dimanche 30 septembre 2018

« Les Huguenots » de Giacomo Meyerbeer - Opéra Bastille à Paris - 28/09/2018


Il est souvent rappelé que Les Huguenots fut le premier ouvrage à dépasser les mille représentations à l’Opéra de Paris, rattrapé ensuite par la déferlante du succès du Faust de Gounod. Pour autant, l’ouvrage comme son compositeur furent rapidement oubliés dès le milieu du XXe siècle, même si on note une certaine réhabilitation depuis une dizaine d’années. Parmi les productions récentes des Huguenots, on citera ainsi celle d’Olivier Py à Bruxelles et Strasbourg en 2011-2012, puis celle de David Alden récemment à Berlin.
 
C’est précisément de la capitale allemande que nous vient le metteur en scène Andreas Kriegenburg, qui fait ses débuts à l’Opéra de Paris après une longue carrière dans les pays germaniques, d’abord dédiée au théâtre. Ancien metteur en scène en résidence au Deutsches Theater de Berlin, il a abordé le répertoire lyrique depuis 2006, recueillant de nombreux succès à Munich notamment. Disons-le tout net : sa première prestation en France n’a guère convaincu, du fait notamment d’une conception trop intellectuelle du grand mélodrame flamboyant de Meyerbeer. A l’instar de nombreux metteurs en scène venu du théâtre, Kriegenburg laisse en effet de côté la nécessité d’articuler les impératifs dramatiques et la conduite du discours musical : c’est particulièrement malvenu s’agissant d’un compositeur tel que Meyerbeer dont l’imagination se retrouve dans le foisonnement des détails piquants de l’orchestration. On a là une filiation directe avec Spontini et Berlioz, deux compositeurs eux-aussi passionnés par les nouvelles sonorités, les contrastes entre effets de masse et subtilités chambristes, tout en embrassant un style volontiers syncrétique. On ne retrouvera donc pas ici la traduction visuelle des nombreuses variations d’atmosphères, comme de l’humour et de l’ironie très présents au I, ce qui est par ailleurs aggravé par la direction placide et impersonnelle de Michele Mariotti dont la lecture aux contrastes aplanis apporte évanescence et transparence – bien trop lisse au final.

Kriegenburg nous inflige quant à lui des tableaux particulièrement répétitifs dans chaque acte, dévoilant une scénographie clinique et froide, d’une laideur rare : aux étages de parking repeints en blanc au I succède un décor encore plus cheap au II, donnant à voir quelques femmes dénudées prenant maladroitement leur bain, avant que les actes suivants ne poursuivent cette thématique pseudo-futuriste où le blanc domine. A quoi bon disposer de moyens aussi importants pour nous proposer les décors qu’un théâtre de RDA n’aurait pas juger dignes de présenter en son temps ? Quelques éclairages pastels viennent ça et là rehausser l’ensemble, mais la direction d’acteur statique et sans surprise consterne, elle aussi, sur la durée. On mentionnera encore les costumes habilement modernisés, évoquant la mode au temps de la Saint-Barthélémy, qui ont pour principal avantage de bien distinguer les deux camps en présence, et ce malgré leurs couleurs kitch (proche en cela du travail visuel de Vincent Boussard et Christian Lacroix).


