lundi 31 décembre 2018

Concert de nouvel an - Aziz Chokhakimov - Auditorium de Lyon - 29/12/2018

Aziz Chokhakimov
Tout juste revenu de sa tournée automnale à travers toute l’Allemagne, l’Orchestre national de Lyon conclut l’année avec le traditionnel concert de Nouvel An, dédié aux musiques de ballet de Tchaïkovski. Au vue de la salle archi comble, on ne se plaindra pas de constater combien le compositeur russe reste l’un des plus populaires lors des fêtes d’année, capable de plaire aux petits (nombreux dans la salle) et aux plus grands. C’est bien entendu l’irrésistible talent mélodique de Tchaïkovski qui ne manque pas d’opérer tout au long de la soirée, d’autant plus que le jeune chef ouzbek Aziz Chokhakimov (30 ans) démontre une grande maîtrise dans la conduite du discours musical, optant pour un geste narratif sans dramatisme excessif. On pourra seulement regretter que les traits individuels des différents solistes (notamment les vents) soient parfois peu mis en relief – ce que l’acoustique peu détaillée de l’Auditorium ne favorise pas davantage. Cela étant, l’actuel maître de chapelle du Deutsche Oper am Rhein, à Düsseldorf et Duisbourg, sait se faire conteur et nous emporter dans son geste legato enveloppant.

A peine quelques jours après la nomination de son nouveau directeur musical, Nikolaj Szeps-Znaider (43 ans), qui prendra ses fonctions en septembre 2020, il souffle ainsi à l’Orchestre national de Lyon un vent de jeunesse assez revigorant. On est malheureusement plus dubitatif concernant la sympathique mais peu originale mise en espace confiée à Parelle Gervasoni (fille du musicologue et journaliste Pierre Gervasoni): son travail s’appuie essentiellement sur la scénographie de Véronique Seymat, toute de légèreté et de grâce dans les flocons de neige en papier qui forment une sorte de lit à baldaquin au-dessus de l’orchestre, tandis que l’arrière-scène fait place à un décor enneigé bien mis en valeur par les jeux de lumière. Au pied de l’orchestre, un grand livre façon pop-up sert de fil rouge à un semblant d’histoire assez naïf, d’où ressortent deux musiciens exclus par le chef en début de représentation. Les choristes jouent avec la neige, se réchauffent autour d’une tisane et retournent à leur mission première, le chant: les enfants apprécieront sans doute, mais les adultes ne pourront se contenter de cette illustration bien trop convenue.

dimanche 30 décembre 2018

« Orphée aux enfers » de Jacques Offenbach - Opéra d'Avignon - 28/12/2018


Alors que la restauration de l’Opéra se poursuit en centre-ville afin de respecter les délais (réouverture prévue à l’automne 2019), c’est à nouveau le théâtre provisoire installé à deux pas de la gare TGV qui accueille la nouvelle production d’Orphée aux Enfers (1858) confiée à Nadine Duffaut. On retrouve là une salle plus petite que celle imaginée pour la Comédie-Française (toujours en place à Genève), avec une pente moins soutenue qui donne une impression d’éloignement dès lors qu’on ne se situe pas dans les premiers rangs. Quoi qu’il en soit, la salle sonne assez bien pour convaincre de son maintien au-delà de la réouverture de l’Opéra en centre-ville, notamment pour accueillir plusieurs spectacles du festival de théâtre d’Avignon en juillet prochain. Espérons que l’apport des surtitres ne sera pas omis dans la salle rénovée, afin de donner un confort moderne désormais indispensable.

Depuis ses débuts en 2003, Nadine Duffaut est bien connue à Avignon où elle a monté de nombreux spectacles, dont La Vie parisienne en 2016. En cette fin d’année, elle revient à Offenbach avec moins de bonheur avec une transposition de l’action dans les années 1950 qui cherche à s’attaquer aux hypocrisies bourgeoises, laissant de côté la charge politique. Si les décors d’Eric Chevalier se montrent un rien trop sages et parfois peu signifiants dans les détails (les tableaux des ancêtres par exemple), les costumes de Katia Duflot nous emportent dans une maestria visuelle de toute beauté. On peine cependant à bien distinguer les différents dieux dans leurs caractères, hormis la tonitruante Junon de Jeanne-Marie Lévy, parfois contrainte de cabotiner dans son rôle. C’est d’autant plus regrettable que la mezzo possède une aisance dramatique qui aurait pu être mieux exploitée, faute d’idées plus développées en dehors de l’écrin visuel susmentionné. On reste donc sur sa faim, et ce d’autant plus que la direction d’acteur brouillonne laisse souvent à désirer, surtout avec le chœur. Sur ce dernier point, on avait été nettement plus convaincu par le Faust présenté à Massy en 2017.


