mardi 24 janvier 2012

« Ben » - Théâtre d'Ermont - 20/01/2012

Après avoir triomphé au Point-Virgule puis au Théâtre du Temple à Paris, l’humoriste Ben part en tournée à travers toute la France, avec un détour par la Belgique et la Suisse. Un excellent spectacle à ne manquer sous aucun prétexte.
Ben
À seulement 32 ans, l’humoriste Ben est bien connu des auditeurs de France Inter, qui le retrouvent tous les matins pour son billet d’humeur, l’une des chroniques radiophoniques les plus attendues, en alternance avec François Morel, Sophia Aram et Stéphane Blakowski. Insatiable travailleur, Ben a plusieurs cordes à son arc : tour à tour acteur dans la série les Invincibles sur Arte ou pilier du stand-up dans le célèbre Jamel Comedy Club de Jamel Debbouze, après avoir assuré les premières parties des spectacles de Tomer Sisley ou de Daniel Prévost.

Influencé par Pierre Desproges, Raymond Devos ou encore les Monty Python, Ben multiplie les contre-pieds, l’autodérision et les mises en abymes. L’entrée du jeune humoriste est ainsi à l’image de son spectacle. Pas de feu d’artifice initial pour chauffer la salle. Ici, Ben dynamite les codes habituels et arrive discrètement sur scène, promenant sa silhouette fine et élégante dans la pénombre. Les lumières s’allument. Le discours s’installe, fragmenté, fébrile et étonnant.

Hésitations, mots qui semblent lui échapper, voix peu assurée. Le personnage semble perdu sur la grande scène d’Ermont. Le plan du spectacle qui nous est présenté, loufoque et incohérent, ne rassure pas plus. Et pourtant, le spectateur ne s’y trompe pas : Ben nous emmène où il veut avec son air de ne pas y toucher, avec sa palette subtile d’allers-retours, de répétitions, d’absurdités lyriques. Sans y prendre garde, on se trouve déjà dans la forêt avec des loups qui fument ou avec une mère qui s’appelle Jean-Jacques. L’auditeur tend l’oreille. La chute, toujours surprenante, sans cesse à contre-pied, force à une attention de tous les instants, tandis que le charme de Ben fait le reste.

Un charme irrésistible

On aime l’écouter. On aime se laisser entraîner dans ces contes racontés à la première personne. Ici, pas de galerie de personnages comme chez François-Xavier Demaison ou Alex Lutz. Pas d’humour vulgaire ou facile. À peine s’autorise-t-il une allusion sur les prêtres pédophiles, que le public hilare est immédiatement sanctionné : « il faut bien gagner sa vie » conclut Ben, s’adressant à lui-même. Malgré la pudeur évoquée – qui semble bien réelle –, Ben choisit de se raconter quelque peu au travers de son personnage, dévoilant les origines algériennes de son père Ben Abdallah. Suit le récit absurde et désopilant de ses difficultés à trouver un appartement avec ce patronyme connoté. Comme souvent, l’humour délicat de Ben permet d’évoquer des sujets sérieux l’air de ne pas y toucher. Enfin, avec sa propension à se jouer de l’altérité, Ben refuse constamment toute étiquette, confondant sans cesse le féminin avec le masculin dans les prénoms, les clichés attachés aux représentants de deux sexes ou à l’homosexualité.
Même si on peut s’amuser à découper le spectacle en différents sketches, tout s’enchaîne naturellement dans un rythme parfaitement maîtrisé. Le trait n’est jamais forcé, tandis que l’idée esquissée provoque les esprits avant que Ben ne nous emmène ailleurs. Un message presque subliminal donné à nos cerveaux stimulés par cet éclatant tourbillon de non-sens.

lundi 23 janvier 2012

« Dialogues des Carmélites » de Francis Poulenc - Opéra de Massy - 13/01/2012

Chef-d’œuvre de son auteur Francis Poulenc, l’opéra « Dialogues des carmélites » fascine par sa perfection formelle et l’intransigeance de son message spirituel. L’Opéra de Massy le présente dans une distribution vocale de tout premier plan, sous la direction du chef d'orchestre Yoel Levi.

Sylvie Brunet
Compiègne, avril 1789. Alors que la foule gronde au dehors, annonciatrice des évènements sanglants à venir, le Marquis de la Force s’inquiète du devenir de sa fille Blanche, décidée à rejoindre le couvent. Confrontée à Madame de Croissy, prieure âgée et malade, la jeune novice doit prouver la pleine conscience de son engagement et des responsabilités qui en incombent. Déterminée et intransigeante, Blanche s’oppose au caractère aimable et enjouée de Sœur Constance, l’une des seize carmélites qui va périr avec elle sous l’échafaud.

À partir d’une histoire vraie, le chef-d’œuvre de Francis Poulenc s’appuie sur un scénario de cinéma posthume de Georges Bernanos, lui-même inspiré d’un ouvrage de Gertrud von Le Fort. Immense succès à sa création en 1957, Dialogues des carmélites est désormais solidement installé au répertoire des grandes maisons d’opéra qui ont les moyens de proposer une distribution de qualité. L’Opéra de Massy relève le défi avec brio, parvenant à réunir deux des chanteuses (Karen Vourc’h et Sylvie Brunet) qui avaient triomphé à Nice l’an passé dans la mise en scène de Robert Carsen.

Un « noir-lumière » irréel

Celle d’Éric Perez nous plonge d’emblée dans le drame autour de décors gris-noir, rappelant les « noir-lumière » chers à Pierre Soulage. Jouant sur la géométrie des volumes plus ou moins resserrés selon les douze tableaux qui composent l’opéra, la scène dépouillée et austère conserve quelques rares éléments de mobilier, illustrant parfaitement la volonté de Blanche de s’échapper de la réalité. De même, l’agonie de la prieure prend place sur un lit perdu au milieu d’une improbable étendue d’eau, permettant à son interprète (bouleversante Sylvie Brunet) de symboliser plus encore l’éloignement de sa raison à l’approche de la mort.