Fort heureusement, Stéphane Lissner a eu la bonne idée de réunir l’une des distributions les plus enthousiasmantes du moment pour ce répertoire, et ce malgré le cas problématique de Yosep Kang. Le ténor coréen a certes relevé avec panache le défi de se substituer au dernier moment à Bryan Hymel (ce dont témoignent les très belles photos des répétitions de l’ouvrage, à voir dans le programme de l’Opéra de Paris. On y notera aussi la mention bienvenue de l’ensemble des coupures pratiquées au niveau du livret), mais déçoit dans les airs du fait d’une émission étroite et d’une tessiture insuffisante dans le suraigu, forçant ces différents passages avec difficulté. C’est d’autant plus regrettable que Kang fait valoir un très beau timbre dans les graves, une parfaite prononciation du français, ainsi qu’une belle assurance dans les ariosos. Hélas trop peu, à ce niveau, pour compenser les écueils relevés plus haut. A ses côtés, la plus belle ovation de la soirée a été obtenue, ce qui n’est que justice, pour le chant radieux et aérien de Lisette Oropesa (Marguerite). Quel plaisir que cette facilité vocale (les vocalises!) au service d’une intention toujours juste et précise. C’est précisément ce que l’on reproche à Ermonela Jaho (Valentine), impériale vocalement elle aussi, mais qui a tendance à surjouer dans les passages mélodramatiques. Rien d’indigne bien sûr, mais toujours regrettable. Karine Deshayes compose quant à elle un Urbain d’une aisance confondante, autour d’une projection vibrante et incarnée. On notera juste un aigu parfois un peu dur. Nicolas Testé reçoit lui aussi des applaudissements nourris à l’issue de la représentation : la sûreté de l’émission et la beauté du timbre compensent une interprétation par trop monolithique, heureusement en phase avec son rôle de Marcel. Toutes les autres interventions, jusqu’au moindre second rôles, sont un régal de chaque instant.

Dommage que le choeur de l’Opéra de Paris montre, une fois encore, des défaillances pour chanter parfaitement ensemble. Il faut trop souvent lire les surtitres pour comprendre le sens : un comble pour un choeur censé parfaitement maîtriser notre langue. On espère vivement que le travail qualitatif réalisé, par exemple, par Lionel Sow avec le choeur de l’Orchestre de Paris, pourra un jour être mené ici.

samedi 29 septembre 2018

« Jenůfa » de Leos Janácek - Opéra de Dijon - 26/09/2018


Depuis son accession au poste de directeur de l’Opéra de Dijon en 2007, Laurent Joyeux développe une programmation audacieuse afin de rivaliser avec les grandes maisons régionales que sont l’Opéra de Lyon et l’Opéra du Rhin notamment. On en prendra pour preuve le bénéfice de la résidence de Leonardo García Alarcón accompagné de raretés absolues du répertoire tels qu’ El Prometeo d’Antonio Draghi ou La finta pazza de Francesco Sacrati (à découvrir en février prochain), tout autant que l’ éclairage bienvenu apporté sur l’œuvre de Leos Janácek, l’un des plus importants compositeurs tchèques avec Smetana, Dvorák et Martinů. Place à présent, après Kátia Kabanová mis en scène par Laurent Joyeux lui-même en 2015, au premier chef-d’œuvre de son auteur, Jenůfa, donné pour la première fois à l’Opéra de Dijon, dans la version de 1908.

Pour cet événement, Laurent Joyeux a la bonne idée de confier à un orchestre tchèque la mise en valeur des moindres inflexions musicales voulues par Janácek: Jenůfa fait en effet partie de ces ouvrages dont le rôle prépondérant de l’orchestre le place comme un personnage à part entière. Ca n’est donc pas la moindre des satisfactions que de bénéficier des couleurs locales des Czech Virtuosi, un ensemble basé dans la ville natale de Janácek à Brno. On se félicitera aussi de la présence du chef norvégien Stefan Veselka, dont les origines tchèques lui donne une parfaite maîtrise de cette langue, à même de donner une belle cohésion à un ensemble de chanteurs venus de tous horizons. Sous sa baguette, les cordes frémissantes se jouent admirablement des différents climats de l’ouvrage, mêlant folklore local et mélodrame flamboyant. On retiendra aussi les interventions abruptes des percussions en phase avec les intentions du compositeur, tandis que les vents se montrent un rien en retrait.



