lundi 6 février 2012

« Urbik / Orbik » d’après un roman de Lorris Murail - Théâtre Montfort - 01/02/2012

Bien belle idée que d’adapter la vie et l’œuvre du maître de la science-fiction Philip K. Dick au théâtre. Le résultat est malheureusement une heure inexorable d’ennui, aussi bien sur le fond que visuellement.


Vingt heures trente tapantes, le public entre. Sur la scène réduite à un vaste écran protégé par un voile, le spectacle a déjà commencé. Immobile, une femme débite son texte. Le ton est morne, mécanique, désincarné. Il est question d’un voyage que le spectateur s’apprête à faire vers les « micromondes », des capsules où se réfugient les humains pour échapper à la civilisation agonisante et s’évader dans une fantasmagorie protectrice. Son créateur, Phil, est assigné à résidence, coupé de la réalité et incapable de démêler le vrai du faux. Navigue-t-il lui aussi dans une illusion programmée ?
Adaptée d’un roman de Lorris Murail, un auteur passionné de science-fiction, cette histoire s’inspire de la vie et de l’œuvre de l’écrivain Philip K. Dick. Le titre de la pièce fait ainsi référence à Ubik, ouvrage célèbre de l’écrivain américain, et à la bénédiction papale Urbi et orbi (« À la ville comme à l’univers »). Mais là où de nombreuses adaptations de ses écrits au cinéma (Blade Runner, Total Recall, Minority Report…) privilégient un suspens et un rythme effréné vers une quête de vérité, le récit de Murail préfère, quant à lui, l’évocation glaçante des failles de Dick, particulièrement le traumatisme du décès de sa jumelle, quatre semaines seulement après sa naissance. Le tempérament paranoïaque de l’auteur, renforcé par une consommation régulière d’amphétamines, est également traité à travers les différents troubles de la personnalité de Phil.
Un antithéâtre glacial et immobile
Cette plongée au cœur des angoisses existentielles montre malheureusement très rapidement ses limites en matière d’efficacité théâtrale. Le récit pseudo-poétique d’un monde postapocalyptique n’apporte aucun rebondissement véritable, s’attachant à la description des petits riens du quotidien ou à l’enfermement réel ou psychologique – peu importe – des personnages. Leurs états d’âme se suivent et se ressemblent, dans un débit métronomique au ton terne et morbide, avec des comédiens le plus souvent statiques. On se demande bien comment ces derniers peuvent prendre du plaisir à interpréter ce type de rôles.
Dès lors, on croit pouvoir s’intéresser à une mise en scène qui mise sur le visuel. Grosse déception, là aussi. Après Des anges mineurs, Joris Mathieu poursuit en effet son exploration d’un théâtre optique fondé sur la vidéo et les hologrammes. On se surprend parfois à tenter de démêler le vrai du faux, à s’interroger sur les effets visuels ainsi obtenus. Mais tout cela ne fascine jamais, la faute peut-être à la mécanique froide des corps en apesanteur ou aux lumières ternes et grisâtres. De plus, Joris Mathieu ne joue que très rarement avec les angles de prise de vue.
Dans ce labyrinthe d’ennui où la seule échappatoire est l’évasion par la pensée, l’heure de spectacle paraît une éternité. Le temps venu de la libération enfin accordée, la réalité bienvenue recouvre ses droits. La science-fiction attendra.

jeudi 2 février 2012

« Festival Puccini plus » - Opéra de Lyon - 28/01 et 30/01/2012

L’Opéra de Lyon propose en ce début d’année un festival lyrique autour de courtes œuvres de Giacomo Puccini couplées avec celles de ses contemporains allemands. De rares chefs-d’œuvre à découvrir de toute urgence.



Lyon, ville bourgeoise ? Pour dynamiter ce cliché, rien de tel qu’un tour à l’Opéra, dont la politique de démocratisation menée par son directeur, Serge Dorny, bat son plein depuis 2003. Du site internet à la brochure annuelle, toute la communication fait œuvre de pédagogie, rappelant l’accessibilité des prix ou la variété des publics, sans pour autant mettre de côté l’audace de la programmation.

Et pour ce faire, Serge Dorny a eu l’idée de présenter une œuvre relativement méconnue de Giacomo Puccini, le Triptyque, un cycle de trois opéras (il Tabaro, Suor Angelica et Gianni Schicchi) en un acte conçus en 1918 pour être représentés ensemble, mais souvent donnés indépendamment avec une autre œuvre courte. Le festival Puccini plus permet justement de confronter ces deux solutions, avec la réunion opportune d’opéras allemands contemporains encore plus rares, composés par Arnold Schönberg, Paul Hindemith et Alexander von Zemlinsky. La réussite éclatante des deux dernières soirées nous fait regretter de n’avoir pu assister au premier couplage (il Tabaro et Von heute auf morgen de Schönberg).

Le désir refoulé des religieuses

La deuxième soirée propose la confrontation originale de drames exclusivement chantés par des femmes, dans le huis clos vénéneux de l’institution religieuse. Avec Sancta Susanna, énorme scandale à sa création en 1922, Hindemith décrit les égarements de deux nonnes (magnifique Susanna d’Agnes Selma Weiland) perturbées par l’évocation d’une religieuse emmurée vivante pour avoir osé caresser l’effigie du Christ. Dans une ambiance sombre et mystérieuse, la mise en scène volontiers spectaculaire de John Fulljames sert parfaitement la musique expressionniste du compositeur allemand.

