des clowns – ces derniers rappelant inévitablement leurs lointains cousins les gilets jaunes. Comme à son habitude (voir notamment son Nabucco), Signeyrole s’appuie sur les dispositifs vidéo souvent filmés en direct et projetés sur plusieurs écrans, tout en expliquant son uchronie en un générique à la double fonction, didactique et satirique : la vision du monde politique, ainsi montrée, ressemble à une émission de télé-réalité, dont les spectateurs suivraient chaque épisode rocambolesque. Certains personnages n’hésitent pas à s’adresser directement à la caméra, tandis que l’utilisation d’un plateau tournant permet des allers-retours saisissants entre vies privée et publique : le ballet visuel incessant entre les différents tableaux est une grande réussite tout au long de la soirée, révélant un grand art dans les transitions. Juste aussi l’idée force de Signeyrole, de montrer Samson en handicapé physique, comme s’il revivait sans cesse le cauchemar de sa chute : le dîner de con organisé en son honneur au III donne à voir toute l’horreur de sa situation, tandis que la mise en scène se saisit astucieusement de l’accélération du récit à la fin : ici, le châtiment divin disparait au profit d’une sorte d’entartage politique à base de goudron et de plumes, en un final clownesque cohérent. Un travail global d’une belle richesse visuelle, toujours au service de l’oeuvre.

mardi 13 octobre 2020

« Cresus » de Reinhard Keiser - Johannes Pramsohler - Théâtre de l'Athénée - 10/10/2020

 

Comme chaque année, l’Atelier de recherche et de création pour l’art lyrique (ARCAL), compagnie nationale de théâtre lyrique et musical, nous propose l’un de ses spectacles phares en tournée à travers toute la France. Après l’excellente production de La Petite renarde rusée en 2016-2017, l’ARCAL semble désormais se tourner vers un répertoire résolument baroque, avec Caligula de Pagliardi en 2017, puis Didon et Enée de Purcell. On retrouve précisément au Théâtre de l’Athénée l’Ensemble Diderot, qui a travaillé l’an passé sur ce dernier spectacle, encore visible pour quelques dates, à Quimper les 18 et 19 novembre prochains, puis à Reims les 18 et 19 février 2021.

En attendant, place au Crésus de Reinhard Keiser (1674-1739), plus célèbre ouvrage lyrique d’un compositeur qui a fait la plus grande partie de sa carrière à Hambourg, peu avant Telemann. Composé en 1711, puis révisé largement en 1730, tant pour les numéros que pour les tessitures, l’opéra est présenté dans cette dernière version, manifestement sans coupure (la durée du spectacle dépasse les trois heures avec un entracte compris), à laquelle ont été apportées quelques modifications pour renforcer la dramaturgie: fusion et réduction de certains rôles, notamment Solon qui chante les airs dévolus à Halimacus, sans qu’il possible de distinguer les deux personnages. En dehors de certains récitatifs un peu trop longs, la musique variée de Kaiser donne beaucoup de plaisir, même si le livret se perd trop dans les méandres amoureux. De même, on pourra s’étonner du titre de l’ouvrage, alors qu’Elmira et Atys occupent bien davantage la scène que le malheureux Crésus, absent d’une grande partie de l’action.

Quoi qu’il en soit, la qualité de l’ensemble justifie la résurrection de cet ouvrage, engagée dès les années 1990 avec les disques de René Clemencic (Nuova Era, 1999), puis René Jacobs (Harmonia Mundi, 2000). Sur scène, quelques autres raretés sont occasionnellement tirées de l’oubli, par exemple Arsinoé à Berlin en 2006 ou La Généreuse Octavia au festival d’Innsbruck en 2017.

 

On ne peut que se féliciter d’avoir fait à nouveau appel à l’excellent ensemble de musique de chambre Diderot, créé en 2009 et élargi en formation d’orchestre dès 2015. Cette spécificité est immédiatement audible, tant chaque pupitre se distingue individuellement à force de détails et de couleurs. De plus, le chef italien Johannes Pramsohler (né en 1980) prend souvent le premier violon dans les parties endiablées, afin de donner davantage de corps à l’ensemble. Globalement, l’ancien élève de Reinhard Goebel oppose le tranchant des passages rapides, très enlevés et sans vibrato, aux parties plus élégiaques, d’un grand raffinement dans l’expressivité. Cet écrin donne beaucoup de contraste et permet aux chanteurs de se distinguer sans forcer. Il est vrai que le plateau vocal réuni pour l’occasion frise la perfection, alors même que le nombre de rôles est considérable.