Deux ans après l’Orfeo présenté ici-même, Yves Lenoir choisit d’évacuer le folklore de l’ouvrage pour lui préférer une transposition intemporelle mais assez impersonnelle et interchangeable dans son expression visuelle. On retrouve logiquement le même décor au I et III, là où les logiques de pression du groupe, d’observation des convenances et des jeux de rôle sont à l’œuvre. La scénographie minimaliste fait le choix d’une vaste tôle d’usine encadrant un horizon volontairement réduit, rappelant le peu de perspectives des personnages pris dans l’engrenage de déterminismes sociaux. Cette production permet ainsi de découvrir l’ouvrage sans scories ou transposition maladroite, autour d’une direction d’acteur précise et soutenue, mais pourra décevoir le connaisseur faute de parti pris et de prise de risque à même de donner un enjeu ou un éclairage différents. Parmi les rares pistes audacieuses suggérées, on retiendra le baiser effleuré de Kostelnicka sur les lèvres de Steva au II – une idée non exploitée ensuite – et plus encore la très belle image finale de Jenůfa et Laca tentant de se rejoindre malgré la distance de la table entre eux. De quoi donner un peu de crédibilité à ce rapprochement trop rapide, en forme de happy end souvent moqué.


Face à cette mise en scène sérieuse mais peu enthousiasmante, le plateau vocal réuni affiche un niveau de fort belle tenue, et ce malgré le rôle-titre décevant tenu par une Sarah-Jane Brandon à la projection nettement insuffisante. Plusieurs fois couverte par l’orchestre au I et au III, notamment dans les aigus, elle se rattrape quelque peu au II avec ses qualités de phrasé et sa composition touchante. Sabine Hogrefe (Kostelnicka) rencontre les mêmes difficultés de puissance mais s’en sort mieux du fait de ses beaux graves cuivrés, à même de donner une noirceur opportune à son personnage. On retiendra également la très belle musicalité de Magnus Vigilius (Steva), au chant fluide et distingué, tandis que Daniel Brenna (Laca) joue davantage l’expression en force. Il n’en reste pas moins que ces interventions déchirantes donnent le frisson à force de vérité. Il lui faut désormais élargir son émission pour convaincre pleinement dans le médium. On mentionnera encore la superlative Starenka de Helena Köhne, à l’interprétation vibrante, tandis que tous les seconds rôles se montrent à la hauteur. De quoi donner aux scènes de groupe une belle intensité dramatique, il est vrai soutenue par le Chœur de l’Opéra de Dijon. Assurément un spectacle de bonne tenue, à découvrir jusqu’au 30 septembre, avant sa présentation l’an prochain à Caen.

lundi 24 septembre 2018

« Lohengrin » de Wagner - Opéra des Flandres à Gent - 20/09/2018


L’Opéra des Flandres ouvre sa saison 2018-2019 sur un spectacle superbe coproduit avec l’Opéra de Londres – et déjà applaudi dans la capitale britannique en juin dernier. Monter Lohengrin dans les Flandres peut paraître logique au regard de son action prenant place dans les nimbes moyen-âgeuses du Xe siècle à Anvers : pour autant, les locaux n’oublieront pas les sous-entendus pan germaniques du livret, révélateurs des convictions politiques de Wagner à l’orée des soulèvements de 1848. C’est précisément l’une des pistes de lecture empruntée par l’Américain David Alden (à ne pas confondre avec son frère jumeau Christopher, également metteur en scène, dont les Dijonnais ont pu apprécier le travail dans sa production du Turc en Italie de Rossini en 2017 – deux ans après la Norma entendue à Bordeaux) qui transpose l’action dans une société en proie aux séductions du totalitarisme naissant : la noirceur de la scénographie, les éléments militaristes, tout autant que les costumes années 1940 ou les drapeaux nazis habilement revisités sous la bannière du cygne, sont autant de signes de l’avènement du sauveur autoproclamé Lohengrin.


