samedi 24 décembre 2011

« La Botte secrète » de Claude Terrasse - Théâtre de l'Athénée - 20/12/2011

Comme chaque année en décembre, la compagnie Les Brigands nous offre de découvrir une opérette rare ou méconnue. Pour fêter les dix ans de sa création, la troupe présente cette fois-ci une œuvre courte de Claude Terrasse, suivie d’une pétillante revue anniversaire à consommer sans modération.

Déjà dix ans que la compagnie Les Brigands parcourt la France pour défendre un répertoire malheureusement bien trop dénigré, celui de l’opérette. Seules les grandes œuvres d’Offenbach, Johann Strauss II ou Franz Lehár ont en effet les honneurs réguliers des grandes scènes ou du disque. Fort heureusement, la Péniche Opéra ou Les Brigands défrichent des œuvres plus rares, privilégiant des formes courtes en un acte, pour le plus grand bonheur des amateurs curieux.
Qui connaît aujourd’hui le compositeur Claude Terrasse ? Les quelques chanceux présents en 1997, à la Péniche Opéra déjà, pour savourer la Botte secrète ? Ou bien les fidèles de la compagnie Les Brigands, fort inspirée en 2009 avec la désopilante opérette Au temps des croisades ? Outre ses succès avec le poète Franc-Nohain (librettiste de la Botte secrète), Claude Terrasse connaît son heure de gloire en 1896 lorsque son ami Alfred Jarry lui confie la composition de la musique d’Ubu Roi. Les deux hommes travaillent encore ensemble par la suite, aidés du peintre Pierre Bonnard, beau-frère de Terrasse, qui conçoit les décors d’une autre pièce de Jarry.
Un égoutier qui pro-fesse
C’est donc un Terrasse déjà bien aguerri qui compose en 1903 la Botte secrète, une œuvre aussi incisive qu’hilarante, dont l’argument simple donne prétexte à des rebondissements rocambolesques. Toute la pièce se déroule dans la boutique de l’un des prestigieux chausseurs de la ville où un prince, accompagné de sa femme, recherche celui qui a eu l’outrecuidance de lui botter les fesses par une douce nuit de 14 juillet. Le forfait a été commis par une improbable pointure 70 ou 71, celle d’un égoutier qui pro-fesse (clin d’œil à l’un des multiples jeux de mots de Franc-Nohain).
La pièce est portée à bout de bras par une remarquable Diana Axentii, qui ne recule devant aucune audace pour satisfaire le rôle éminemment comique de la Princesse qui s’amourache du premier venu. La mezzo-soprano moldave est réjouissante de bout en bout avec sa diction parfaite et sa qualité de chant irrésistible. En comparaison, les rôles masculins déçoivent nettement sur le plan vocal – seul David Ghilardi (Hector) fait exception avec son beau timbre de ténor. Tout en imposant une présence scénique et un cabotinage désopilants, Christophe Crapez (le Prince) peine ainsi constamment dans les parties chantées, tandis que Vincent Vantyghem (l’Égoutier) se laisse bien trop souvent couvrir par l’orchestre.
Malgré ces quelques réserves, les qualités d’acteurs des comédiens-chanteurs font mouche, et la pièce est parfaitement efficace, soutenue par la verve habituelle de Christophe Grapperon dans la fosse d’orchestre. La mise en scène discrète de Pierre Guillois se concentre sur les gestes et positions incongrus (hilarante scène des égouts), avant de déployer une fantaisie débridée en deuxième partie avec la revue « surprise ».
Une dernière partie jubilatoire
Tout le plaisir de cette soirée réside dans ce beau clair-obscur concocté par l’équipe des Brigands. À la sobriété de la mise en scène de la Botte secrète en première partie, succède en effet une brillante revue, joyeux pot-pourri d’opérettes de Jacques Offenbach, Marcel Lattès, Henri Christiné, Maurice Yvain, Reynaldo Hahn et Hervé. Jubilatoire et extravertie, la revue fait la part belle aux chœurs de femmes et d’hommes, préservant une cohérence avec la Botte secrète par le choix d’extraits basés sur les différences de classe (chœur des mannequins ou air de la femme du préfet de Police).
Ce véritable feu d’artifices final rend hommage à une belle troupe, que l’on se réjouit déjà de revoir l’an prochain tant son enthousiasme est communicatif. 

vendredi 9 décembre 2011

« La Campagne » de Martin Crimp - Théâtre de La Forge à Nanterre - 07/12/2011

La compagnie Patrick-Schmitt, basée depuis plus de vingt ans dans le charmant centre-ville de Nanterre, ose le pari de présenter l’une des pièces du dramaturge contemporain Martin Crimp, encore peu connu en France. Une brillante réussite.
Larissa Cholomova
Une maison à la campagne. Un couple se questionne. Leur quotidien a été mis à l’épreuve par le mari qui vient de ramener une étrangère, déjà endormie dans une chambre. L’épouse traîne ses savates. Ses charentaises et son vieux pull traduisent un laisser-aller, une lassitude, qui interroge. Soudain, elle réclame des explications sur un ton devenu agressif. Qui est cette Rebecca ? Pourquoi a-t-elle été accueillie ici, alors que les enfants dorment paisiblement à côté ? Maladroitement, le mari hésite, se contredit. Il peine à rassurer sa femme, lui refuse toute affection. Que cache cet homme en apparence si banal sous ses habits de médecin de campagne ?

Choisir de raconter l’histoire d’une pièce de Martin Crimp, dramaturge britannique plusieurs fois traduit par Philippe Djian dès le début des années 2000, c’est déjà le trahir. Tout le prix du plaisir ressenti à la découverte de son œuvre est en effet constitué par cette langue, faite de phrases interrompues, de répétitions en tout genre, de réponses à des questions non posées, ou inversement de questions qui restent sans réponses, à grand renfort d’onomatopés et d’interjections.

Une attention de tous les instants

Autour de l’accumulation de banalités et de faits du quotidien émergent des bribes d’informations essentielles à la compréhension du récit, dévoilant progressivement un véritable polar en huis clos. Cette manière de conter une histoire, qui fait souvent penser à son contemporain norvégien Jon Fosse, invite le spectateur à une attention de tous les instants.