On regrettera aussi un chœur insuffisamment fourni avec ses vingt chanteurs, parfois couvert par l’orchestre, mais qui démontre de bonnes qualités au niveau individuel. On doit à la star locale Julie Fuchs (Eurydice) la plus belle prestation de la soirée, toute d’aisance et de velouté dans l’émission, même si on aimerait ici et là davantage d’accent dans l’interprétation. Florian Laconi (Aristée, Pluton) est plus à son aise de ce côté, composant un truculent double rôle, à l’aise vocalement hormis quelques étranglements dans les accélérations. Francis Dudziak (Jupiter) s’impose quant à lui dans une composition essentiellement parlée, de même que le parfait John Styx de Jacques Lemaire. Impossible de citer l’ensemble de la troupe réunie pour l’occasion, dont se détachent les phrasés admirables d’Amélie Robins (Cupidon) ou la rondeur d’émission de Caroline Mutel (Vénus). Enfin, Dominique Trottein se montre par trop timide à la tête de l’Orchestre régional Avignon-Provence, en un geste doucereux quasi soporifique sur la durée. L’élégance est là, mais sans l’électricité attendue en de nombreux passages.

dimanche 23 décembre 2018

« Fantasio » de Jacques Offenbach - Opéra Comédie de Montpellier - 21/18/2018


Promoteur reconnu de Jacques Offenbach à travers le monde, le musicologue et chef d’orchestre Jean-Christophe Keck n’a de cesse de démontrer combien ce compositeur est bien davantage que «l’amuseur du Second Empire» – un sobriquet dont l’ont affublé ses nombreux ennemis jaloux de son succès. La présentation récente de l’opéra romantique Les Fées du Rhin (1864), à Tours, a permis de rappeler combien Offenbach avait cherché à se donner les lettres de noblesse attachées au répertoire dit sérieux, bien avant le succès posthume obtenu avec Les Contes d’Hoffmann. C’est précisément dans ce dernier ouvrage que le «petit Mozart des Champs-Elysées» a opportunément réincorporé plusieurs pans entiers de son Fantasio, dont l’échec à la création en 1872 avait stoppé net la carrière. Cette adaptation de la pièce de Musset pourra décevoir les puristes, tant les modifications apportées en estompent son esprit, que ce soient la charge contre l’Eglise, ici absente, ou la clarification de la relation amoureuse entre la princesse et Fantasio, ici exprimée. Pour autant, on retrouve dans cet ouvrage semi-sérieux une part de la mélancolie de Musset, préservée dans des dialogues parlés non modernisés – contrairement à ce qu’ont réalisé les productions du duo Minkowski/Pelly ou les récents Barkouf à Strasbourg et La Belle Hélène à Nancy.

On a souvent rappelé combien le succès de Fantasio avait souffert de la défaite française de 1870. Imaginée avant ces événements, l’adaptation de la comédie de Musset pouvait paraître opportune, tant le mariage pour raison d’Etat, au centre de l’action, évoque l’incapacité française d’alors à obtenir le soutien décisif de la Bavière face à la Prusse. Le vrai-faux mariage entre la Princesse Elsbeth et le Prince de Mantoue ne moque-t-il pas les hésitations de Louis II de Bavière, incapable de choisir une épouse? Il faut en effet se rappeler que le souverain mélomane appelait sa future promise (finalement répudiée) «Elisabeth», du nom de l’héroïne de Tannhaüser: d’Elsbeth à Elisabeth, la proximité n’a dû paraître que trop savoureuse à Offenbach... Quoi qu’il en soit, la défaite sonne le glas de la satire, imposant l’ajout en fin d’ouvrage d’un plaidoyer pour la paix entre les nations.



Suite à la version de concert donnée par le festival de Montpellier en 2015, Montpellier a de nouveau l’occasion de découvrir la partition de Fantasio, telle que le public de l’Opéra-Comique avait pu l’entendre à sa création (à une exception près cependant: l’ajout de la romance de Fantasio «Pleure», supprimée lors des répétitions par le compositeur). Cette fois, l’Opéra de Montpellier nous donne le confort visuel d’une mise en scène qui, bien qu’imparfaite, remplit son office. Il s’agit de la reprise d’un spectacle de l’Opéra-Comique présenté au Théâtre du Châtelet à Paris en 2017, puis repris à Rouen et Genève, avant Zagreb probablement en 2020. 