Rien de nouveau dans cette transposition déjà vue ailleurs, mais l’ensemble se tient autour d’une scénographie envoûtante aux allures cubistes : les immeubles inachevés en forme de ruines fantomatiques et inquiétantes sont sans cesse revisitées par les éclairages et les mouvements de décors. Pour autant, David Alden ne s’en tient pas à ce seul contexte visuel guerrier et cherche à donner davantage de profondeur psychologique aux personnages. Ainsi du Roi dont l’inconsistance de caractère est soulignée par sa couronne d’opérette, ses errances sur scène et son regard halluciné. C’est plus encore le personnage d’Ortrud qui intéresse David Alden : sa vengeance ne trouve pas seulement pour cause la défense d’un statut de classe, mais également l’expression de la jalousie face au désir exprimé par son mari pour Elsa. Cette hypothèse audacieuse est suggérée par l’un de nombreux sous-textes ajoutés par la remarquable direction d’acteur de cette production, visible à l’issue de la scène de pardon entre Ortrud et Elsa au II, lorsque Teralmund tend sa main vers le corps d’Elsa, sous le regard horrifié d’Ortrud. Une autre piste défendue par cette mise en scène passionnante consiste à entrevoir les deux personnages féminins comme une seule personne aux pulsions contradictoires : à la féminité sexuelle triomphante d’Ortrud au II répond la virginité préservée d’Elsa au III. La question fatale posée à Lohengrin n’intervient-elle pas alors que les deux époux s’apprêtent à consommer leur mariage, donnant ainsi à Elsa la possibilité d’échapper à ce désir sans cesse repoussé ? On notera aussi une attention soutenue aux moindres inflexions musicales de Wagner à travers les gestes des personnages : par exemple, les différentes reprises du thème de Lohengrin aux cuivres provoquent chez Teralmund une terreur évocatrice tout à fait pertinente.


Le plateau vocal réuni est de très bonne tenue, hormis la présence assez inexplicable pour le rôle-titre du très perfectible Zoran Todorovich, un habitué de la maison flamande (on le retrouvera ici même au printemps prochain dans La Juive). Privé de couleurs, l’Allemand d’origine Serbe peine dès lors que les difficultés techniques lui imposent de forcer sa voix, peinant aussi à chanter en phase avec l’orchestre. Fort heureusement, sa présence est plus réduite au I et II et seul le III souffre de sa présence. A ses côtés, Liene Kinča compose une Elsa toute de fragilité et de sensibilité, autour de phrasés harmonieux, et ce malgré quelques changements de registre audibles au I. Sa petite voix et son émission étroite ne doivent pas faire sous-estimer cette chanteuse à la hauteur de son rôle et parfaitement en phase avec les choix de la mise en scène. L’Ortrud d’Irène Theorin est son exact opposé au niveau stylistique : sa puissance et sa vibrante incarnation font de chacune de ses interventions un régal. L’ancienne soprano se délecte des passages en pleine voix, manifestant davantage de prudence dans les ariosos soutenus par un léger vibrato. Son duo avec le Telramund de Craig Colclough est un grand moment d’intensité, auquel n’est pas étranger le baryton américain, très investi dans son rôle. On soulignera aussi la belle incarnation du Roi Henri par Wilhelm Schwinghammer, remplaçant de dernière minute suite à la défection de Thorsten Grümbel, mais c’est plus encore le Héraut de Vincenzo Neri qui se distingue à force d’éclat et d’autorité naturelle.