Patrick Schmitt, directeur de la compagnie éponyme en résidence au Théâtre de la Forge, interprète ce mari aux intentions troubles avec un beau timbre grave et posé, imposant un jeu sobre et sans affectation, qui renforce la concentration sur le texte et la compréhension des mobiles des uns et des autres. En face, l’épouse composée par Emmanuelle Meyssignac est saisissante de subtilité, avec ce rôle qui lui permet de paraître tour à tour nerveuse et inquiète, puis libérée et épanouie. La confrontation avec sa rivale Rebecca apporte une intensité électrique à laquelle Larissa Cholomova n’est pas non plus étrangère. La jeune comédienne d’origine russe, à la diction impeccable, fascine en effet par sa sensualité vénéneuse et son caractère revêche. Une belle révélation.
Autour de ce trio parfait de justesse, la mise en scène épurée de Patrick Schmitt épouse le jeu des comédiens. Aucun artifice inutile ou effet de manches. La scène et les murs sont nus, seulement jonchés de deux chaises, un fauteuil et une table, tandis que les éclairages accompagnent les protagonistes au gré de leur évolution psychologique. Dans ce théâtre tout entier à la disposition du texte et de ses interprètes, la compagnie Patrick-Schmitt nous offre un spectacle d’une rare intensité, magnifique huis clos au parfum capiteux. 

lundi 5 décembre 2011

« Dommage qu’elle soit une putain » de John Ford - Théâtre des Gémeaux à Sceaux - 30/11/2011

Il y a des secrets bien gardés. Déjà plus de dix ans que le metteur en scène britannique Declan Donnellan, toujours épaulé de son compère Nick Ormerod à la scénographie, régale les spectateurs du théâtre de Sceaux dans des interprétations des grands classiques, de Shakespeare à Tchekhov. Après " la Tempête " en début d’année, les deux hommes s’attaquent à une œuvre réputée sulfureuse de John Ford, un contemporain de Shakespeare.
Lorsque l’on parle de John Ford, on pense immanquablement au cinéaste américain spécialiste du western. Beaucoup moins renommé est son homonyme, auteur en 1626 de son œuvre la plus connue Dommage qu’elle soit une putain. Une œuvre pourtant traduite par Maurice Maeterlinck à la fin du xixe siècle, puis portée au théâtre par Luchino Visconti à Paris dans les années 1960 avec rien moins que Romy Schneider et Alain Delon. Ces dernières années, Alain Savary ou Stuart Seide se sont également frottés à cette œuvre baroque.

Empoisonnement, mutilations, inceste, les péripéties sont nombreuses autour des deux jumeaux Annabella et Giovanni. Ces deux-là s’aiment d’un amour impossible mais sincère. Ils osent s’élever contre le tabou social majeur, révélateur des limites de l’étendue de notre tolérance, barrière morale ultime difficilement franchissable. Le couple formé par Jack Gordon et Lydia Wilson convainc pleinement jusque dans la scène de folie finale. À leur côté, autour de cette ronde de violence et de fureur, les personnages secondaires échouent lamentablement dans leurs projets, tels des pantins maladroits. Soranzo (Jack Hawkins, parfait), futur mari d’Annabella, reste ainsi l’éternel jouet de son valet, tout comme sa prétendante déchue Hippolita, jouée avec une outrance jouissive par une pétillante Suzanne Burden. Cette dernière volerait presque la vedette à notre couple d’amoureux ! Le père des jumeaux, Florio (subtil David Collings), ou le religieux Bonaventura (caricatural Nyasha Hatendi) sont tout aussi impuissants à empêcher l’issue tragique de la pièce.

Une mise en scène brillante

Declan Donnellan accompagne les rocambolesques rebondissements au moyen d’une mise en scène menée tambour battant, où les scènes s’enchaînent dans un rythme haletant, sans aucune respiration, avec tous les comédiens utilisés comme éléments de décor. Seule la dernière partie crépusculaire fait exception, renforçant ainsi la concentration sur le drame qui se resserre peu à peu. Donnellan apporte aussi beaucoup de fantaisie grâce à des tableaux admirablement chorégraphiés, composant des adorations à une Annabella transformée en Madone ou prenant le contrepied de la bienséance avec l’entrée du Nonce sur un air de salsa. Avec ses éclairages expressionnistes souvent rouge vif, son décor immobile sans cesse revisité par ses comédiens, la mise en scène virtuose et ludique surprend sans cesse par son inventivité.

Pour autant, malgré toutes ces qualités, ce feu d’artifice d’effets en tout genre masque souvent la compréhension d’un texte à bien des égards décevant. Ford multiplie les pistes intéressantes pour mieux les abandonner, et omet surtout de donner la moindre épaisseur psychologique à ses personnages. L’an passé aux Amandiers, Stuart Seide avait ainsi fait le choix de resserrer le drame autour des jumeaux, supprimant toutes les intrigues secondaires au profit de l’ajout de poèmes contemporains.
Aux Gémeaux, Donnellan se montre plus respectueux de la complexité des rebondissements. Mais dans ce destin implacable où tout semble figé, la seule mise en scène ne peut faire oublier un sujet de fond superficiellement traité, comme si le parfum de scandale suffisait à nous contenter. Le sulfureux accouche-t-il nécessairement d’un chef d’œuvre ? Certainement pas.

jeudi 24 novembre 2011

« La Controverse de Valladolid » de Jean-Claude Carrière - Théâtre de l’Usine à Éragny-sur-Oise - 19/11/2011

Hubert Jappelle, pionnier du Off à Avignon, est installé depuis plus de trente ans dans le Théâtre de l’Usine qu’il a lui-même fondé dans une friche industrielle de l’agglomération de Cergy-Pontoise. Un lieu chaleureux et une troupe de tout premier ordre pour défendre une pièce beaucoup plus abordable que le sujet ne le laisse penser.

Un massacre, une extermination. Les chiffres éloquents de la conquête du Mexique par les Espagnols sidèrent encore aujourd’hui. De 1519 à 1650, avec les épidémies et les travaux forcés, la population amérindienne passe en effet de 25 millions de personnes à seulement un million. Alors que les colons exploitent les ressources du pays, l’évangélisation se réalise à marche forcée. Seules quelques voix s’élèvent dans l’intervalle, lorsque le dominicain Bartolomé de Las Casas et le théologien Juan Ginés de Sepúlveda s’opposent dans une controverse restée célèbre. Le premier défend la cause des Indiens tandis que le second ne voit que des hommes destinés à l’esclavage.

Alors que les deux religieux ne se sont certainement jamais rencontrés, confrontant leurs positions de manière épistolaire, l’écrivain et scénariste Jean-Claude Carrière relate ces débats en imaginant une entrevue arbitrée par un représentant de la papauté. L’efficacité du procédé dramatique de l’ouvrage paru en 1992 conduit la télévision et le théâtre à l’adapter dans la foulée sous la forme d’un huis clos passionnant. Le succès critique est au rendez-vous.

Une œuvre rare

Hubert Jappelle choisit de monter cette œuvre malheureusement bien rare sur les planches, avec force sobriété et réalisme, particulièrement les décors et costumes d’époque. Sur la scène, un damier de carreaux blancs compose un vaste échiquier, symbole de la joute à venir. Le légat du pape trône dans son fauteuil, entouré du Père supérieur du couvent et des deux avocats qui lui font face derrière leur table, attendant leur tour de parole. Le procès débute. Le légat invite les deux religieux à débattre des questions qu’il sera amené à trancher : les Indiens ont-ils une âme ? Sont-ils des hommes égaux aux Espagnols ou des êtres inférieurs à traiter en esclaves ?