Avec Suor Angelica, la musique de Puccini se fait plus légère, comme diaphane, autour du récit de l’enfermement de la jeune Sœur Angélique au couvent. La représentation du cloître est étagée de manière réaliste, avec des cases où chuchotent malicieusement les religieuses, malheureusement desservies par un éclairage criard, qui se reflète sur la surface des carreaux biseautés de type métro parisien. On regrette aussi les derniers instants de l’opéra où la mise en scène de David Pountney n’apporte pas grand-chose à la révélation mystique d’Angélique (impeccable Csilla Boross). Sommet de l’opéra, la scène de la Tante princesse est heureusement sublimée par le chant altier et implacable de l’expérimentée Natascha Petrinsky.

De Wilde à Dante

La dernière soirée se révèle plus réussie avec Une tragédie florentine, drame en huis clos d’Oscar Wilde, qui permet à Zemlinsky de composer l’un de ces chefs-d’œuvre les plus aboutis. Autour de l’habituel triangle amoureux, la musique ensorcelante du professeur de Schönberg rappelle celle de son contemporain Richard Strauss par la richesse de son orchestration. Dans le rôle du mari trompé, le baryton Martin Winkler impose sa voix puissante face à deux partenaires réduits au rôle de faire-valoir. Mais c’est surtout la mise en scène de Georges Lavaudant qui impose une tension de tous les instants, avec ses décors cubistes et ses ombres surréalistes en forme d’arabesques inquiétantes tissées sur les immenses murs.
Après la révélation de cette superbe production, le Gianni Schicchi de Puccini est du même niveau, grâce à l’homogénéité parfaite de sa troupe de chanteurs tout entière acquise à la farce irrésistible du maître de Lucques. Pièce maîtresse du Triptyque, l’unique opéra bouffe de Puccini se base sur un épisode de la Divine Comédie de Dante qui décrit comment une famille entière se fait rouler par l’escroc Gianni Schicchi (drôlissime Werner Van Mechelen, malheureusement un peu court de voix). Outre la magnifique Zita de Natascha Petrinsky, on retiendra le chant olympien de la Lauretta d’Ivana Rusko, grande satisfaction du festival. Avec l’intelligente mise en scène de David Pountney, qui multiplie les références décalées (des coffres-forts géants en guise de décor, une immense carte postale pour représenter la ville de Florence, ou un rideau rouge qui évoque la comédie italienne), la direction sautillante de Gaetano D’Espinosa conclut une soirée vivement applaudie par le public lyonnais.

mercredi 1 février 2012

« Rose » de Martin Sherman - Théâtre Pépinière - 24/01/2012

Le théâtre La Pépinière présente l’une des pièces méconnues de Martin Sherman, l’auteur du magnifique « Bent ». Seule sur scène, Judith Magre déçoit de bout en bout.
Judith Magre
Années 1960. De l’Odéon à Avignon, de Chaillot à l’Athénée, Judith Magre est de toutes les scènes prestigieuses, dirigée par Jean-Louis Barrault, Jean Vilar ou Georges Wilson. Le cinéma n’est pas en reste. René Clair, Julien Duvivier, Louis Malle et surtout Claude Lelouch lui offrent des rôles à la mesure de son caractère et de son talent. Fidèle au théâtre, la comédienne retrouve le succès dans les années 1980 avec Jean-Michel Ribes, puis Jorge Lavelli, avant que ses pairs ne lui décernent le prestigieux molière de la Meilleure Comédienne en 2000 et 2006.
Extrêmement active, Judith Magre travaille chaque année sur un nouveau projet. Une énergie étonnante pour une femme qui vient de fêter ses 85 ans en novembre dernier. Son choix s’est porté cette année sur Rose, l’une des pièces de l’Américain Martin Sherman, bien connu grâce à Bent, son immense succès. Écrite en 1979, cette pièce a fait le tour du monde, traduite dans plus de vingt langues, puis adaptée au cinéma avec Clive Owen, Ian McKellen et… Mick Jagger dans les rôles principaux.
Depuis cette incontestable réussite, Martin Sherman s’est fait plus discret, écrivant moins d’une dizaine de pièces en vingt ans et quelques rares scénarios pour le cinéma, notamment pour Stephen Frears. Grand succès critique, la pièce Rose, présentée en 1999 au Royal National Theatre de Londres est nommée aux Laurence Olivier Awards l’année suivante. Martin Sherman réussit en effet à brosser le portrait émouvant d’une rescapée du ghetto de Varsovie, qui des États-Unis à Israël, nous raconte son histoire avec une malice et un humour ravageurs. Au soir de sa vie, la vieille Rose se souvient et nous transporte dans son passé tumultueux.
Une nonchalance hors de propos
Rien de cela sur la petite scène du théâtre La Pépinière. Tout occupée à lutter contre son texte, Judith Magre a bien du mal à incarner son personnage. S’enfermant dans un débit métronomique, peu habité, nonchalant, la fantaisie de son personnage ne semble pas l’intéresser, tout comme les ruptures qui rythment le récit. On passe ainsi du comique au tragique sans que la comédienne ne marque véritablement de différence dans le ton ou l’émotion de sa voix. Judith Magre s’éveille quelque peu en deuxième partie, lorsque son personnage foule le sol d’Israël, mais l’intensité d’un moment cède vite à la routine déjà constatée.
Il faut dire que la mise en scène minimaliste de Thierry Harcourt n’aide pas non plus à dynamiser la comédienne. Assise sur un banc pendant la quasi-totalité du spectacle, Judith Magre semble laissée à elle-même, comme abandonnée. Les éclairages, tout aussi sobres, ne l’aident pas davantage. Un panneau vertical capte ainsi la lumière, passant du violet au rouge pour signifier la violence du récit, ou revenant au bleu lorsque vient l’apaisement.
Pour les spectateurs, l’ennui s’installe durablement, à peine distraits par la belle musique composée par Éric Slabiak qui évoque subtilement l’Europe centrale et les origines ashkénazes de Rose. Judith Magre en termine. Elle nous a déjà perdus depuis longtemps.