S’agissant d’une reprise non réglée par le metteur en scène Thomas Jolly (ce qui ne l’empêche de venir saluer en fin de représentation avec son équipe), difficile de démêler ce qui relève de ses choix initiaux ou des maladresses de la reprise proprement dite. Quoi qu’il en soit, on s’agace en début d’ouvrage des nombreux bruits parasites occasionnés par les mouvements du chœur sur scène, les chutes d’objet nombreuses, ainsi que les déplacements à vue des éléments de décor pendant les dialogues. La scénographie de Thibaut Fack, ancien assistant d’Olivier Py et Pierre-André Weitz, séduit pourtant d’emblée par ses éléments révélés dans la pénombre, évoquant les débuts du cinématographe, les guinguettes et la fin du XIXe siècle dans l’esprit de la poésie visuelle d’un Michel Ocelot. Malheureusement, on peine souvent à percevoir qui s’exprime, du fait d’éclairages tamisés redondants pendant tout le spectacle, sans parler d’une direction d’acteur débraillée qui n’aide pas à éclaircir la lisibilité de l’action. Fallait-il à ce point exagérer les peu subtils accents, allemand pour l’un, cabotin façon Christian Clavier pour un autre? A l’instar de son autre mise en scène lyrique (Eliogabalo donné à l’Opéra Garnier en 2016), Thomas Jolly ne convainc donc qu’à moitié, même si on notera, en fin de représentation, l’accueil chaleureux du public, manifestement séduit par son travail.

Thomas Jolly
Il est vrai que le plateau vocal réuni à Montpellier, différent de ceux entendus à Paris, Rouen et Genève, parvient à se hisser à la hauteur de l’événement que constitue cette recréation scénique. La canadienne Rihab Chaieb, avec un léger accent québécois, s’impose dans le rôle-titre par la rondeur de son émission et sa voix ample. Elle n’est pas en reste au niveau théâtral, tout comme Sheva Tehoval, qui parvient à dépasser une certaine prudence en début de représentation pour composer une Elsbeth à l’agilité rayonnante dans l’aigu. A ses côtés, Armando Noguera se joue de son rôle de prince de Mantoue avec une aisance vocale confondante, presque surdimensionnée dans ce répertoire, tandis que Régis Mengus (Sparck), habituellement plus assuré, se montre plus en retrait au niveau de la projection. Mais n’est-ce pas là aussi le fait du jeune chef d’orchestre Pierre Dumoussaud? Sa direction raide et tonitruante dans les parties verticales couvre à plusieurs reprises les chanteurs, alors que les parties apaisées brillent en contraste d’un raffinement et d’une subtilité bienvenus. L’ancien élève de l’excellent Alain Altinoglu n’a-t-il pas remporté le premier prix des «Talents chefs d’orchestre» de l’Adami en 2014? Après l’entracte, les défauts susmentionnés apparaissent en grande partie gommés: de quoi nous convaincre que l’équilibre souhaité sera obtenu lors des prochaines représentations montpelliéraines, à découvrir jusqu’au 6 janvier 2019.

mardi 18 décembre 2018

« La Petite renarde rusée » de Leos Janácek - Opéra de Karlsruhe - 16/12/2018


A l’occasion de différents voyages dans les pays germaniques, on reste toujours surpris de découvrir des versions en langue allemande d’ouvrages désormais systématiquement donnés en langue originale en France. Ainsi de la nouvelle production de La Petite Renarde rusée (1924) présentée à Karlsruhe jusqu’en juin prochain dans la mise en scène de Yuval Sharon, créée à Cleveland en 2014 avec rien moins que Franz Welzer-Möst à la baguette. Disons-le tout net, le premier metteur en scène américain à avoir travaillé à Bayreuth (cet été dans Lohengrin) se contente d’une illustration premier degré, très peu convaincante sur la durée. Afin de proposer la toute première version interactive animée d’un ouvrage lyrique, Sharon choisit de s’adjoindre le Walter Robot Studios, un studio d’animation qui a reçu de nombreux prix depuis sa création en 2007.

Destiné à s’adapter à la scène réduite de Cleveland, un vaste écran en demi-cercle entoure l’orchestre sur scène: on retrouve logiquement la même proposition à Karlsruhe, où l’on a davantage l’impression d’assister à une mise en espace qu’à une véritable mise en scène, tant les idées de Sharon apparaissent pauvres. Les animaux-chanteurs en sont réduits à s’exprimer à travers de petites fenêtres qui s’ouvrent sur l’écran, ne laissant apparaitre que leur visage en une sorte d’hommage involontaire à Beckett, tandis que les humains évoluent dans l’espace très restreint de la scène derrière l’orchestre – l’ensemble bénéficiant d’une animation qui se veut poétique, sans pour autant surprendre dans ses partis pris visuels assez simplistes, toujours fidèles au récit. Ne pouvait-on chercher une voie médiane afin d’aider à démêler les ressorts initiatiques de l’intrigue, les rapports de l’humain à la nature et aux espèces, tout autant que les allusions symboliques au cycle de la vie? On notera de surcroît une incapacité à faire ressortir les parties comiques de l’ouvrage, à l’instar de ce qu’avait su le faire la subtile et délicieuse mise en scène de Louise Moatty en un spectacle présenté à travers toute la France en 2016 et 2017.