Le représentant du pape est interprété par le chevronné Jean-François Maurier, impressionnant de sérénité avec son timbre grave et posé. Choix judicieux que ce spécialiste du répertoire de clown qui s’impose dans un rôle à contre-emploi comme avant lui Catherine Germain, incandescente Médée à Sartrouville. Dans le rôle de Sepúlveda, calme et habile procureur, Rafaël Batonnet frappe par une autorité très convaincante, particulièrement subtile lorsqu’il est mis en défaut par le légat. Face à lui, le Las Casas de Christophe Hardy fatigue à force d’outrance dans la première partie, avant d’emporter l’adhésion dans son acharnement humaniste. Les autres rôles sont parfaits, avec une mention pour l’étonnant bouffon de Nicolas Vogel.
Ce théâtre, accessible à tous, exigeant et simple à la fois, très respectueux de l’œuvre, donne à un public impressionnant de concentration toutes les raisons de se réjouir. Et de revenir très vite soutenir et applaudir une troupe qui démontre, s’il en était besoin, toute la vitalité créative des nombreux petits théâtres franciliens.

lundi 21 novembre 2011

« L’Importance d’être Wilde » de Philippe Honoré - Théâtre du Lucernaire - 17/11/2011

Comment résumer la vie et l’œuvre d’Oscar Wilde en seulement une heure dix ? Autour de ce pari difficile à tenir tant la matière est dense, Philippe Honoré et Philippe Person osent une adaptation décalée et humoristique, aussi laconique que percutante.
Oscar Wilde en a dérouté plus d’un. Génial esprit provocateur et corrosif à la repartie ravageuse, il n’a eu de cesse de dénoncer les hypocrisies de la haute société victorienne, particulièrement dans son unique roman, le Portrait de Dorian Gray (1891), ou dans ses différentes pièces de théâtre. Se jouant du succès comme des scandales, l’écrivain a bâti une œuvre aujourd’hui quelque peu éclipsée par le mythe d’une vie brisée, éteinte à seulement quarante-six ans. Criblé de dettes, cerné par ses ennemis et abandonné par son amant, sa vie s’est consumée rapidement après deux ans de travaux forcés et un exil douloureux en France, sanctionné par un enterrement anonyme dans un cimetière de banlieue parisienne.
À partir de ce riche matériau, Philippe Honoré, ancien directeur de théâtre et aujourd’hui libraire, choisit de mettre en avant aussi bien l’œuvre que la vie tumultueuse de Wilde. L’écrivain n’avait-il pas affirmé mettre tout son génie dans sa vie et seulement du talent dans son œuvre ? Rythmé en une douzaine de courts tableaux indépendants, fidèles à la chronologie de l’histoire, le texte d’Honoré suggère plus qu’il n’apporte de réponse, s’appuyant essentiellement sur le verbatim d’Oscar Wilde. Le début de la pièce fait ainsi la part belle au brillant des nombreux aphorismes, symbole des heures glorieuses et insouciantes de l’écrivain, ou à de rapides extraits des pièces restées célèbres telle l’Importance d’être constant.
Un savoureux bric-à-brac
Le « savoureux bric-à-brac » ainsi réuni par Honoré bénéficie surtout d’une mise en scène délurée et audacieuse de son compère Philippe Person, directeur du Lucernaire. Depuis plus de vingt ans, les deux hommes travaillent ensemble, s’intéressant aux figures littéraires bien connues de Proust, Shakespeare ou Hugo. Accompagnés de comédiens tout aussi fidèles, leur spectacle surprend par le sérieux du propos allié à une mise en scène décalée, qui prend constamment le spectateur par surprise.
Les trois comédiens, excellents, interprètent tous les rôles avec une complicité jubilatoire, particulièrement Wilde dans un chœur à trois voix alternées. Le marivaudage comique se marie subtilement à l’émotion, comme dans l’extrait de la scène finale de Salomé, qu’Anne Priol saisit avec une troublante intensité après avoir été interrompue à de multiples reprises par ses deux imprévisibles acolytes. Mais la folie du regard de Salomé laisse vite la place à un nouveau tableau, dans un élan toujours aussi haletant et fiévreux. Emmanuel Barrouyer et Pascal Thoreau ne sont pas en reste, particulièrement dans la scène des différentes lettres écrites par Wilde à son amant. Le comédien qui tend les missives s’éloigne peu à peu jusqu’à disparaître, symbolisant ainsi l’éloignement progressif et inéluctable des deux amants.
Si on peut regretter le poids quelque peu excessif accordé à la lecture des aphorismes, la pièce emporte l’adhésion grâce à des acteurs impeccables et une mise en scène très enlevée. Au final, ce spectacle constitue une bonne entrée en matière dans l’univers de Wilde pour le novice, et un bel hommage à la diversité et à l’ambivalence du personnage pour les amateurs de l’un des plus brillants esprits de son temps.

mardi 15 novembre 2011

Concert de l’Orchestre français des jeunes baroque - Théâtre des Bouffes du Nord - 07/11/2011