Ainsi de la lumineuse Elmira de Yun Jung Choi, aussi impériale techniquement dans les accélérations et les vocalises, qu’affirmée au niveau dramatique, ou encore de Marion Grange (Clerida, Trigesta) aux belles couleurs et aux phrasés aériens. On reste aussi bluffé par la prestation d’Inès Berlet (Atys), ivre d’assurance et de musicalité dans un rôle masculin qui lui va comme un gant, tandis que Ramiro Maturana (Crésus) fait montre d’une belle sûreté dans les graves. Tous les seconds rôles se montrent à la hauteur, même si on pourra trouver un rien outrées les bouffonneries de Charlie Guillemin (Elcius).

Enfin, la mise en scène déjantée de Benoît Bénichou n’est pas pour rien dans la réussite de la soirée, apportant beaucoup d’énergie à l’ensemble avec un univers visuel bling-bling aussi fastueux que décadent, très imaginatif dans les costumes et maquillages. Le mélange de superficialité et de cruauté des personnages est ainsi parfaitement rendu tout au long de la soirée. On mentionnera aussi le superbe travail sur les éclairages, très variés, avec de beaux clairs-obscurs qui mettent en valeur les nombreux reflets dorés des costumes et du cube central bien revisité avec son plateau tournant. Bénichou ne se contente pas de la seule folie visuelle et cherche à multiplier les interactions dans les airs, avec un équilibre juste et efficace pour relancer l’action. Un spectacle très réussi, aux outrances assumées, qui ne laissera personne indifférent.

lundi 12 octobre 2020

« Oh la belle vie ! » par le groupe vocal a capella Cinq de coeur - L'Alhambra - 09/10/2020

Déjà le huitième spectacle pour le groupe vocal a capella Cinq de Cœur, dont la formation en 1992 avait d’emblée rencontré le succès avec ce mélange de brio vocal et d’humour savamment dosé: il est vrai que le groupe a toujours su s’entourer des meilleurs, notamment à la mise en scène (Anne Roumanoff ou Pascal Légitimus pour ne citer que les plus connus), tout en évoluant dans la composition du groupe. Le dernier changement remonte à 2014 avec le remplacement de Xavier Margueritat par Fabian Ballarin en tant que basse (voir notamment leur sixième spectacle «Chasseurs de sons», repris en 2010-2011 à Paris).

La liste de dates prévues à travers toute la France démontre la renommée de la formation, installée à Paris dans le nouvel Alhambra, situé à quelques encablures du l’ancien temple de l’opérette et de la chanson française, détruit en 1967. Aujourd’hui, la salle à taille humaine, d’environ 600 places, donne tout le confort moderne attendu pour l’événement: la sonorisation des interprètes permet à chacun de ne jamais forcer, tout en brillant par la précision de chaque intervention. Au-delà des nécessités comiques attendues, c’est bien la qualité vocale globale qui impressionne – chaque soliste bénéficiant d’une solide formation lyrique, tout particulièrement les femmes (deux d’entre elles sont membres du chœur de chambre Accentus). Au gré de ces acrobaties tant lyriques que théâtrales, le groupe nous embarque dans une valse endiablée de répertoires, passant allégrement du classique revisité (on pourra s’amuser à reconnaître les emprunts à Vivaldi, Mozart, Richard Strauss et tant d’autres) à la comédie musicale (Bernstein ou Michel Legrand), sans oublier le jazz et la musique pop.


Tout l’art du metteur en scène Philippe Lelièvre repose dans les transitions souvent surprenantes entre les morceaux, avec un savant mélange de contrepieds et de fil rouge (un mot, manifestement choisi au hasard par chaque chanteur, sera ainsi scandé en différentes occasions), sans oublier une once de poésie dans les parties plus apaisées. Mais c’est peut-être plus encore la capacité à caractériser chaque personnage qui fait tout le sel de ce spectacle, en donnant une identité visuelle à chacun, autant dans les costumes que les chamailleries et mesquineries bon enfant. Les nombreux gags visuels lorgnent autant vers les références au cinéma muet que la satire du monde du spectacle: ainsi des contrechants trop présents qui nécessitent l’insolite recours à un mégaphone, ou encore des éternels remerciements d’une soliste en mal de reconnaissance... On s’attache peu à peu à ce joyeux petit monde qui n’en oublie pas de revisiter quelques chansons avec de nouvelles paroles à l’humour corrosif, en un rythme aussi décisif que désopilant.