Fort heureusement, le plateau vocal réuni à Karlsruhe force l’admiration, et ce jusqu’aux moindres seconds rôles, tous idéalement distribués. On mentionnera notamment la Renarde incisive d’Uliana Alexyuk, aux phrasés agiles et aux aigus rayonnants – une merveille à chaque intervention. Outre un couple de chasseurs superlatifs, que dire aussi de la voix large parfaitement projeté de Konstantin Gorny (Révérend/Blaireau)? Le chœur d’enfants fait aussi forte impression, avec une articulation et une précision proches de la perfection, tandis que la direction du Generalmusikdirektor hésite en première partie dans l’entremêlement virtuose des mélodies, en une lecture trop analytique, aux tempi lents, avant de convaincre davantage ensuite dans le lyrisme souverain de la fin de l’ouvrage. Un spectacle en demi-teinte à savourer pour les voix.

lundi 17 décembre 2018

« Casse-Noisette » de Piotr Ilyitch Tchaïkovski - Opéra de Karlsruhe - 15/12/2018


Créée en 1988 pour l’Opéra de Bonn, la version de Casse-Noisette imaginée par l’ancien danseur et chorégraphe Youri Vámos n’en finit plus de séduire petits et grands de génération en génération, toujours friands de cet irrésistible bonbon de fêtes de fin d’année. Immarcescible institution dans les pays germaniques, le mythe de Casse-Noisette, célébré par Tchaïkovski en 1892, reste présent dans chaque marché de Noël où les figurines du vaillant soldat trônent en bonne place dans les étals. La version de Youri Vámos, présentée à Karlsruhe cette année, garde toute la sublime musique de Tchaïkovski mais choisit d’adapter le livret originel en lui ajoutant quelques références au célèbre conte de Dickens Un chant de Noël (A Christmas Carol).

Dans cette version, l’inénarrable usurier Scrooge prend les traits de Drosselmeyer et se place au centre de l’action, terrorisant enfants et adultes en leur rappelant leurs dettes: le premier tableau nous plonge ainsi au temps de Dickens en un délicieux décor de petite ville aux toits enneigés, où chacun lutte face au pingre sinistre, en un ballet virevoltant qui fait la part belle à plusieurs traits d’humour. Vient ensuite le temps du coucher solitaire de Scrooge et du vrai-faux rêve: la chute du Diable face à la bonne Fée remplace ici le traditionnel affrontement du Roi des Souris et de Casse-Noisette (on se reportera, pour une adaptation fidèle, à la très belle production dresdoise reprise jusqu’à la fin de l’année). En dehors des aspects féeriques particulièrement réussis au niveau visuel, telle l’envolée du lit à baldaquin de Scrooge au-dessus de la scène, on notera les facéties nombreuses des diablotins, admirablement chorégraphiées, tandis que Vámos n’en oublie pas de ridiculiser le Diable, dont l’accoutrement SM soft et les mimiques efféminées provoquent le rire de toutes les générations.


La seconde partie du spectacle, plus faible au niveau dramaturgique dans la version originale, se voit ici adjoindre quelques trouvailles savoureuses, telles que l’emprunt à quelques images de contes bien connus. On pense par exemple au jeune chœur d’enfants dont l’apparition dans un immense lit fait immédiatement penser au Petit Poucet. Par la suite, Scrooge et les enfants assistent au spectacle sur le côté, avant de danser ensemble, le vieillard retrouvant là une jeunesse inespérée et bienvenue: le voir mimer ses rhumatismes, tout en exécutant les figures imposées, est un régal de chaque instant. Pour autant, le spectacle ne se réduit pas à ces seuls ajouts comiques et bénéficie de décors superbes, tout à fait dans l’esprit du conte de fées, sans parler des costumes à l’avenant. L’alternance entre sérieux et farce offre ainsi un spectacle d’une remarquable fluidité, sans temps mort, et ce d’autant plus que toute la troupe de ballet du Théâtre d’Etat de Bade montre un niveau superlatif, à l’instar des deux interprètes principaux, très applaudis en fin de représentation.