Toute la première partie de l’opéra est portée par la grâce de ses tableaux visuellement très réussis, dont l’économie de mouvement sied admirablement à décrire les états d’âme de ses héroïnes. Malheureusement, la mise en scène reste statique lorsque les évènements révolutionnaires s’emballent, imposant à ses interprètes masculins (impeccables Julien Dran et Philippe Fourcade) de périlleuses interventions en arrière-scène du haut de leur tribune.

Pour autant, le spectacle fascine grandement par la qualité de ses chanteurs, particulièrement la Blanche de Karen Vourc’h, tour à tour délicate et puissante, très à l’aise dans le rôle. Vivement applaudie, à l’instar de Sylvie Brunet, sa composition touche juste. Déception par contre avec l’Aumônier de Léonard Pezzino au timbre bien fatigué, seule fausse note dans une distribution globalement très satisfaisante.

Dans la fosse, le chef américain Yoel Levi impose une direction rythmique aussi sereine que précise, scrupuleusement respectueuse de l’équilibre entre les voix et l’orchestre. Du grand art.
Reste à féliciter l’Opéra de Massy, qui parvient encore une fois à réunir un plateau de tout premier ordre au service de l’un des chefs-d’œuvre du xxe siècle. Le public enthousiaste, fidèle au rendez-vous, ne s’y est pas trompé.

jeudi 19 janvier 2012

« Lo Speziale » de Joseph Haydn - Théâtre Artistic Athévains - 10/01/2012

Après « la Traviata » de Verdi en 2005, puis « le Mariage secret » de Cimarosa en 2007, la compagnie Les Athévains présente cette année un opéra bouffe de Joseph Haydn, pour le plus grand bonheur des amateurs du genre.

Considéré comme un maître de la symphonie classique ou du quatuor à cordes, Joseph Haydn s’est également illustré dans le domaine de l’opéra, avec pas moins de treize opus composés tout au long de sa carrière. Cependant, au contraire de ses contemporains Gluck et Mozart, ses œuvres lyriques sont peu enregistrées au disque, et encore moins souvent représentées sur les planches. Fort heureusement, quelques personnalités éminentes du monde musical, telles Jérémie Rhorer (l’Infedeltà delusa à Aix-en-Provence en 2008) ou René Jacobs (Orlando Paladino * à La Monnaie de Bruxelles en 2011), osent tirer de l’oubli ce répertoire délaissé.
Seule œuvre à avoir survécu à cette indifférence, lo Speziale (l’Apothicaire), petit opéra bouffe remis au goût du jour par Gustav Mahler dès 1895 dans la langue de Goethe, a été joué par Les Petits chanteurs de Vienne dans le monde entier. Depuis les années 1960, la version originelle en italien est désormais privilégiée, dans des adaptations qui complètent les parties manquantes du dernier acte.
Un livret de Goldoni édulcoré
Haydn n’a que 36 ans lorsqu’il compose son troisième ouvrage lyrique à partir d’un livret écrit par le Vénitien Carlo Goldoni. Il en réduit considérablement l’intrigue, ne conservant que les éléments bouffes autour de trois soupirants qui se disputent la main de la belle Grilletta. Dans la petite salle des Athévains à l’acoustique idéale, l’adaptation d’Andrée-Claude Brayer réduit opportunément les instruments à six et modifie la tessiture du rôle de Volpino, habituellement confié à une mezzo-soprano.
Dans ce rôle, le baryton Laurent Herbaut affiche une insolente aisance vocale dans une composition comique malheureusement un rien trop surjouée. Son opposant victorieux Xavier Mauconduit (Mengone) se montre plus à son aise, et parvient à incarner ses différents travestissements de notaire ou de Turc de manière très convaincante. De même, la soprano Karine Godefroy, régulièrement invitée par les Athévains, joue parfaitement à l’idiote énamourée, aussi inconstante que frivole. Moins à l’aise vocalement, Jean-François Chiama emporte néanmoins l’adhésion par ses qualités d’acteur, bien aidé en cela par un rôle hilarant de tuteur amoureux, qui lui permet de composer la naïveté ou l’outrance avec un métier certain. Parmi les scènes comiques réussies, on retiendra tout particulièrement le finale de l’acte II, où Volpino et Mangone, grimés en improbables notaires, dupent en écho le tuteur et sa promise résignée.
La musique pétillante de Haydn
Autour de décors sobres et classiques, la mise en scène d’Anne-Marie Lazarini apporte quelques moments de malices bienvenus, donnant un rôle à l’orchestre tout entier, qui lit le journal ou s’abrite de la pluie entre les actes. De même, l’introduction de l’opéra par le rondo Alla turca de Mozart joué au piano-forte, préfigure subtilement les turqueries du dernier acte de lo Speziale. Dans cette bonne humeur, l’Orchestre-Studio de Cergy-Pontoise se montre visiblement ravi d’interpréter la musique pétillante de Haydn, qui offre aussi de beaux moments de poésie au hautbois solo de Jean-Marie Poupelin.
On l’aura compris, toute l’équipe ici réunie participe à la réussite d’un spectacle très plaisant et hautement recommandable, à déguster sans modération dans le cadre intime et chaleureux du Théâtre Artistic Athévains.

* Cette œuvre sera également donnée du 17 au 25 mars 2012 au Théâtre du Châtelet, sous la direction de Jean-Christophe Spinosi.