La formation baroque de l’Orchestre français des jeunes, dirigée par le bouillant Reinhard Goebel, défend un programme tout entier tourné vers les caractères de la danse au xviiie siècle. Une réussite autant humaine qu’artistique, saluée par un public enthousiaste.
Reinhard Goebel
L’Orchestre français des jeunes * est un « orchestre-école » renouvelé chaque année suite à un vaste concours organisé à travers toute la France, qui permet à une centaine de personnes âgées de 16 à 25 ans d’être formées au métier de musicien professionnel d’orchestre. Depuis 2006, un ensemble baroque vient compléter cette mission en proposant une formation de haut niveau sur instruments anciens, autour d’un répertoire compris entre les xviie et xviiie siècles. La préparation se conclut par une série de concerts dirigés par un maestro de renommée internationale, tel le claveciniste français Christophe Rousset ou le ténor écossais Paul Agnew dans le passé.
Comme l’année dernière, le chef d’orchestre allemand Reinhard Goebel a été choisi pour encadrer les jeunes instrumentistes en 2011. Artiste chevronné, il a acquis une réputation d’excellence suite aux récompenses obtenues par ses nombreux disques enregistrés à la tête du Musica Antiqua Köln, qui joue sur instruments d’époque. Contrairement à son collègue autrichien Nikolaus Harnoncourt, il est resté fidèle à un répertoire qui va de Bach et Telemann à celui des écoles de Dresde et Mannheim, en passant par Mozart.
Après Aix-en-Provence et avant Lausanne, l’écrin intime du Théâtre des Bouffes-du-Nord accueille la vingtaine de jeunes gens sélectionnés – aux deux tiers féminins –, auxquels s’ajoutent trois professionnels chargés d’assurer les premiers solos des rangs de hautbois, violons et violoncelles. Goebel propose un programme autour des compositeurs français Jean-Féry Rebel et André Campra, avant d’aborder les figures plus connues de Georg Friedrich Haendel et Johann Sebastian Bach en deuxième partie.
Un programme tourné vers le début du xviiie siècle
Peu jouée en concert de nos jours, la musique de Jean-Féry Rebel (1666-1747), élève de Lully, a déjà été défendu par Goebel au disque avec l’enregistrement de son ballet les Élémens en 1995. Le chef allemand choisit à nouveau de s’intéresser à ce répertoire en proposant des extraits des ballets les Caractères de la danse et la Terpsicore, qui permettent d’apprécier toute la fougue et la virtuosité propres à la musique de Rebel. C’est l’occasion pour les instrumentistes de démontrer avec force brio leur savoir-faire en la matière, aidés par le geste de Goebel, volontiers rageur, qui demande une concentration de tous les instants.
Avec André Campra (1660-1744) et les extraits de son opéra-ballet les Fêtes vénitiennes, la musique se fait plus anguleuse. On regrette alors une absence de respiration dans la direction de Goebel, la recherche de virtuosité tournant un peu à vide. On retrouve les mêmes défauts avec la Sonate en trio en sol majeur op. 5 nº 4 de Georg Friedrich Haendel (1685-1759), qui permet cependant de distinguer une belle cohésion des cordes de l’Orchestre français des jeunes baroque.
En fin de concert, Reinhard Goebel démontre toutes ses qualités d’accompagnateurs dans la Première suite en do majeur de Johann Sebastian Bach (1685-1750). Les deux hautbois et le basson sont parfaitement mis en valeur par une direction attentive et précise, toujours aussi vive, mais respectueuse de la polyphonie du Cantor de Leipzig.
Les jeunes instrumentistes obtiennent ainsi une ovation parfaitement méritée, fruit d’un engagement certain, mais également d’un visible plaisir à jouer ensemble. Aussi leur pardonnera-t-on d’avoir omis de faire applaudir leur chef d’orchestre, sans doute émus après cette soirée parfaitement maîtrisée. 

* L’autre concert parisien de l’Orchestre français des jeunes, sur instruments modernes, aura lieu à la Salle Pleyel le 19 décembre prochain. Le chef américain Dennis Russell Davies tiendra la baguette.

dimanche 13 novembre 2011

« Risotto » d’Amedeo Fago et Fabrizio Beggiato - MC 93 à Bobigny - 05/11/2011

Depuis 1978, Amedeo Fago et Fabrizio Beggiato nous invitent à contempler la préparation d’un risotto sur la scène d’un théâtre. Ce même rituel est donné à travers toute l’Europe, en Russie ou au Brésil. À chaque fois, la cuisson immuable du même plat, dont seuls quelques ingrédients changent, donne lieu au partage d’un repas avec les spectateurs qui ont survécu à cette expérience.


C’est l’histoire d’une amitié de cinquante ans. Deux hommes se rencontrent au lycée et vivent les évènements d’avril 1968 en Italie, un mois avant ceux de Paris. Dix ans après, les espoirs déçus, Amedeo Fago et Fabrizio Beggiato font le constat d’un rêve qui n’a pas su prendre forme, d’une réalité qui a repris ses droits. Amedeo, devenu scénographe, travaille pour tous les cinéastes de renom – Elio Petri, Marco Bellocchio, Ettore Scola ou Nanni Moretti. De son côté, Fabrizio embrasse la carrière universitaire en tant que spécialiste de philologie romane.

Sur le plateau, une marmite fumante posée sur une gazinière. Un bouillon est déjà en préparation. À côté, un plan de travail avec quelques ingrédients épars et une petite table ronde de restaurant. Le couvert est déjà mis. Amedeo entre, hésite quelque peu avant de s’asseoir, tandis qu’une voix off raconte des bribes du récit de l’amitié commune avec Fabrizio. On comprend rapidement que cet enregistrement n’est autre que la pensée d’Amedeo, qui se souvient pour tromper l’ennui. Il grignote en effet quelques gressins, ces petits biscuits apéritifs italiens bien connus, et joue machinalement avec quelques allumettes.

Dans le même temps, des extraits de films amateurs sont montrés en toile de fond. La voix off, qui se perd dans les détails du quotidien, dans ces petits riens de l’existence, s’appuie sur les quelques images de la vie du lycée des deux étudiants italiens ou des révoltes de 1968.

Un rituel obsessionnel et radical

Puis Fabrizio entre à son tour. Comme Amedéo, il est muet pendant toute la pièce. Comme son ami, sa pensée est traduite à travers la bande-son à deux voix alternées, pendant qu’il fait cuire un risotto, avec toute la méticulosité requise pour réussir son plat.

Le spectateur contemple ce spectacle, entre étonnement et impatience. Certains s’ennuient. La banalité factuelle du récit et la préparation du risotto désorientent. Ceux qui attendent des réponses sont rapidement déçus : c’est davantage un ressenti vers lequel les deux comédiens nous attirent. Leurs gestes répétitifs deviennent hypnotiques, tandis que le récit de la voix off, qu’elle soit Amedeo ou Fabrizio, berce l’auditeur par son accumulation de faits du quotidien, sans liens apparents entre eux et sans aucune recherche de sens.

Dès lors, le spectateur est conduit à entreprendre sa propre réflexion sur le sens de la vie, sur la répétition des gestes, des repas, des visites ou des ruptures. Chacun vit l’expérience de ces évènements, laissé à lui-même dans le minimalisme apparent de l’existence.
Par sa radicalité, le spectacle surprend constamment et nous tient curieusement en haleine avec ses comédiens muets, sa bande enregistrée omniprésente ou l’apparente banalité de ce qui nous est donné à voir et à entendre. On pense à l’incrédulité des premiers auditeurs du Boléro ou des admirateurs de l’art conceptuel d’un Marcel Duchamp. Certains resteront sur le carreau, d’autres seront fascinés. À vous de tenter l’expérience. 

