lundi 25 novembre 2013

« Hot House » de Harold Pinter - Théâtre Le Lucernaire - 19/11/2013

Le Paradis, c’est la salle haut perchée du Lucernaire. Un endroit intime idéal pour se plonger dans un huis clos délirant de Pinter, qui allie habilement suspens et humour corrosif.


À croire que le choix même du lieu était prévu par le metteur en scène. Nous voilà en effet dans la petite salle du Paradis, nichée au dernier étage du Lucernaire et par laquelle on accède au moyen d’un étroit escalier en colimaçon. Pour ne pas gêner les spectacles en cours, l’ascension s’effectue dans un silence quasi religieux qui renforce l’impression que seuls de rares privilégiés méritent d’accéder au cénacle. Aussitôt entrés, les spectateurs sont salués par les comédiens qui leur conseillent les meilleures places, les rassurent prudemment. Tentative de distanciation brechtienne en forme de harangue sympathique et plutôt inhabituelle, liminaire indispensable pour préparer l’épreuve à venir.
Hot House nous plonge en effet d’emblée dans l’univers clos et oppressant d’une institution médicale, sorte de maison de repos où les patients sont désignés par des numéros, comme autant d’impersonnels codes-barres. Le directeur Roote semble las de tout ce qui l’entoure, confondant les matricules et les dossiers. Ce qui ne l’empêche pas d’affirmer sans cesse sa position d’autorité à son second, l’ambitieux Gibbs. L’agitation de ces personnages tous issus du personnel médical, de l’alcoolique Lush à la glaçante Miss Cutts, intrigue constamment. On s’interroge : le directeur ne serait-il pas un patient comme les autres à qui l’on fait croire qu’il dirige l’institution ? À moins que ses subordonnés n’aient pris l’ascendant petit à petit, le confortant dans l’illusion du pouvoir ?
Des pistes nombreuses
Comme souvent chez Pinter, les pistes sont nombreuses et l’ambiance mâtinée de fantastique. Pour autant, le Prix Nobel de littérature s’attaque cette fois à un sujet qui ne se limite pas aux interactions entre les êtres, à ces rapports de domination évoqués entre Roote et Gibbs – qui ne prennent pas autant d’importance que dans le Monte-plats, pièce écrite un an plus tôt en 1958. Ici, l’auteur britannique veut dénoncer le poids de l’institution, ses règles contraignantes et exorbitantes par rapport au monde extérieur. Un sujet dans l’air du temps, où l’autorité est remise en cause à tous les échelons.
On pense évidemment à Asiles, étude sur la condition sociale des malades mentaux *, l’ouvrage fondateur d’Erving Goffman, qui va plus loin encore dans l’exploration sociologique de la propension totalitaire de ces institutions. Peut-être impressionné par cette somme parue deux ans seulement après l’achèvement de son manuscrit, Pinter le met de côté pendant plusieurs années, et la création de l’œuvre n’intervient qu’en 1980, dans une mise en scène de l’auteur.
Un rythme endiablé
Régulièrement jouée depuis, l’œuvre bénéficie ici d’une mise en scène particulièrement originale. Valéry Forestier choisit ainsi d’avoir recours à un large panneau percé de petites trappes d’où n’apparaissent que certaines parties du corps des comédiens. Ludiques et absurdes, les visions s’enchaînent dans un rythme endiablé, tandis que le débit des interprètes s’accélère dans une pure virtuosité vocale. Les trois comédiens qui jouent les six rôles se montrent particulièrement impressionnants, libérant un corps qui doublonne la voix par son expressivité naturelle – Forestier ayant eu l’intelligence de choisir des comédiens possédant une importante expérience de clown.
Souvent drôle, servie par une troupe idéale de fougue juvénile, la pièce est un régal pour qui voudra bien se frotter à l’univers corrosif de Pinter. Une expérience à affronter d’urgence !

vendredi 22 novembre 2013

« Falstaff » de Giuseppe Verdi - Opéra de Massy - 17/11/2013

Massy accueille une production de « Falstaff », créée à l’Opéra de Monte-Carlo voilà trois ans, qui transpose la farce dans une basse-cour déjantée et bariolée de couleurs. Un pari imparfaitement réussi du fait d’une direction d’acteur un peu désordonnée.