On ne pourra que recommander de courir applaudir ces artistes à la bonne humeur communicative, tout en conseillant d’arriver tôt avant le début du spectacle – le placement dans la salle de L’Alhambra étant libre.

samedi 10 octobre 2020

« Giovanna d’Arco » de Giuseppe Verdi - Opéra de Metz - 06/10/2020


Si l’Opéra de Metz peut s’enorgueillir d’être la plus ancienne salle lyrique française encore en activité depuis sa construction en 1752, bien avant Versailles (1770) et Bordeaux (1780), il n’en oublie pas de rendre hommage à sa vénérable voisine la cathédrale Saint-Etienne, qui fête cette année ses 800 ans. C’est dans ce cadre qu’intervient la création messine de Jeanne d’Arc (1845), l’un des ouvrages les plus rarement donnés sur scène de Verdi, en raison du peu d’action offert par le livret. A l’instar de Tchaïkovski avec La Pucelle d’Orléans (1881), l’adaptation d’après Schiller modifie sensiblement le mythe, faisant hésiter Jeanne entre l’appel divin et celui plus charnel de Charles VII, avant de sacrifier l’héroïne sur le champ de bataille, en lieu et place du procès et du bûcher attendus.

Pour autant, on se laisse aller rapidement à ces nouveautés, tant l’inspiration de Verdi se montre à son meilleur dès l’Ouverture, aux accents dramatiques et admirablement nuancés. La mise en valeur de la finesse de l’ornementation de l’orchestration de Verdi doit beaucoup au travail de Roberto Rizzi Brignoli, grand spécialiste de ce répertoire (voir notamment Le Bal masqué donné à Metz en 2015): avec force détails révélés aux bois (bénéficiant en cela de la réduction du nombre des cordes pour cause de COVID), le geste félin et sautillant n’oublie jamais la narration d’ensemble, le tout sans couvrir ses chanteurs. Autre grand atout de la soirée avec le Chœur de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole, manifestement très bien préparé dans la précision de ses interventions.
 

Cet écrin de qualité autour des chanteurs les aide à affronter les redoutables difficultés de la partition, notamment dans la première partie très guerrière, aux modulations périlleuses dans les changements de registre. Ainsi de Patrizia Ciofi (Jeanne), toujours aussi irradiante de présence scénique et d’intelligence au service du texte, qui se joue d’un instrument vocal parfois dur dans l’aigu, un rien trop métallique dans les accélérations, au moyen d’une technique sans faille: on pense notamment à ses pianissimi de rêve dans les parties apaisées, qui n’ont rien à envier aux plus grandes, Anna Netrebko comprise (voir sa prestation milanaise dans le même rôle en 2015-2016). De son côté, Jean-François Borras (Charles VII) n’est pas en reste dans un rôle qu’il connaît bien pour l’avoir déjà chanté à Rouen en 2008. L’élégance des phrasés du ténor français, tout autant que son beau timbre clair, donne beaucoup de présence à sa prestation, particulièrement en une fin d’ouvrage très réussie. On est moins séduit en revanche par les couleurs grises de Pierre-Yves Pruvot (Jacques), au vibrato prononcé, qui assure toutefois l’essentiel par son incontestable métier. Il est toutefois dommage que l’Opéra de Metz n’aie pas su trouver un interprète à la hauteur de Ciofi et Borras, les deux autres rôles principaux.

Enfin, la mise en scène de Paul-Emile Fourny se joue astucieusement de l’exiguïté de la scène grâce au recours important à la vidéo, en un aller-retour subtil entre figuration réaliste et abstraction (avec des lignes entremêlées qui figurent autant un labyrinthe que les fils pour en sortir), tout en ayant recours au ballet de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole pour donner davantage de force brute à l’action scénique. On regrettera seulement des costumes peu imaginatifs et peu saillants (surtout pour Jean-François Borras), sans parler des éclairages sous-utilisés dans l’ensemble. Pas de quoi gâcher le plaisir d’un spectacle de très bonne tenue, qui fait une entrée réussie au répertoire de l’Opéra de Metz.