mardi 8 novembre 2011

« Carmen » de Georges Bizet - Opéra de Massy - 04/11/2011

Alors que la cantatrice Jane Rhodes, créatrice du rôle-titre à l’Opéra Garnier en 1959, vient tout juste de nous quitter *, l’Opéra de Massy présente la nouvelle production mise en scène par Nadine Duffaut à Debrecen (Hongrie) en début d’année, et reprise ensuite à Avignon et Reims avec des chanteurs différents. Un spectacle de très bonne tenue.
On a tout dit sur Carmen. Partant sans doute de ce constat, Nadine Duffaut choisit de revenir aux sources de la nouvelle éponyme de Prosper Mérimée dont le narrateur est le malheureux Don José. La version originelle de l’opéra sans récitatif est ainsi choisie, rendant au drame toute son acuité par l’alternance de théâtre et de chant.
L’histoire est bien connue : José aime Carmen qui l’aime en retour, avant de lui en préférer un autre et précipiter à ses dépends le geste tragique de celui qui ne peut se résoudre à l’oublier. Le livret de Bizet ajoute le personnage de Micaela, amoureuse de José, préférée à Carmen par la mère du soldat. Nadine Duffaut met en avant ces deux rôles féminins, tout d’abord la mère qu’elle choisit de faire incarner physiquement alors que celle-ci n’a aucune partie à interpréter dans le texte original, puis Micaela, qui va porter le coup fatal en fin d’opéra, en lieu et place de José. Incapable d’empêcher le destin tragique de son fils, la mère impose sa présence dès l’ouverture auprès de Micaela, déclame elle-même le début de la lettre reçue par José, puis apparaît en toile de fond au moyen de la vidéo pendant le dernier acte. Au-delà de Carmen, le personnage du soldat apparaît comme totalement cerné par des femmes qui tentent de l’instrumentaliser jusque dans la mort de l’héroïne.
La production, qui transpose l’action dans les années 1950, se révèle visuellement très réussie, avec des costumes bariolés de couleur et des décors réalistes soignés. La mise en perspective de la rue en arrière-scène permet une déambulation des figurants très fluide, apportant un perpétuel mouvement, ainsi que de subtils jeux d’éclairages dans les scènes plus intimes.
Des chanteurs prometteurs
L’un des grands intérêts de cette production est de réunir un plateau de chanteurs exclusivement français, brillamment emmené par le ténor Florian Laconi (Don José), au tempérament dramatique porté par une diction impeccable et doté de tous les moyens vocaux du rôle, pourtant très lourd. La Carmen de Marie-Ange Todorovitch déçoit en comparaison. Avec une présence scénique féline et un beau timbre chaud, la mezzo-soprano interprète pourtant ce rôle depuis plus de dix ans sur les scènes françaises et belges. Mais force est de constater que la voix manque d’assise dans le médium, mettant souvent en péril la justesse de l’émission. Méforme vocale d’un soir ou réelles difficultés techniques les années passant ?
L’autre grand rôle féminin, celui de Micaela, est tenu par la soprano Nathalie Manfrino, l’un des grands espoirs révélé il y a cinq ans aux victoires de la musique classique. Très applaudie, on avoue être peu sensible à son timbre de voix, surtout dans l’aigu un peu forcé. Restent des pianissimos superbement tenus, d’une aisance naturelle confondante. À ses côtés, le baryton Pierre Doyen (Escamillo) ne remporte pas le même succès, peut-être en raison de son allure placide et de ses insuffisantes qualités d’interprète qui éclipsent un timbre superbe et de réelles qualités de projection. Les seconds rôles sont parfaits, plus particulièrement Julie Robart-Gendre (Mercedes) et Hadhoum Tunc (Frasquita), qui font jeu égal avec le rôle-titre dans le fameux trio des cartes du IIIe acte.
À la tête de l’orchestre national d’Île-de-France, excellente formation encensée par le magazine britannique Gramophone pour son action pédagogique, Fabien Gabel tisse des sonorités raffinées, dans un tempo un peu vif mettant souvent à mal ses chanteurs, notamment le chœur de l’Opéra d’Avignon au premier acte. Dans le célèbre air de la garde montante, les jeunes chanteurs de la maîtrise des Hauts-de-Seine s’en sortent mieux.
Autour d’une production globalement efficace, le plateau français réuni avec beaucoup d’à propos par la direction de l’Opéra de Massy, emporte l’adhésion d’un public enthousiaste, ravi de ce beau mélange de chant et de théâtre.

* La ville du Plessis-Robinson rend opportunément hommage à cette grande chanteuse, à l’occasion de l’exposition « Jane Rhodes, collection privée » qui se tient à L’Orangerie du 6 au 20 novembre 2011.

vendredi 4 novembre 2011

Imprévisible Maïwenn


Après la claque reçue avec le dernier film "Polisse" de Maïwenn, j'assistais hier à l'opportune reprojection de son premier film "Pardonnez-moi" dans le mythique Studio des Ursulines, une salle ouverte en 1926 pour projeter des films d'avant-garde, avant de devenir la première salle "Arts et essais" en France. On peut noter que cette salle est l'une des rares à refuser les cartes d'accès illimité des réseaux UGC ou Gaumont.


Ca n'est donc pas un hasard si l'association "Les couleurs de la toile" s'y est installée pour organiser des projections débats, chaque premier jeudi du mois à 20h30. Thème de l'année : les cinéastes apparus dans les années 2000. Ambiance très détendue, public jeune, l'idée étant de réunir les passionnés du 7e art et les faire se connaître au-delà de la projection. Le site partenaire Vodkaster prévoit même la poursuite de l'échange sur internet...



"Pardonnez-moi", premier film autobiographique de Maïwenn, est une claque magistrale que l'on prend en pleine figure. La réalisatrice interprète son propre rôle, sous le pseudonyme de Violette, une jeune femme qui filme sa famille et la contraint à s'interroger sur son passé, particulièrement la figure violente du père (Pascal Greggory, méconnaissable "ours") ou l'égoïsme et la superficialité de la mère (Marie-France Pisier, parfaite). Sont ainsi multipliés les points de vue à travers la caméra de Violette et celle de... Maïwenn. Son personnage de jeune femme perturbée et insatisfaite, immature et incontrôlable, est particulièrement pénible. Elle ne trouve ainsi aucun réconfort dans sa psychothérapie ou dans sa relation avec son petit ami. Sa grossesse même est traitée à l'arrière plan, comme un non évènement.

Dès lors, on s'attache à scruter les réactions de ce bout de femme fantasque et à interpréter les bribes d'explication brutes qui sont données. La caméra frémissante et nerveuse, la fantaisie assumée (merveilleuses scènes de fantasmes filmées), rythment le film admirablement en sa deuxième partie surtout. Des comédiens épatants jusque dans les seconds rôles font de ce film une incontestable réussite, malgré le caractère lourd du propos.


"Polisse", un des coups de coeur de l'année 2011 !

Avec son habituel ton franc et direct, ses dialogues percutants, Maïwenn vise encore juste dans ce récit du quotidien de la brigade de protection des mineurs. Dans ce film choral, la réalisatrice a su réunir là encore un casting de tout premier plan : Marina Foïs (ambigüe à souhait), Karine Viard (quel tempérament!) ou Joeystarr (intense) crèvent l'écran. Curieusement, malgré le sujet du film, on rit beaucoup. Jaune souvent. Des scènes dures aussi, mais finalement davantage suggérées que montrées. On pense bien sûr à cette incroyable scène où Joeystarr console un enfant abandonné par sa mère.