On mentionnera enfin les très beaux débuts d’Alejo Pérez, nouveau directeur musical de l’Opéra des Flandres, qui surprend à de nombreuses reprises par ses accélérations nerveuses et frémissantes ou son attention aux détails en contraste. Les magnifiques premières mesures pianissimo du Prélude donne le ton au moyen de l’allégement des corde, offrant une impression de fondu, éthéré et irréel, au moment de l’entrée des vents et cuivres. Un chef argentin sur lequel il faudra désormais compter, tout autant que le superlatif Choeur de l’Opéra des Flandres aux qualités bien connues.

vendredi 21 septembre 2018

« Il Trionfo del Tempo e del Disinganno » de Georg Friedrich Händel - René Jacobs - Festival d'Ambronay - 15/09/2018

René Jacobs
En soirée, l’excitation palpable au sein de l’assistance fournie semble démontrer combien le retour de René Jacobs à l’Abbatiale est bienvenu: on retrouve en effet d’emblée toutes les qualités du chef flamand dans une direction enflammée dont aucun pupitre ne sort indemne à force d’attaques sèches, d’oppositions entre pupitres et de mise en valeur des couleurs individuelles. Outre cet engagement de tous les instants, on soulignera le choix d’un plateau vocal d’une grande pertinence, faisant la part belle à la jeunesse. Ainsi du formidable Tempo de Thomas Walker, jeune ténor britannique pourtant peu aguerri dans ce répertoire mais qui emporte l’adhésion avec sa force de projection, tout autant que son attention à la prononciation et ses subtilités de phrasé. Naturel et lumineux, le chant de Sunhae Im (Bellezza) n’est pas en reste, même si on pourra noter quelques approximations dans les accélérations, tout à fait excusables tant les prises de risque sont nombreuses. On se félicitera plus encore de l’irradiante Robin Johannsen (Piacere), très investie dans son rôle, au moyen d’une agréable rondeur d’émission et d’une interprétation de caractère. Assurément une chanteuse à suivre. Le cas de Benno Schachtner (Disinganno) est plus problématique, tant les décalages et les faussetés agacent dans les récitatifs en première partie. Il semble plus à l’aise ensuite, surtout dans les airs, manifestement mieux préparés.

Une fois encore, les chanteurs de René Jacobs évoluent dans une mise en espace discrète mais efficace, à même de donner un semblant d’enjeu à cette œuvre plus philosophique que dramatique. A l’instar de la belle soirée entendue à Pontoise voilà trois ans, ce tout premier oratorio de Haendel séduit à nouveau par la variété de son inspiration, presque frivole en première partie, plus recueillie ensuite. Le dernier quart d’heure de la partition donne à entendre un Jacobs très attentif au sens et plus inspiré que jamais, avant de faire durer l’ultime note de l’ouvrage à l’orgue en quelques secondes admirables de recueillement et d’intensité intérieure. L’ovation qui suit ne s’y trompe pas: chapeau l’artiste!

jeudi 20 septembre 2018

Concert Haydn - Jeune orchestre de l’abbaye - Raphaël Pidoux - Festival d'Ambronay - 15/09/2018

Raphaël Pidoux

Ambronay accueille cette année le Jeune orchestre de l’abbaye aux Dames, anciennement Jeune Orchestre Atlantique, pour un programme entièrement dédié à Haydn, hormis un extrait d’un des concertos pour violoncelle de Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788). C’est là une bien belle idée que de rendre hommage à celui qui fut l’un des plus grands inspirateurs de Haydn – même s’il aurait-il été plus judicieux d’allonger le concert de seulement quinze minutes afin de proposer ce Concerto en la mineur dans son entier. Quoi qu’il en soit, on saluera l’initiative d’Ambronay de proposer avec ce programme un nouveau format de concert, d’une heure environ en fin d’après-midi, tout en s’intéressant au répertoire de la seconde moitié du XVIIIe siècle. On a ici la réunion opportune de deux œuvres composées au début des années 1760 par Haydn, alors en tout début de carrière à Esterháza, qui démontre aisément la variété de son inspiration en des climats opposés: à la musique traînante et envoûtante du fameux premier mouvement de la Vingt-deuxième Symphonie «Le Philosophe» répond l’énergie lumineuse du Premier Concerto pour violoncelle.

