dimanche 12 novembre 2017

« Faust » de Charles Gounod - Opéra de Massy - 10/11/2017

Déjà présentée en juin dernier à Avignon, la production imaginée par Nadine Duffaut fait halte pour deux représentations à Massy, avec un plateau vocal entièrement renouvelé parmi les rôles principaux – hormis l’excellent Méphistophélès de Jérôme Varnier, toujours présent pour cette reprise. Pour sa rentrée lyrique, Massy réussit le tour de force de réunir la fine fleur du chant français d’aujourd’hui, tout en apportant un soin particulier aux moindres seconds rôles, tous distribués idéalement. On pense ainsi à l’irrésistible Dame Marthe de Jeanne-Marie Lévy dont les intonations fantasques provoquent l’hilarité dans son court rôle, tout autant que le Siebel très chantant de Samy Camps. Que dire aussi du superlatif Valentin de Régis Mengus, dont l’impact physique et la beauté des graves n’ont rien à envier à Jérôme Varnier, toujours aussi impressionnant dans la précision de la diction, sans parler de la souplesse harmonieuse de sa ligne de chant? On aimerait seulement davantage de puissance dans les scènes dramatiques, là où son rôle nécessite un mordant suffisant pour impressionner l’auditoire: ses qualités théâtrales devraient l’aider à progresser rapidement dans cette direction. Il n’en reste pas moins que sa prestation côtoie déjà un très haut niveau, à l’instar de la Marguerite de Ludivine Gombert, parfois trop linéaire dans son jeu dramatique, mais d’une aisance vocale insolente dans les airs. Thomas Bettinger n’est pas en reste dans son interprétation du jeune Faust, faisant valoir un timbre velouté et un sens des couleurs éloquents, qui lui donnent à plusieurs reprises des faux airs de Roberto Alagna. Il est à cet égard dommage que la mise en scène de Nadine Duffaut ne lui ait pas permis de chanter ses premières interventions en début d’opéra, préférant confier le rôle âgé de Faust à Antoine Normand, au timbre plus fatigué dans l’aigu.


Les chœurs réunis des opéras d’Avignon et de Massy affichent une belle cohésion, même si on pourra leur reprocher une certaine prudence dans les scènes «à effet». Peut-être est-ce dû à la direction tout en dentelle de Cyril Diederich, superbe de précision dans les détails révélés aux vents notamment, mais plus discret dans les tutti, sans parler des quelques décalages avec les chanteurs. Diederich compense ces imperfections par un sens solide de la conduite du discours dramatique, soutenu par un Orchestre national d’Ile-de-France dont l’engagement force l’admiration de bout en bout. Le travail de Nadine Duffaut apporte quant à lui beaucoup de satisfactions, se situant à mi-chemin entre les mises en scène traditionnelles et d’autres plus audacieuses. Sa sobre transposition au début du XXe siècle convainc pleinement par sa capacité à animer le décor unique pendant toute la représentation, composant des tableaux d’une beauté visuelle simple et accessible, autour d’une belle variété d’éclairages et des costumes très réussis. Elle s’appuie sur une direction d’acteurs millimétrée, notamment de magnifiques déplacements du chœur, tandis que les nombreuses pirouettes des danseurs donnent une atmosphère foraine à l’ensemble. On regrettera seulement l'idée de dédoubler le personnage de Faust, déjà vue ailleurs (notamment en 2015 à Bastille), qui n’apporte pas grand-chose: Antoine Normand passe le plus clair de l’opéra à errer sans but, regardant l’action devant lui d’un air hagard. Un détail qui ne nous empêchera pas de conseiller vivement ce spectacle réussi, en forme d’écrin idéal pour découvrir les jeunes pousses vocales d’aujourd’hui.

samedi 11 novembre 2017

Concert de l'Orchestre national de France - Neeme Järvi - Auditorium de la Maison de la Radio - 09/11/2017

Neeme Järvi
Un an après sa précédente venue à l’Auditorium de la Maison de la radio à la tête de l’Orchestre national de France, Neeme Järvi revient à Paris avec la même formation, toujours pour rendre hommage à Chostakovitch. Après la célébrissime Septième Symphonie (1941), place cette fois à un concert plus original avec deux symphonies rarement à l’affiche, les Neuvième (1945) et Douzième (1961). On reconnaît là l’insatiable curiosité du chef estonien, un hyperactif toujours très présent sur scène comme dans les studios d’enregistrement – lui qui peut se targuer de posséder à son actif plus de 400 disques dont plusieurs symphonies de Chostakovitch gravées pour Chandos et Deutsche Grammophon à partir de la fin des années 1980.


Avec le délicieux Concerto n° 1 pour piano et trompette (1933) donné entre les deux œuvres, on a là une palette assez large de l’inspiration du compositeur russe. Le Concerto fait en effet place à un Chostakovitch volontiers joyeux et facétieux, se tournant vers une veine néoclassique et légère bien éloignée des expérimentations constructivistes des années 1920. Pour autant, c’est davantage vers la symphonie concertante que Järvi tourne cette œuvre, en demandant manifestement à ses solistes de ne pas se distinguer outre mesure, fidèle en cela à ses partis pris interprétatifs. L’accompagnement, allégé dans les parties doucereuses, se montre plus âpre dans la verticalité – véritablement cravachée au piano par l’impeccable Simon Trpceski. Andrei Kavalinski n’est pas en reste à la trompette, mais c’est peut-être plus encore dans le mouvement lent qu’il impressionne par ses pianissimi de rêve, épousant le tempo étiré de Järvi, d’une intense concentration. Ces choix apportent ainsi une noirceur étonnante à ce mouvement superbe. En contraste, le finale nous embarque dans un élan sans respiration aucune, parfaitement rendu par un Trpceski toujours impressionnant de perfection dans la précision rythmique. Le bis, une adaptation de l’un des airs les plus fameux («Ombra mai fu») de l’opéra Serse de Haendel, donne la part belle à la trompette toujours impériale d’Andrei Kavalinski, tandis que Trpceski fait valoir son touché félin et aérien, sans jamais chercher à prendre le dessus sur son partenaire.
Simon Trpceski
Plus tôt dans la soirée en ouverture de concert, la charmante Neuvième Symphonie avait résonné de son ton joyeux et optimiste: rien d’étonnant à cela tant Chostakovitch avait voulu ainsi signifier la fin du long conflit de la Seconde Guerre mondiale. Pour autant, l’humour et la facétie attendus n’intéressent guère Järvi qui imprime ses tics de direction pendant toute la soirée, accélérant les parties rapides pour mieux apaiser les passages lents en contraste. A la raideur des verticalités, franches, directes et sans aucune respiration succèdent les parties lyriques étirées, sans nerf et sans vibrato, qui envoûtent pour mieux ennuyer ensuite tant le parti pris vire au systématique. Cette lecture analytique portée vers la musique pure, en un ton péremptoire résolument frigide, convient mieux à la massive Douzième Symphonie, une des plus faibles de Chostakovitch: en mettant sur le même plan la mélodie principale et les contrechants imprimés par les différents groupes d’instrument, Järvi modernise quelque peu cette œuvre tournée à la fois vers Tchaïkovski et Mahler. On imagine le choc des auditeurs qui, cette même année 1961, purent la comparer avec la sublime Quatrième Symphonie, enfin créée après vingt-sept ans d’attente!