Au final, un film passionnant à recommander largement autour de soi. Courez-y !

lundi 31 octobre 2011

« Quartier lointain » de Jirō Taniguchi, adapté par Dorian Rossel - Théâtre Montfort - 25/10/2011

Le metteur en scène suisse Dorian Rossel propose une nouvelle adaptation du manga « Quartier lointain », de Jirō Taniguchi, cette fois-ci au théâtre. Autour d’une vision burlesque, il construit un spectacle particulièrement enjoué, adapté à tous les publics, jeunes et moins jeunes.
Avec déjà pas moins d’une dizaine d’albums parus en France, le Japonais Jirō Taniguchi est devenu l’un des auteurs de manga incontournable de ces quinze dernières années. Avec sa ligne claire et sobre, ses histoires humanistes et universelles autour des petits riens du quotidien, le dessinateur s’est notamment imposé au Festival d’Angoulême en 2003 en recevant le prix du Meilleur Scénario et le prix Canal B.D. attribué par les libraires spécialisés. Il n’est donc pas étonnant que l’un de ses ouvrages les plus réussis, Quartier lointain, ait déjà fait l’objet d’une adaptation cinématographique par Sam Garbarski l’an passé, puis au théâtre en 2008 avec la Cie S.T.T. (Super trop top) basée à Lausanne et son jeune metteur en scène attitré Dorian Rossel.
L’adaptation de Rossel se révèle très fidèle à l’ouvrage original, mélange de récit fantastique et initiatique autour de l’histoire d’un homme mûr qui retourne sur les lieux de son enfance, et se réveille trente ans en arrière à l’âge de 14 ans. Le héros va alors revivre tous les évènements de sa jeunesse et tenter d’en modifier le cours, particulièrement l’abandon soudain et inattendu par son père du domicile familial.
Une mise en scène qui privilégie le burlesque
Admirateur de Peter Brook, le metteur en scène helvétique choisit de coller à la sobriété du dessin de Taniguchi avec l’utilisation de la scène nue, seulement parcourue par quelques éléments de décor qui se réinventent en permanence au gré des mouvements des comédiens – quand ce ne sont pas les comédiens eux-mêmes qui les miment malicieusement. Seule la pièce de vie commune à toute la famille est représentée en fond de scène tel un plan fixe de cinéma, avant d’éclater littéralement au moment du drame.
Dorian Rossel multiplie les angles de vue, de l’arrière-plan au premier plan, de haut en bas par le biais d’une caméra, et opte ainsi pour une vision ludique du manga de Taniguchi. Dans cette chorégraphie énergique et burlesque, les interprètes sont mis à contribution avec des rôles multiples intervertis à profusion, tel le jeune héros incarné par plusieurs comédiens, homme ou femme. Seul son double âgé est principalement joué par un acteur, le chevronné Mathieu Delmonté, très à l’aise dans ce subtil jeu de miroir sur soi. Outre les rôles alternés et la valse des décors, les autres comédiens jonglent habilement entre l’action et la narration, omniprésente.
Un débit lent peu habité
La dernière partie de la pièce apparaît toutefois moins aboutie, particulièrement la scène cruciale où le fils accepte le départ de son père vers d’autres horizons, qui pèche par un débit lent peu habité. On regrette aussi une accélération malvenue du récit au moment des retrouvailles du héros avec sa femme et ses deux filles, au terme de son long cheminement initiatique.
Fort heureusement, ces quelques défauts sont compensés par un accompagnement musical très réussi, avec deux interprètes qui varient les instruments pour composer un paysage tour à tour mystérieux, facétieux et lumineux. Autour de silences aussi subtils que soudains, ces différentes atmosphères évoquent admirablement la délicate poésie de l’œuvre de Taniguchi.
Au final, Dorian Rossel compose un spectacle dont la réussite repose sur une inventivité visuelle et une intensité physique de tous les instants. Merveilleux conteur, particulièrement à l’aise dans le brio comique, il peine cependant à émouvoir lors des scènes dramatiques. Cette réserve mise à part, on ne peut que vous inciter à courir applaudir ce spectacle en famille. 

lundi 24 octobre 2011

« Tannhäuser » de Richard Wagner - Robert Carsen - Opéra Bastille à Paris - 20/10/2011

On ne saurait trop vous conseiller de courir prendre une place pour aller voir cette superbe production tant qu’il en est encore temps ! Et ce, malgré les prix toujours aussi délirants de notre opéra national multisubventionné.


Tout le prix de ce spectacle créé en 2007 revient à la mise en scène du canadien Robert Carsen, très expérimenté en la matière (déjà à Bastille avec Les Contes d'Hoffmann d'Offenbach) et aux chanteurs quasi parfaits. Tout d'abord une mise en scène très inspirée, qui parvient à transposer l'oeuvre de Wagner dans un atelier de peintre, interrogeant ainsi l'artiste face aux doutes et à la création. Les éclairages, très variés, sont sans cesse adaptés pour soutenir le drame, tandis que les personnages principaux sont nimbés d'une couleur propre, avec le leitmotiv musical wagnérien qui les accompagne.

Après l'impressionnante ouverture qui montre les multiples doubles torturés de l'artiste dans une danse macabre grotesque, la scène de la réception s'avère particulièrement réussie, Robert Carsen parvenant à donner une dimension de personnage unique à un choeur pourtant très fourni. Elégante et raffinée, non dénuée d'humour, cette mise en scène multiplie les idées et surprend sans cesse. 


Côté direction, surprise avec le geste évanescent de Mark Elder qui fait jouer l'orchestre quasiment en sourdine. Ce Wagner auquel on a ôté toute pompe, tout peps, permet la mise en valeur des vents par rapport aux cordes, et surtout des chanteurs qui bénéficient en premier chef de cette direction très analytique. Une version de chambre à Bastille, on croit rêver... et ça fonctionne ! Grâce à des voix d'exceptions, les femmes surtout.

Nina Stemme (Elisabeth) impressionne avec son timbre superbe dans les graves, même si on lui préfère les qualités d'actrice de Sophie Koch (Vénus), elle aussi vocalement très à l'aise dans un rôle difficile. Avec une présence incroyable sur scène pendant toute la soirée, le vaillant Tannhäuser interprété par Christopher Ventris montre quelques infimes fatigues au dernier acte dans les aiguës. Ces difficultés accompagnent la descente aux enfers de son personnage, qui semble sombrer corps et voix, dans une chute infinie, très émouvante. Les autres rôles sont excellents, au premier rang desquels Stéphane Degout, chanteur français dont la côte est au plus haut en ce moment.

Bref un spectacle à ne pas manquer, assurément!


vendredi 7 octobre 2011

« L’Opéra de quat’sous » de Bertolt Brecht - Théâtre de Sartrouville - 04/10/2011

Affluence des grands soirs à Sartrouville. Il faut dire que l’évènement est de taille avec la première représentation de la nouvelle pièce mise en scène par son directeur, Laurent Fréchuret, qui va ensuite tourner dans pas moins de douze villes différentes en Île-de-France et en province. Le choix d’une œuvre aussi exigeante que « l’Opéra de quat’sous », de Bertolt Brecht, constitue un pari ambitieux tant l’œuvre a besoin d’interprètes aussi bons comédiens que chanteurs. Un pari pour l’essentiel réussi.
Après la version incandescente de Médée d’Euripide présentée en 2009 à travers toute la France, Laurent Fréchuret a choisi de s’attaquer à l’Opéra de quat’sous, une œuvre rarement montée de Bertolt Brecht et Kurt Weill (pour la musique), qui retrouve un regain d’intérêt auprès des metteurs en scène depuis les versions de Bob Wilson au Théâtre de la Ville en 2009 et de Laurent Pelly à la Comédie-Française début 2011. Excusez du peu.