Les jeunes musiciens démontrent des qualités de cohésion admirables, ainsi qu’une belle sonorité aux cordes, dont on doit sans doute l’apport au formidable premier violon de Kinga Ujszaszi, révélée par Ambronay voilà trois ans. On aurait seulement préféré des tempi un peu plus allants pour la symphonie, à même de donner un sentiment d’urgence à l’ensemble. A l’inverse, l’apport de Raphaël Pidoux en soliste pour le concerto semble galvaniser les troupes en un enthousiasme communicatif, tandis que l’archet du Français se joue aisément des difficultés de la partition, apportant grâce et légèreté par son toucher aérien. Les musiciens ont repris le programme le lendemain à Sceaux, avec le Second Concerto pour violoncelle de Haydn en guise de complément de luxe.

mercredi 19 septembre 2018

Récital de Valer Sabadus - Concerto Köln - Festival d'Ambronay - 14/09/2018

Valer Sabadus

Que de chemin parcouru pour Valer Sabadus (32 ans) depuis sa participation au Festival de la Vézère en 2014, déjà avec le Concerto Köln! En seulement quatre ans, le contre-ténor allemand s’est affirmé sur les plus grandes scènes européennes tout en continuant de participer aux principaux festivals dédiés à la musique baroque, tel Ambronay. A nouveau entouré de la formation allemande bien connue, Sabadus s’intéresse cette fois aux grandes figures que sont Antonio Caldara (1670-1736) et Nicola Porpora (1686-1766), ainsi qu’à des compositeurs contemporains plus méconnus tels que Geminiano Giacomelli (1692-1740), Francesco Maria Veracini (1690-1768) et Riccardo Broschi (1698-1756), frère aîné de Farinelli.

Très bien construit, le programme propose une alternance d’extraits pour orchestre seul (afin de laisser la possibilité au contre-ténor de souffler entre ses interventions) et d’airs admirablement variés dans leurs atmosphères, d’abord sensibles en début de concert pour chauffer la voix, avant d’entamer des airs de bravoure plus périlleux pour conclure brillamment la première partie avant l’entracte. Avec son effectif réduit à quatorze cordes, le Concerto Köln montre malheureusement quelques faiblesses d’inspiration dans les mouvements lents, où il ne semble pas avoir grand-chose à dire, mais se rattrape ensuite dans les accélérations et la vivacité – fidèle en cela à l’esprit des nombreux disques qui avaient fait sa réputation à partir des années 1990. Conservant le parti pris de jouer sans chef, la formation démontre une fois encore ses qualités de cohésion et d’emphase dans la rythmique, admirable dans les graves, même si elle semble plus à l’aise dans un répertoire qui flirte avec la musique galante de la seconde moitié du XVIIIe, celui-là même qu’un Porpora annonce.


Si Valer Sabadus met quelque temps à se chauffer en première partie, il convainc pleinement ensuite en mettant en avant ses qualités de souplesse et d’articulation, toujours au service du sens. Petite voix, l’Allemand rivalise de subtilité en une parfaite maîtrise du souffle, donnant cette impression de grâce aérienne et fluide tout au long du concert. On pourra évidemment noter un manque de puissance évident dans les airs redoutables tel que celui de Geminiano Giacomelli en fin de première partie, où Sabadus compense les difficultés dans les accélérations par la précision de ses tenues de notes et l’attention au texte. Mais c’est bien entendu dans les passages apaisés qu’il se montre à son meilleur, tout particulièrement dans l’irrésistible air d’Acis du Polifemo de Porpora, tour à tour tragique et ensorcelant. L’Ouverture en sol mineur de Veracini nous ramène aux élans joyeux et rythmés de Vivaldi, merveilleusement rendus par un Concerto Köln à la hauteur, avant que l’émotion ne surgisse à nouveau dans l’imploration délicate de l’air d’Arsace tiré de l’Artaserse de Broschi. Sabadus conclut le programme avec l’un des plus beaux airs de Porpora, toujours tiré de son Polifemo, en forme de mélange de défi et de bravoure au ton moqueur, dont seules les vocalises lui échappent quelque peu.