Un spectacle réjouissant que l’on ne manquera pas de voir à l’occasion d’une visite à Karlsruhe, ville dont on rappellera qu’elle est dotée de riches musées et se situe à seulement 40 minutes de Strasbourg en TGV.

dimanche 16 décembre 2018

« La Belle Hélène » de Jacques Offenbach - Opéra national de Lorraine à Nancy - 14/12/2018


Quelques jours après la récréation de Barkouf (1860) à Strasbourg, c’est au tour de l’Opéra de Nancy de s’intéresser en cette fin d’année à Offenbach, en présentant l’un de ses plus grands succès, La Belle Hélène (1864). Toutes les représentations affichent déjà complet, preuve s’il en est de la renommée du compositeur franco-allemand, dont on fêtera le bicentenaire de la naissance l’an prochain avec plusieurs raretés : Madame Favart à l’Opéra-Comique ou Maître Péronilla au Théâtre des Champs-Élysées, par exemple. A Nancy, toute la gageure pour le metteur en scène tient dans sa capacité à renouveler notre approche d’un “tube” du répertoire, ce que Bruno Ravella réussit brillamment en cherchant avec une vive intelligence à rendre crédible un livret parfois artificiel dans ses rebondissements. 

Son idée maîtresse consiste d’emblée à donner davantage d’épaisseur au personnage de Pâris, dont les apparitions et les travestissements rocambolesques relèvent, dans le livret original, du seul primat divin. Pourquoi ne pas lui donner davantage de présence en le transformant en un agent secret chargé d’infiltrer la République bananière d’Hélène et son époux ? Pourquoi ne pas faire de lui un mythomane, dès lors que son attachement autoproclamé à Venus n’est jamais confirmé par la Déesse, grande absente de l’ouvrage ? Ce pari osé et réussi conduit Pâris, dès l’ouverture, à endosser les habits d’un James Bond d’opérette, plutôt savoureux, d’abord ébahi par les gadgets présentés par “Q”, avant de se faire parachuter en arrière-scène. C’est là le lieu de tous les délires visuels hilarants de Bruno Ravella, qui enrichit l’action au moyen de multiples détails d’une grande pertinence dans l’humour – mais pas seulement, lorsqu’il nous rappelle que la guerre se prépare pendant que tout ce petit monde s’amuse.


La transposition survitaminée fonctionne à plein pendant les trois actes, imposant un comique de répétition servi par une direction d’acteur qui fourmille de détails (chute du bellâtre Pâris dans l’escalier, prosodie de la servante façon ado bourgeoise de Florence Foresti, etc). De quoi surprendre ceux qui n’imaginait pas Bruno Ravella capable de renouveler, en un répertoire différent, le succès obtenu l’an passé avec Werther – un spectacle auréolé d’un prix du Syndicat de la critique. On mentionnera enfin la modernisation féroce des dialogues réalisée par Alain Perroux (en phase avec l’esprit du livret original tourné contre Napoléon III), qui dirige logiquement la farce contre le pouvoir en place aux cris d’”En marche la Grèce !” ou de “Macron, président des riches ! ».

Autour de cette proposition scénique réjouissante, le plateau vocal brille lui aussi de mille feux, à l’exception du rôle-titre problématique. Rien d’indigne chez Mireille Lebel qui impose un timbre et des phrasés d’une belle musicalité pendant toute la soirée. Qu’il est dommage cependant que la puissance vocale lui fasse à ce point défaut, nécessitant à plusieurs reprises de tendre l’oreille pour bien saisir ses interventions. Pour une chanteuse d’origine anglophone, sa prononciation se montre tout à fait satisfaisante, mais on perd là aussi un peu du sel que sait lui apporter Philippe Talbot en comparaison. C’est là, sans doute, le ténor idéal dans ce répertoire, tant sa prononciation parfaite et son timbre clair font mouche, le tout avec une finesse théâtrale très à propos.


Autour d’eux, tous les seconds rôles affichent un niveau superlatif. On se réjouira de retrouver des piliers du répertoire léger, tout particulièrement Franck Leguérinel et Eric Huchet – tous deux irrésistibles. On mentionnera également le talent comique de Boris Grappe, à juste titre chaleureusement applaudi en fin de représentation, dont le style vocal comme les expressions lui donnent des faux airs de …Flannan Obé, un autre grand spécialiste bouffe. Enfin, Laurent Campellone dirige ses troupes avec une tendresse et une attention de tous les instants, donnant une transparence et un raffinement inattendus dans cet ouvrage. Un grand spectacle à savourer sans modération pour peu que l’on ait su réserver à temps !