L’œuvre de Brecht est inspirée de l’Opéra du gueux (The Beggar’s Opera), une pièce musicale satirique écrite deux cents ans auparavant par John Gay en 1728, dont elle reprend à la fois l’histoire et les personnages, autour de la lutte entre Peachum, patron des mendiants et des éclopés, et Mackie-le-Surineur, malfrat qui bénéficie de l’inattendu mais précieux soutien du puissant chef de la police Tiger Brown. La description expressionniste des bas-fonds londoniens, aussi cruelle que drolatique, prend constamment le spectateur à contre-pied en déformant la réalité à outrance.

Les personnages s’adressent ainsi directement au public au moyen de pancartes, ou plus directement en bord de scène pour commenter l’action et exprimer la pensée de l’auteur, à la manière du chœur d’une tragédie grecque. Par là même, Brecht invite le spectateur à sortir de son rôle passif et à prendre de la distance avec ce qui lui est donné à voir ou à entendre.

Une mise en scène virtuose au service de l’œuvre

Laurent Fréchuret renforce la distanciation voulue par Brecht avec des postures volontairement caricaturales où les comédiens passent allègrement du bord de scène, figés face au public sans se toucher, au déploiement nerveux et imprévisible de corps en alerte, qui, tel un ballet, investissent l’immensité de l’espace scénique. On retient aussi la belle réussite de la pièce de cabaret, très enlevée, avec la mise en abyme progressive de la scène et des coulisses dans un jeu de miroir fascinant. Enfin, la variété des éclairages, aussi bien que l’esthétique pop des costumes bariolés de couleurs, établissent cette impression visuelle forte qui maintient constamment le spectateur en éveil.

La musique de Kurt Weill sert admirablement ces effets de contraste par des emprunts variés à l’opérette, en passant par l’avant-garde atonale, aussi bien qu’au jazz. La mise en valeur de l’orchestration souffre malheureusement d’une acoustique peu flatteuse et du placement sur scène des instrumentistes et de leur chef au piano, qui a bien du mal à maîtriser l’articulation avec les chanteurs. Outre ces problèmes de mise en place, les acteurs chanteurs révèlent des faiblesses techniques en matière de chant, notamment pour ceux issus du théâtre (les hommes principalement).

Thierry Gibault (Mackie-le-Surineur) apporte une classe indéniable à son personnage de parvenu donneur de leçons et balaye les réserves sur ses piètres qualités de chanteur par une diction impeccable, tout comme le truculent Vincent Schmitt (Peachum) qui emporte l’adhésion par sa verve comique. Enfin, Harry Holtzman (Tiger Brown) interprète subtilement son personnage ridicule de policier girouette.

Les rôles féminins déçoivent davantage en comparaison. Lætitia Ithurbide (Polly), malgré un beau timbre de voix, manque en effet de projection et se révèle souvent incompréhensible dans les passages « parlés-chantés ». Heureusement, son duo avec Lucy (impeccable Sarah Laulan) est plus réussi tant les deux comédiennes semblent prendre plaisir dans leur joute désopilante. C’est toutefois la soprano américaine Claire Combault (Jenny) qui tire son épingle du jeu, par sa technique de chant et son aisance, qui font de chacune de ses apparitions un régal.
Tous les seconds rôles sont parfaits dans l’outrance et le ridicule, portant avec énergie la scansion joyeusement ironique de « l’homme est un loup pour l’homme » ou l’inattendu retournement d’un final choral qui donne la victoire au plus corrompu. Cette comédie humaine ainsi révélée, portée par une mise en scène de haut vol, se révèle un spectacle globalement réussi dont on espère que les quelques réserves au plan vocal seront améliorées au fil des représentations.

lundi 3 octobre 2011

« Collaboration » de Ronald Harwood - Théâtre des Variétés - 27/09/2011

À partir de la rencontre au sommet entre Richard Strauss, plus grand compositeur de son temps, et l’écrivain Stefan Zweig, Ronald Harwood s’interroge sur les rapports troubles entre l’art et la politique, ou sur la frontière poreuse entre compromis et compromission. Malheureusement, la confrontation attendue entre les deux artistes manque quelque peu d’intensité.

Grand succès de la saison 1999 à Paris, la pièce À torts et à raisons (Taking Sides) de Ronald Harwood, traitait du rôle et de l’attitude du chef d’orchestre allemand Wilhelm Furtwängler pendant la période nazie en Allemagne. Il s’attaque cette fois-ci à deux personnalités plus connues encore, dans une volonté de réhabiliter la position ambigüe de Richard Strauss face au régime totalitaire.

Du fait de l’importance historique des compositeurs germaniques et de l’intérêt personnel du Führer lui-même, la musique constitue un véritable enjeu de propagande et d’affirmation idéologique pour le pouvoir nazi. Honoré par un régime qui choisit de l’utiliser en opposition aux musiciens « dégénérés » bannis du Reich, Richard Strauss profite de sa notoriété pour s’offrir la liberté de travailler avec qui bon lui semble, et particulièrement avec son nouveau librettiste, Stefan Zweig, de confession juive.

Construite chronologiquement, dans une mise en scène classique et sans surprises, la pièce débute par la rencontre entre les deux artistes et la femme de Strauss, Pauline de Ahna. Cette cantatrice, interprétée avec conviction et autorité par Christiane Cohendy, révèle un caractère excentrique qui s’oppose à son mari, affable et concentré sur son travail. Le compositeur est présenté comme un homme préoccupé par la défense des siens, au premier rang desquels sa belle-fille juive menacée et son librettiste dont il impose le nom sur les affiches de leur opéra créé en 1935.

Un face-à-face décevant

Mais son face-à-face avec Zweig apparaît bien fade tant la pièce fait silence sur l’indifférence et la passivité de Strauss vis-à-vis des évictions des musiciens juifs ou de la censure des « dégénérés ». À côté du rôle de Strauss considérablement lissé, celui de Zweig peine également à convaincre tant la position pacifiste de l’écrivain n’est guère explorée par l’auteur. La joute attendue fait place à des échanges consensuels, et les deux comédiens principaux (Michel Aumont et Didier Sandre) ont bien du mal à tirer leur épingle du jeu.