Le public enthousiaste en fin de concert après la première partie plus en retrait obtient de ses interprètes pas moins de trois bis, après que Sabadus s’est adressé en un parfait français à l’assistance, afin de présenter les différents morceaux: un air composé par Farinelli lui-même, un air écrit par Haendel pour son rival Cafarelli et une reprise d’un air de Porpora entendu plus tôt dans la soirée.

vendredi 14 septembre 2018

« Quatuors avec piano n° 1 et n° 2 » de Dvorák - Trio Busch - Disque Alpha


Nous avions déjà été enthousiasmés voilà deux ans par le tout premier disque du Trio Busch consacré à la musique de chambre de Dvorák. C’est à nouveau la musique du compositeur tchèque qui sert d’inspiration à cette belle formation: avec Miguel da Silva, qui fut vingt-sept ans durant, l’altiste du Quatuor Ysaÿe, elle fait valoir tout au long du disque une interprétation vive et légère, tout autant qu’aérienne dans ses différentes réponses entre pupitres. Le son est chaud et enveloppant, en un univers sonore toujours confortable. Si le Premier Quatuor avec piano (1875) semble moins abouti que le Second de 1889 (ce dernier contemporain de la Huitième Symphonie), il réserve quelques beaux moments, tel ce premier mouvement au thème lyrique répété à l’envi. Les couleurs de la formation sont mises en avant dans l’Andantino qui suit, au début mélancolique avant de se déployer dans une étreinte superbe de sensibilité. Les interprètes prennent parfaitement la mesure de cette suite de variations savoureuses et malicieuses. Le Finale, plus ronronnant, apparait moins original.


L’Allegro qui entame le Second Quatuor avec piano montre une belle ampleur symphonique, même si le cœur de l’œuvre se situe dans le Lento qui suit, à l’émotion tenue et pudique. Le violoncelle d’Ori Epstein se distingue particulièrement dans les quelques passages contrastés. On retrouve plus de légèreté dans le superbe Allegro moderato, grazioso qui suit, avant que la transition saisissante vers le Pochettino più mosso ne surprenne par sa vigueur. La mélodie irrésistible du Finale vient enfin conclure en une rythmique entraînante ce chef-d’œuvre digne de la maturité du compositeur, à consommer sans modération dans l’interprétation superlative du Trio Busch.

jeudi 13 septembre 2018

«Hommage au Quintette à vent français» : Claude Arrieu, André Jolivet, Marcel Bitsch et Jean-Michel Damase - Quintette Aquilon - Disque Premiers Horizons/AJPR


Voilà que le Quintette Aquilon, déjà promu dans nos colonnes il y a quatre ans, nous revient avec un programme toujours des plus passionnants. Il s’agit en réalité du deuxième disque qu’il dédie au répertoire français, après celui sorti en 2015 autour d’un programme réunissant Ibert, Françaix, Tomasi et Escaich. Les musiciennes choisissent cette fois de se centrer sur une génération assez homogène de musiciens, de Claude Arrieu (1903-1990) à André Jolivet (1905-1974), en passant par Marcel Bitsch (1921-2011) et Jean-Michel Damase (1928-2013). C’est par là-même l’occasion de rendre hommage au Quintette à vent français, une formation créé par Jean-Pierre Rampal en 1945.

Ce disque un rien trop court (un peu moins d’une heure de musique) est porté par des œuvres au ton différent, entamé par l’élan joyeux et facétieux du Quintette (1952) de Claude Arrieu. L’ancienne élève de Marguerite Long y fait valoir un sens de l’éloquence narrative proche d’Elgar dans les réjouissants tableaux qui rythment l’œuvre. La Sérénade (1945) d’André Jolivet se montre d’emblée plus sobre et aride, avant de s’animer en des atmosphères alternant lumière et mystère. Jolivet souffle le chaud et le froid tout du long dans la fusion des timbres et les oppositions rythmiques entre instruments, en un esprit proche d’Honegger ou Bartók.


