mercredi 20 mars 2013

« Owen Wingrave » de Benjamin Britten - Opéra du Rhin - 17/03/2013

Faut-il défendre « Owen Wingrave », opéra mal aimé de Britten ? À cette question, la nouvelle production de l’Opéra national du Rhin répond positivement, en instaurant un climat dramatique, étouffant et mortifère, qui passionne de bout en bout.

Photo Alain Kaiser
Un opéra d’abord conçu pour la télévision ? C’est à cette initiative originale, due à la B.B.C., que le célèbre compositeur britannique Benjamin Britten (1913-1976) répondit avec enthousiasme pour créer son avant-dernier opéra Owen Wingrave, en 1971. On a peine aujourd’hui à imaginer l’importance de cette télédiffusion en simultané à travers toute l’Europe, évènement considérable depuis la création dix ans plus tôt de l’une des œuvres maîtresses de Britten, le poignant et monumental War Requiem. Si le sujet choisi pour Owen Wingrave est à nouveau la guerre, il s’agit cette fois non pas de rendre hommage aux nombreux morts, mais d’appeler à l’éveil des consciences individuelles par le refus d’un déterminisme collectif qui conduit à l’inéluctable bain de sang. Pacifiste convaincu, Britten n’a jamais oublié les vives critiques émises par ses compatriotes suite à son exil aux États-Unis de 1939 à 1942.

En adaptant une œuvre de Henry James, la seconde après le Tour d’écrou en 1954, Britten retrouve le même climat d’oppression psychologique mâtiné de fantastique, cette fois-ci autour du héros éponyme, qui se met à dos l’ensemble de ses proches en refusant d’embrasser la carrière militaire dans le respect de la tradition familiale et de la mémoire de son père, mort sur le champ de bataille. Convoqué dans la demeure ancestrale de Paramore, sinistre et inquiétante, le jeune Owen doit affronter aussi bien la violence verbale des vivants que celle, plus insidieuse, des morts. Outre les portraits des ancêtres qui semblent prendre vie peu à peu, une légende raconte ainsi que l’une des chambres est hantée suite au décès mystérieux d’un jeune garçon, ancêtre lointain des Wingrave.

Un opéra sous-estimé

Très sous-estimé en raison de personnages jugés caricaturaux et d’une musique peu originale, Owen Wingrave ne bénéficie que de rares reprises scéniques, et il faut attendre 1996 pour que l’Opéra national du Rhin prenne le risque d’une création française de l’œuvre dans la langue de Molière, avant que la langue de Shakespeare ne retrouve ses droits avec la présente production. On comprend aisément cette volonté de réhabiliter cet opus mal aimé, tant l’orchestration chambriste de Britten offre une fois encore une myriade de subtils et inattendus changements d’atmosphère fondés sur les percussions, refusant tout effet spectaculaire pour maintenir une tension étouffante à force de retenue.

La mise en scène de Christophe Gayral, ancien collaborateur de Robert Carsen, épouse cette tension en plaçant d’emblée la demeure familiale, tombeau funeste du héros, au centre de l’attention. L’espace, géométriquement restreint, est animé par de vastes monolithes mouvant au gré de l’action, sur lesquels sont projetés de courtes vidéos en noir et blanc ou les portraits de la famille Wingrave dans un long corridor. Certains chanteurs apparaissent ainsi en superposition des ancêtres, suggérant aussi bien leur proximité idéologique immuable que le caractère fantastique de ces rapprochements. La scénographie dépouillée et saisissante d’Éric Soyer, habituel collaborateur des spectacles de Joël Pommerat, est habilement agrémentée des vidéos de Renaud Rubiano, qui offre des visions fantomatiques récurrentes, telle cette évocation de l’enfermement au moyen d’une allée d’arbres parfaitement alignés comme autant de barreaux d’une prison.

De jeunes chanteurs convaincants

Le climat dramatique ainsi instauré place immédiatement l’auditeur dans une concentration extrême, et ce d’autant plus que l’ensemble des jeunes chanteurs, entièrement issus de l’Opéra Studio * de l’Opéra national du Rhin, démontre une cohésion d’ensemble impressionnante. On retient surtout le Professeur Spencer Coyle de Sévag Tachdjian, magnifique voix pleine à la diction idéale, doté d’un beau tempérament d’acteur. Il forme un couple très expressif avec la touchante Sahara Sloan (Mrs Coyle), tandis que Marie Cubaynes, dans le rôle de la fiancée d’Owen, impose une belle prestation vocale malgré une présence scénique plus décevante. Gayral ne parvient pas tout à fait à surmonter le défi de l’âge de ses interprètes, Guillaume François apparaissant fort peu crédible dans un Général Sir Philip Wingrave surjoué. Fort heureusement, le subtil Owen de Laurent Deleuil, vocalement impérial, surprend par son autorité naturelle, confiante et sereine dans l’adversité.

À côté de ces interprètes convaincants, l’autre grande satisfaction de la soirée vient de la fosse, avec l’accompagnement orchestral de David Syrus à la tête de l’Orchestre symphonique de Mulhouse. Spécialiste de Britten dont il a dirigé le délicieux opéra Albert Herring à Toulouse en début d’année, Syrus est le seul à obtenir les vivats d’un public conquis par une direction naturelle et équilibrée, attentive à chaque rupture, précise dans les variations de climat. Il n’est pas pour rien dans la réussite de cette production qui sera reprise à Mulhouse en avril, puis à Strasbourg en juillet prochain. 

* On retrouvera ces mêmes chanteurs dans la reprise de l’opéra pour enfants Blanche-Neige, de Marius Felix Lange, au Théâtre de l’Athénée - Louis-Jouvet à Paris, du 20 au 26 avril 2013.