Vous n’allez pas à Massy ? Vous avez bien tort. Cette année encore, son directeur Jack‑Henri Soumère a concocté une saison des plus équilibrées, alternant les piliers incontournables du répertoire (Don Giovanni, la Traviata) avec de stimulantes curiosités (l’Empereur d’Atlantis d’Ullmann ou Un train pour Johannesburg de Weill), sans oublier un heureux détour par le baroque (King Arthur, Orfeo). Si Soumère célèbre en ouverture de saison le bicentenaire de la naissance de Giuseppe Verdi (1813-1901), le choix de Falstaff ne constitue en rien une facilité. En effet, la toute dernière œuvre lyrique du compositeur ne fait pas partie de ses opéras les plus souvent représentés, et ce en raison de mélodies moins immédiatement identifiables et entêtantes pour le profane.
Verdi ponctue là une carrière longue de plus de cinquante ans de succès, dévoilant un nouveau chef-d’œuvre salué par la critique, résultat d’une lente et minutieuse maturation. Un opéra qui représente surtout l’une des rares incursions du maître italien dans la comédie, genre abondamment défendu par son illustre aîné Rossini. Mais là où les premières œuvres de Verdi devaient beaucoup aux virtuosités fulgurantes du « Cygne de Pessaro » (surnom de Rossini), ce Falstaff se tourne résolument vers le xxe siècle, annonçant ainsi Richard Strauss par la fluidité de la conversation musicale et une écriture rythmique étourdissante au niveau orchestral.
Un orchestre national d’Île-de-France superlatif
Le maestro Roberto Rizzi-Brignoli s’empare de ce matériau sans jamais se départir d’une vigueur qui fait ressortir toute la modernité de la partition. À peine lui reprochera-t-on un manque de respiration dans la première partie de l’opéra, mais fort heureusement compensé par un Orchestre national d’Île-de-France superlatif dans ce répertoire, incontestable satisfaction de la soirée. Côté mise en scène, en effet, malgré des éléments scénographiques (costumes et décors notamment) d’une créativité constante, la farce élaborée par Jean-Louis Grinda peine à animer de manière convaincante une action transposée en une insolite basse-cour que n’aurait pas reniée La Fontaine.
Faute d’une direction d’acteur serrée, les chanteurs semblent souvent mal à l’aise sur le plateau, tandis que la chorégraphie de la scène de la forêt pèche par ses déplacements maladroits du chœur, et ce malgré la délicate poésie visuelle due aux merveilleux costumes de créatures abyssales tout droit sortis des marais. Affublée de costumes d’animaux aussi bariolés que truculents, toute la troupe maquillée façon punk-rock se démène ainsi face au malotru Falstaff pour le réprimander collectivement.
Ce personnage d’infatigable coureur de jupons, issu de la pièce les Joyeuses commères de Windsor de Shakespeare, se trouve ici engoncé dans un déguisement de coq qui ne lui permet pas de donner à son personnage une dimension autre que celle de l’ivrogne décadent. En effet, c’est bien par le souvenir de sa grandeur passée que Falstaff accepte la leçon finale en seigneur, entraînant joyeusement ses pourfendeurs à entonner la célèbre fugue qui conclue l’opéra.
Un Falstaff en demi-teinte
Côté voix, Olivier Grand (Falstaff) démontre de belles qualités d’ampleur vocale dans les envolées lyriques des dernières scènes, mais déçoit dans les parties bouffes avec un jeu d’acteur assez terne et convenu. Hormis le Docteur Cajus de Gilles Ragon, constamment à la peine vocalement, tout le reste du plateau convainc pleinement. On retiendra notamment l’agilité gracieuse et délicate de la Nannetta de Valérie Condoluci. ou le Ford d’Armando Noguera, artiste complet qui démontre des qualités d’acteur et une prestance vocale de tous les instants. Assurément deux chanteurs que l’on espère retrouver très vite.