Avec la Sonatine (1955) de Marcel Bitsch, on rejoint à nouveau les rives d’une inspiration plus narrative, marquée par d’entêtantes scansions au début. La mélodie très présente est portée par l’ivresse rythmique du Quintette Aquilon, très à l’aise. Le tout dernier mouvement est particulièrement réussi. Le disque se termine avec les Dix-sept variations (1950) de Jean-Michel Damase dont les influences baroques se font tour à tour malicieuses, colorées et admirables de contrastes. De quoi conclure un très beau disque de musique de chambre française dans une interprétation de haute volée.

mercredi 12 septembre 2018

Cantates et musiques de Charles Gounod pour le Prix de Rome - Disque Ediciones Singulares


Après le disque consacré à Paul Dukas notamment, il s’agit déjà du sixième volume pour la toujours passionnante collection des «Cantates et musiques pour le Prix de Rome» qui permet de découvrir nos jeunes compositeurs français dans leur premier pas, aventureux... ou non. On a en effet raillé depuis plusieurs décennies l’académisme de ce prix peu en phase avec son temps, du fait notamment du choix de formes et de sujets désuets: la notice tente de revenir sur ces préjugés en analysant de manière plus approfondie le prix sur plusieurs décennies.


Pour ce volume dédié à Charles Gounod (1818-1893), dont on fête cette année le bicentenaire de la naissance, on découvre des sujets originaux pour les trois cantates composées pour Rome: du style gothique de Marie Stuart et Rizzio (1837), au réalisme social façon Mérimée dans La Vendetta (1838), en passant par l’exotisme hispanisant de Fernand (1839). Cette dernière cantate, plus développée que les autres, bénéficie en outre d’un livret pour trois solistes, enrichissant les possibilités de variations dramatiques. Gounod y fait preuve de réels progrès dans l’écriture orchestrale, plus fouillée et travaillée, tandis qu’il alterne admirablement les climats doux et subtils avec le caractère donné au premier duo. Un superlatif Nicolas Courjal fait valoir ses qualités de diction (notamment dans les accélérations) et de projection autour de phrasés d’une noblesse bienvenue. Yu Shao se distingue dans l’éloquence héroïque, mais son timbre manque d’un rien de substance. On se régale toujours autant du timbre charnu et lumineux de Judith Van Wanroij qui compense largement une prononciation plus approximative. La première cantate, très dramatique, est moins prioritaire du fait des deux interprètes, assez moyens: Sébastien Droy compense un léger vibrato par son attention au texte, tandis que Gabrielle Philiponet force dans l’aigu. On préférera les interprètes de La Vendetta, malgré une justesse parfois à la limite, tant le duo final impressionne par sa qualité d’écriture et de spectaculaire maîtrisé. Chantal Santon y domine son partenaire par son jeu dramatique toujours pertinent.


Le second disque est consacré à plusieurs œuvres religieuses, légèrement plus tardives, parmi le vaste corpus composé par Gounod: on retiendra surtout la très belle Messe vocale (1843) pour chœur et orgue, lumineuse et fervente. Le Chœur de la Radio flamande montre une belle cohésion dans ses différentes interventions, essentiellement homophones. On retrouve la merveilleuse Judith Van Wanroij dans les naïfs mais bien ficelés Christus factus est (1842) et Hymne sacré (1843), tandis que la Messe de Saint-Louis-des-Français (1841) apparaît plus inégale malgré quelques beaux passages. Hervé Niquet, déjà à la baguette pour les cinq précédents disques de cette collection, reste toujours aussi inspiré dans ce répertoire. Son geste avance, sans précipitation, dosant parfaitement les différents climats, tout en captant la lumière intérieure de chaque œuvre.