La pièce rebondit quelque peu dans sa deuxième partie avec l’accélération du récit, portée par la lente disgrâce du compositeur, le suicide de l’écrivain et le procès en dénazification. La grande histoire rejoint les destins individuels, et on se prend à s’intéresser à ces regards crépusculaires, métaphores d’un monde finissant. Dès lors, Michel Aumont impressionne par sa capacité à donner à son personnage une subtile fébrilité à laquelle la musique de Strauss fait écho en bande-son, avec l’un des tout derniers lieder écrits pour soprano, le timbre de voix de sa femme toujours présente à ses côtés.
Oscarisé pour le scénario du film le Pianiste de Roman Polanski, Ronald Harwood voue une véritable fascination pour la période de l’entre-deux-guerres et la Seconde Guerre mondiale. Force est cependant de constater qu’il peine à captiver au-delà du contexte de cette période dramatique de l’histoire européenne.

vendredi 16 septembre 2011

Un concert inégal du symphonique de Chicago - Salle Pleyel - 02/09/2011


Pour son concert de rentrée, la Salle Pleyel a placé la barre haut avec la venue d’un orchestre aussi réputé que celui de Chicago. On se souvient en effet de ses grands chefs du passé tels Fritz Reiner et ses Richard Strauss d’anthologie, de Georg Solti et son intégrale Mahler virtuose, ou même de Daniel Barenboïm et ses Bruckner au son prodigieux.

Le chef italien Riccardo Muti dirige à son tour la phalange nord américaine dans un beau programme Richard Strauss/Chostakovitch. Là encore, le disque a permis à Muti de graver des versions majeures des symphonies de Tchaikovski, tout en s’imposant comme l’un des chefs d’opéra capable de réunir les meilleures distributions. On a ainsi le souvenir d’un geste flamboyant, parfois péremptoire, au service d’une narration dramatique passionnante. 


Riccardo Muti

Force est de constater que le maestro s’est grandement assagi en vieillissant, ce que confirme la première partie du concert avec Mort et transfiguration de Richard Strauss. Alors que mes voisins insistaient sur le prétendu raffinement de la direction, je n’y ai vu qu’une vision froide et désincarnée, à la limite du maniérisme – particulièrement cette désolante manie contemporaine de ralentir les passages lents, et d’accélérer les plus rapides. Tout l’aspect descriptif de l'oeuvre de Strauss est évacué au profit d’une vision toute extérieure. Rien d’indigne évidemment, mais on reste sur sa faim.

La deuxième partie du concert est plus convaincante avec la cinquième symphonie de Chostakovitch. Cette œuvre spectaculaire convient davantage au chef italien qui tente de galvaniser un orchestre singulièrement rétif à l’emballement – les cordes surtout.  Alors évidemment on pourra trouver quelque petites choses à redire sur la compréhension de certains passages (les chefs Sanderling, Kondrachine ou Haitink, incontournables au disque, sont évidemment un cran au-dessus), ou sur un finale triomphaliste alors que Chostakovitch le voulait plus ironique dans sa subtile dénonciation de l’oppression totalitariste.

Mais l’essentiel est là, le plaisir au rendez-vous, avec l’écoute de l'un des chefs d’œuvre les plus accomplis du 20esiècle. Car n'est-ce pas finalement la marque des chefs d'oeuvre que de résister à des interprétations un rien imparfaite ou inégale ?


jeudi 1 septembre 2011

Saison théâtrale 2011-2012 à Paris - Théâtres privés

1er septembre – 17 décembre : Dernier coup de ciseaux, de Sébastien Azzopardi (l'auteur des drôlissimes Tour du monde en 80 jours et Mission Florimont), une comédie policière interactive version Cluedo qu'on attend avec impatience!


Théâtre des Variétés
6 septembre - 1er janvier : Collaboration, de Ronald Harwood, avec Michel Aumont et Didier Sandre, qui narre l'affrontement entre Richard Strauss et Stefan Zweig pendant la période nazie. Nouvelle pièce qui fait revivre de fortes personnalités après notamment L'entretien de M. Descartes avec M. Pascal le Jeune au théâtre de l'Oeuvre en 2007. Et tout cela dans le cadre prestigieux du théâtre des Variétés. Un évènement.


Comédie des Champs-Elysées
A partir du 8 septembre : L'intrus, d'Antoine Rault, avec Claude Rich, qui nous propose une variation sur Faust. Nouvelle collaboration entre les deux hommes après Le Caïman et Le diable rouge, pièces très réussies.

10 septembre – 1er janvier : Le songe d'une nuit d'été, de Skakespeare, dans une adaptation résolument 60's de Nicolas Briançon (déjà couronné de succès avec La nuit des Rois au théâtre Comédia en 2009) , avec Lorant Deutsch et Mélanie Doutey.


Théâtre Hébertot
A partir du 14 septembre : Youri, de Fabrice Melquiot, comédie énigmatique de cet auteur en vogue (associé au Théâtre de la Ville), avec Anne Brochet et Jean-Paul Rouve.

A partir du 15 septembre : Les monologues voilés, de Adelheid Roosen, douze portraits de femmes musulmanes, "tantôt drôles, tantôt poétiques, tantôt poignants, tantôt tendres".


Théâtre de la Gaîté Montparnasse

20 septembre - 31 décembre : Demaison s'évade, one man show de François-Xavier Demaison qu'on avait beaucoup aimé dans son premier spectacle ici même.



A partir du 23 septembre : La vérité, de Florian Zeller, reprise du spectacle joué depuis janvier dans le même théâtre, avec le toujours impeccable Pierre Arditi.


 
A partir du 28 septembre : Chroniques d'une haine ordinaire, d'après l'oeuvre de Pierre Desproges, avec Christine Murillo (Xu, Oxu) et Dominique Valadié (ancien pensionnaire à la Comédie-Française). Humour noir et espièglerie garantis !





1er octobre – 31 décembre : Diplomatie, de Cyril Gely, reprise de cette pièce jouée ici même avec André Dussollier et Niels Arestrup, qui raconte comment une rencontre au sommet a permis à Paris d'échapper à la destruction par les nazis en 1944.


20 janvier – 29 mars : Oh les beaux jours, de Samuel Beckett, nouvelle exploration à la Madeleine de l'univers du dramaturge irlandais après le succès de Fin de partie l'an passé avec Serge Merlin. Catherine Frot interprètera le rôle de Winnie.

7 - 8 octobre : Dédé, opérette d'Henri Chritiné, par la jeune troupe Les Baladins de la Seine. A découvrir dans le cadre de l'écrin magnifique du théâtre Dejazet.


11 novembre - 14 janvier : Le pont des soupirs, opéra bouffe d'Offenbach, par Les Tréteaux lyriques (association d'amateurs). Oeuvre inconnue pour les amateurs curieux de lyrique.


9 janvier – 29 mars : Lo Speziale (L'apothicaire), opéra bouffe de Joseph Haydn, avec les musiciens de l'Orchestre-Studio de Cergy-Pontoise. Là aussi une oeuvre rarement donnée, dans la tradition de la programmation audacieuse de la directrice du théâtre Anne-Marie Lazarini.