lundi 10 décembre 2018

« Barkouf » de Jacques Offenbach - Opéra national du Rhin à Strasbourg - 07/12/2018

Jamais repris depuis sa création parisienne en 1860, l’opéra-bouffe Barkouf renaît aujourd’hui grâce aux efforts conjugués des opéras du Rhin et de Cologne (qui seul nous offrira un enregistrement discographique, avec les dialogues en allemand), tout autant que du spécialiste mondial d’Offenbach, le chef et musicologue Jean-Christophe Keck, à qui l’on doit la reconstruction de la partition et du livret. L’ouvrage fut en effet plusieurs fois remis sur le métier avant la création houleuse, effectuée dans un parfum de scandale du fait de sa satire du pouvoir en place. Auréolé de l’immense succès d’Orphée aux enfers (1858), Offenbach parvenait enfin à pénétrer le graal que représentait pour lui l’Opéra-Comique, tout en accédant dans le même temps au non moins prestigieux Opéra de Paris (alors appelé Théâtre national de l’Opéra), avec le ballet Le Papillon (1860). C’est très certainement ce prestige reconnu qui le conduisit, avec son librettiste Scribe, à oser rire de la valse du pouvoir en France depuis la Révolution de 1789, tout en moquant le fait que n’importe qui semblait désormais accéder à la fonction suprême – un chien, pourquoi pas ?

Echec à sa création, l’ouvrage pâtit certainement de ce sujet sulfureux, difficile à défendre pour tous ceux qui craignait Louis-Napoléon Bonaparte, dictateur redouté depuis son coup d’Etat sanglant en 1851 et la chasse aux sorcières qui s’en suivit. Malgré la censure, Barkouf pousse la satire aussi loin que possible, ce que les auditeurs de l’époque ne manquèrent pas de savourer, en faisant de nombreuses allusions à la jeunesse du futur Napoléon III, dont la suite rocambolesque de coups d’Etat manqués (Rome en 1831, Strasbourg en 1836 ou encore Boulogne-sur-Mer en 1840), tout autant que son appétit jamais assouvi pour les conquêtes féminines, en font un véritable personnage d’opérette. De même, les allusions au mariage forcé de Périzade et Saëb ressemble furieusement au choix épineux que dû résoudre Napoléon III en 1853 : épouser une femme aimée ou bien l’héritière d’une famille régnante ? On peut ainsi voir la figure de l’Empereur en deux personnages distincts et complémentaires de l’ouvrage, le révolutionnaire Xaïloum et le bellâtre amoureux Saëb.


Las, on comprend aisément que présenter un tel ouvrage sans le contexte historique et les codes nécessaires à sa compréhension n’a pas de sens de nos jours : la modernisation nécessaire des dialogues a de fait conduit Mariame Clément à restreindre ces aspects, ne gardant de l’allusion à Napoléon III que l’image finale des deux tourtereaux enfin couronnés, afin de lui préférer une pochade certes sympathique, mais somme toute moins savoureuse que Le Roi Carotte (voir notamment la reprise lilloise en début d’année). A sa décharge, le livret ainsi vidé de sa charge personnalisée, étale sa pauvreté d’action autour des mystifications improbables de Maïma, propriétaire du chien proclamé gouverneur. Fallait-il y voir, là aussi, une allusion à l’influence considérable d’Eugénie, l’épouse de Napoléon III, une des plus belles femmes de son temps ? Dès lors, Clément fait le choix de présenter une société totalitaire envahie par les faux-semblants et l’apparence (I), avant l’avènement et la chute de la bureaucratie complotiste (II et III) : la scénographie splendide de Julia Hansen est un régal pour les yeux. 

Pour autant, le choix d’une illustration bon enfant, moquant l’absurdité d’un travail répétitif par l’adjonction d’un mime entre les actes, minore la charge potentielle de la farce au profit de seuls gags visuels. On aurait aimé, par exemple, davantage d’insistance sur la cruauté des rapports de domination entre le Vizir et son valet, et plus encore sur les personnages secondaires au nom pittoresque (porte-épée, porte-tabouret, porte-mouchoir, etc). De même, il aurait sans doute été préférable d’exploiter davantage le fort original thème canin, ici traité de façon discrète.


Autour de cette mise en scène agréable mais sans surprise, on se félicite du plateau vocal réuni à Strasbourg, très convaincant. Ainsi de l’irrésistible abattage comique de Rodolphe Briand (Bababeck) dont on notera seulement quelques décalages avec la fosse au niveau vocal, ici et là. Un détail tant ses qualités théâtrales forcent l’admiration. A ses côtés, Pauline Texier (Maïma) endosse le rôle le plus lourd de la partition avec une belle vaillance vocale pour une voix au format si léger, tour à tour gracieuse et charmante. Il faudra cependant encore gagner en agilité dans l’aigu et en force d’incarnation pour rendre plus crédible le virage autoritaire de son personnage en deuxième partie. Fleur Barron (Balkis) ne manque pas de puissance en comparaison, autour d’une émission d’une rondeur admirable. On aimerait l’entendre dans un rôle plus important encore à l’avenir. Son français est fort correct, à l’instar de l’autre non francophone de la distribution, Stefan Sbonnik (Xaïloum). Autre belle révélation, avec les phrasés ensorcelants du très musical Patrick Kabongo (Saëb), idéal dans ce rôle, tandis que Nicolas Cavallier compose un superlatif Grand-Mogol.

On conclura en regrettant la direction trop analytique et allégée de Jacques Lacombe, qui peine à donner l’électricité et l’entrain attendu dans ce type d’ouvrage. Même si ce parti-pris a, au moins pour avantage, de ne pas couvrir les chanteurs, on aimerait donner davantage de folie et d’emphase à ce geste trop policé.

lundi 3 décembre 2018

« Hansel et Gretel » de Engelbert Humperdinck - Opéra de Mannheim - 02/12/2018


On reste toujours autant fasciné par le théâtre de répertoire à l’allemande et sa capacité à reprendre d’année en année des productions qui ont marquées plusieurs générations de spectateurs. Ainsi du Hansel et Gretel monté en 1970 par Wolfgang Blum, repris voilà deux ans pour la période de fêtes et à nouveau cette année: c’est là l’occasion de constater combien cet ouvrage reste un incontournable de l’apprentissage musical des plus jeunes en terre germanique, avec une salle pour moitié composée de jeunes têtes blondes. On imagine aussi l’émotion ressentie par ces parents qui accompagnent leurs enfants à ce spectacle d’une perfection classique et intemporelle, auquel ils ont peut-être également assisté dans leur enfance.

A l’instar du Parsifal redonné ici même au printemps, voilà l’occasion de retrouver un travail fidèle aux attendus de ce récit initiatique, offrant une mise en scène d’une grande lisibilité, à la scénographie délicate et poétique. On pourrait évidemment douter qu’un travail plus actuel insiste autant sur la couardise et la naïveté de Gretel face à son frère: quoi qu’il en soit, la direction d’acteur apporte une belle dynamique, sans temps mort, tout en s’appuyant sur des décors très évocateurs. C’est là l’une des grandes forces de ce spectacle (auquel les photos extraites ne rendent malheureusement qu’imparfaitement justice), tant les éclairages visitent et revisitent avec bonheur les moindres détails d’une forêt tour à tour merveilleuse et inquiétante. Blum n’oublie pas aussi quelques traits d’humour autour de l’inévitable balai de la sorcière, tout en se montrant inspiré par les tableaux féeriques de la fin du premier acte, notamment la splendide procession mystérieuse qui entoure peu à peu les deux endormis, bénis par la musique.


A Francfort en 2014, Keith Warner est allé plus loin encore dans cette voie de l’imaginaire poétique, tout en procédant à une modernisation du conte aussi percutante que pertinente. Deux visages d’un même ouvrage, distincts mais complémentaires, à consommer sans modération à Francfort comme à Mannheim. Dans cette dernière ville, on notera par ailleurs la belle homogénéité du plateau vocal réuni, dont se détachent les deux rôles-titres à force de fraîcheur d’incarnation et de beauté des timbres, le tout en une projection idéale. La puissance est également l’atout maître de Thomas Berau, tandis que Katharina von Bülow se distingue davantage dans les graves – avec un positionnement de voix plus en retrait dans l’aigu. Uwe Eikötter compose une sorcière d’une belle musicalité mais malheureusement au jeu trop prudent. Tous les seconds rôles sont parfaits, hormis la pâle Rosée de Ji Yoon. On félicitera enfin la direction gorgée de couleurs (splendides vents notamment) de Matthew Toogood, admirable de finesse dans la variation des climats, tout en assumant une vision dramatique sur la durée, d’une justesse de ton réjouissante.

dimanche 2 décembre 2018

« Ariane à Naxos » de Richard Strauss - Opéra de Francfort - 30/11/2018


Dernière irrévocable pour cette production d’Ariane à Naxos présentée avec succès voila cinq ans à Francfort ? Voilà en tout cas ce qu’annonce le site internet de l’Opéra pour inciter les derniers curieux à découvrir ce spectacle au très bon bouche à oreille. L’ancienne mezzo-soprano Brigitte Fassbaender joue en effet sur la carte d’un l’humour proche de la série française Palace, le tout magnifié par un décor irrésistible, au monumentalisme chic et minimaliste, puis transformé en un opportun cauchemar cubiste en seconde partie: c’est là l’une des grandes forces de cette mise en scène qui oppose habilement le délire populaire forain de Zerbinette et ses acolytes au regard solitaire et désabusé d’Ariane. Moquée tout du long, l’héroïne dépressive ne trouve ici en Bacchus qu’un manipulateur perfide et hilare face à sa naïveté. Malgré quelques gags redondants, l’énergie déployée fonctionne admirablement pendant toute la soirée, bénéficiant par ailleurs de quelques trouvailles visuelles étonnantes – notamment cet enchevêtrement géométrique projeté en vidéo sur le décor afin d’évoquer le fameux fil d’Ariane.

Dommage que le spectacle souffre de la direction confuse et laborieuse de Christoph Gedschold, qui peine à différencier les variations de climat entremêlées avec virtuosité par Strauss. Sans éviter quelques décalages, le chef allemand met trop peu en valeur les traits d’humour de la partition, le tout en des tempi qui respirent peu. On est bien davantage convaincu par le plateau vocal homogène réuni à Francfort, duquel ressort la toujours impeccable Claudia Mahnke. Sa force d’incarnation, tout autant que sa projection idéale, ravissent à chacune de ses interventions. Admirable techniquement, Christina Nilsson manque malheureusement par trop de variété dans ses phrasés pour donner davantage de saveur à son rôle. On pourra faire le même reproche à Elisabeth Sutphen, dont le chant appliqué manque lui aussi d’électricité. Elle recueille néanmoins des applaudissements nourris à l’issue du spectacle, tout comme le reste de la troupe. Malgré une émission étroite dans l’aigu, Vincent Wolfsteiner assure bien sa partie, à l’instar des seconds rôles, superlatifs.

samedi 1 décembre 2018

« Jenůfa » de Leos Janácek - Opéra de Wiesbaden - 29/11/2018


C’est toujours un plaisir de retrouver la charmante ville de Wiesbaden, en grande partie épargnée par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, et tout particulièrement son Opéra qui n’a rien à envier en qualité à son rival voisin situé à Francfort. En témoigne la production réussie de Jenůfa présentée jusqu’à la fin d’année dans la mise en scène d’Ingo Kerkhof. Autour d’une scénographie sobre et réaliste, tout autant que d’une direction d’acteur serrée, l’Allemand imprime une concentration pertinente au drame, tout en offrant quelques clins d’œil savoureux – telle cette présentation initiale des personnages face au public lors d’une vraie-fausse séance photographique à l’ancienne. Il sait aussi s’éloigner de son parti pris réaliste pour surprendre en faisant littéralement voler en éclat son décor à des moments-clefs de l’action.

Au-delà de ces atouts formels, la direction de Patrick Lange, Generalmusikdirektor, constitue l’une des grandes énigmes de la soirée, tant on aura rarement connu des sentiments aussi contradictoires face à un chef bien peu inspiré en première partie, avant de passionner ensuite. S’agissant d’un ouvrage où l’orchestre a une place prépondérante, le tempo beaucoup trop lent au I déçoit tant il apparaît peu compatible avec les éléments populaires très présents dans les ensembles. Pour autant, peu à peu, on se surprend à se délecter de cette lecture legato, admirable de respiration harmonieuse entre les pupitres, tout autant que de splendides couleurs dévoilées aux vents. Mais c’est surtout un III enfin plus engagé au niveau dramatique qui parvient à nous arracher quelques larmes inattendues lors du finale, et ce malgré un plateau vocal intéressant mais perfectible.


On retrouve avec bonheur le Laca de Daniel Brenna, déjà entendu dans ce rôle à Dijon, en remplaçant de luxe suite au retrait de Paul McNamara. L’Américain fait à nouveau valoir son incarnation vibrante, parfaitement projetée, même si on note toujours quelques passages en force. A ses côtés, Sabina Cvilak (Jenůfa) impressionne dans un premier temps par ses qualités techniques pour mieux décevoir ensuite par une interprétation trop monolithique sur la durée. Autour des impeccables Aaron Cawley et Daniel Carison, Anna Maria Dur (Grand-mère) affiche quelques lacunes dans les graves et la projection. Mais c’est plus encore Dalia Schaechter (Kostelnicka) qui peine dans l’aigu, étranglé, sans parler de son médium, souvent inaudible. Elle est pourtant chaleureusement applaudie à la fin de la représentation par le public, sans doute conquis par ses efforts visibles au niveau interprétatif.